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de l'intérieur, entretenait une police en opposition à la sienne.

Quelques mois après la signature du traité d'Amiens (25 mars 1802), toute la famille du consul, qui avait épousé le ressentiment de Lucien, l'anima de nouveau contre Fouché; et le général - consul, disposé d'ailleurs à s'affranchir des services de ce caméléon révolutionnaire, reconnut l'inutilité d'un ministère de la police, et le supprima au mois de septembre 1802, réunissant ses attributions à celles du grand-juge.

Nommé membre du Sénat-Conservateur, et pourvu de la sénatorerie d'Aix, il resta vingt-un mois éloigné des affaires, tantôt dans sa terre de Pont-Carré, bien d'émigré qu'il avait acheté de l'État, et dont il avait payé, dit-on, la valeur à son ancien propriétaire, tantôt dans son hôtel de la rue du Bac, voyant les hommes marquans de tous les partis, les attirant par de petites concessions de principes, et conservant ainsi la connaissance des intérêts de tous.

Le bruit que causait le jugement militaire du duc d'Enghien, la conspiration de Georges et de Pichegru, le jugement de Moreau, et le passage du consulat à l'empire firent penser à Napoléon que la police déliée de son ancien ministre lui pourrait être utile dans les circonstances importantes où il se trouvait. Le ministère de la police fut donc rétabli au mois de juillet 1804, réorganisé sur ses anciennes bases et confié une seconde fois à Fouché.

A cette époque Lucien, à la suite de son mariage,

qui avait excité de vives querelles entre Napoléon et lui, venait de quitter la France, pour se retirer en Italie: ainsi, aucun obstacle ne contrariait plus 'influence de Fouché; elle devint sans bornes, et il ne paraît pas qu'il en ait abusé.

Lors de l'élévation de Napoléon à l'empire, les intrigues avaient pris une direction analogue aux intérêts de la nouvelle dynastie. L'impératrice Joséphine, instruite par les confidences mêmes de Napoléon, que déjà, dans plus d'une occasion, le ministre de la police l'avait, pressenti sur la nécessité de contracter une alliance qui assurât des héritiers au trône impérial, ne voyait plus celui-ci qu'avec défiance, et avait changé en inimitié les sentimens de bienveillance qu'elle lui portait autrefois.

Il faut le dire, pendant sa seconde administration Fouché se montra très-supérieur à ce qu'il avait été jusque-là, puisant sans doute dans la grandeur de son maître une élévation de principes et de conduite qui l'honore infiniment. Il ne s'agissait plus, il est vrai, pour lui, de débattre sa fortune et sa position politique dans le bourbier des intrigues et des factions consolider était un devoir et la sûreté de son avenir.

En reconnaissant que jamais police n'avait été ni plus absolue ni plus arbitraire que la sienne, il est impossible de ne pas avouer qu'il n'en exista jamais de plus active et de plus protectrice, de plus ennemie de la violence, qui pénétrât, par des moyens plus

doux, dans le secret des familles, et dont l'action, moins sentie, se laissât moins apercevoir.

La police avait été souvent mise à la place de la justice; mais qui s'en plaignit jamais? N'était-on pas trop heureux, sous le gouvernement absolu de Napoléon, de jouir d'une sécurité parfaite, dans sa personne, dans ses amis, dans ses biens?

On n'a pas oublié que ce fut à ces époques où la guerre appelait l'empereur aux extrémités de l'Europe, que Fouché tenait véritablement les rênes de l'État dans ses mains, et maintenait toutes les parties de l'empire dans une paix profonde.

Vainqueur de l'Autriche et de la Russie à Austerlitz, Napoléon revint en France après la paix de Presbourg (25 décembre 1805), et conféra à Fouché, en récompense de ses services, le titre de duc d'Otrante et une dotation dans les États de Naples.

Il est difficile de ne pas voir dans cet acte de haute satisfaction impériale, la preuve incontestable que Fouché avait été loyal et fidèle à l'empereur, et que Napoléon ne redoutait pas son ministre, comme on s'est plu à le répéter dans certaines coteries: un prince aussi fort et aussi sévère n'eût point souffert d'autorité rivale.

On a dit aussi que Fouché avait conseillé à Napoléon de renoncer à ses projets sur l'Espagne ; c'est à tort Talleyrand, que l'empereur appelait le Fouche des salons, peut revendiquer l'honneur de ces conseils.

La derniere marque de confiance que l'empereur ait donnée à Fouché, c'est de lui confier, lors de la campagne de 1809, le département de l'intérieur avec celui de la police: Fouché cessa bientôt d'être digne des bontés de son maître.

Au retour de cette campagne, Napoléon lui retira le portefeuille de l'intérieur, et quelques mois plus tard (3 juin 1810), il l'éloigna entièrement de lui. La haine de Lucien et de la famille motiva sa première disgrâce; la seconde repose sur des causes graves que je vais indiquer.

Si, avec la connaissance de ces faits, et surtout avec celle du caractère de Napoléon, quelques hommes s'obstinaient encore à croire que le prince sacrifiait de nouveau son ministre à quelque sentiment de jalousie ou de peur, il faudrait leur refuser les plus légères facultés de l'intelligence.

Profitant de l'éloignement du chef de l'État, appelé à punir une agression de l'Autriche, les Anglais dirigèrent une expédition contre les îles de la Zélande et Anvers. Bernadotte, que nos soldats ont vu, dans les champs de Leipzig, à la tête d'une armée ennemie, Bernadotte se trouvait à Paris. Fouché l'opposa aux Anglais, et ce général fut assez heureux pour débarrasser les parties de la Belgique qu'ils avaient assaillies.

A cette époque, Bernadotte était mécontent, et l'adroit ministre l'avait aisément deviné; mais, quoique celui-ci ne pût aspirer à une plus haute fortune, le besoin de grands mouvemens politiques agitait

constamment son âme : il amena donc Bernadotte à goûter le projet qu'il avait formé pendant les succès de ce général en Belgique, de l'élever au trône impérial, en cas de mort de Napoléon, ou si les événemens pouvaient autoriser un jour une tentative à cet égard.

A la première nouvelle du débarquement des Anglais à Walcheren, Fouché avait fait lever une garde nationale assez nombreuse, et, dans une circulaire à ce sujet, il avait dit : «Prouvons à l'Europe que si » le génie de Napoléon peut donner de l'éclat à la » France, sa présence n'est pas nécessaire pour repous» ser nos ennemis. » Le ministre était trop maître de lui pour s'être laissé emporter par un petit mouvement d'amour-propre c'était l'expression involontaire d'une pensée secrète. Quand l'empereur revint il licencia cette garde nationale.

Fouché s'était rapproché de Lucien. Il le fit prévenir, à Rome, que son frère était décidé à le faire arrêter, et qu'il n'avait d'autre ressource, pour échapper à ce danger, que de fuir aux États-Unis, ce qu'il fit en effet. En admettant que tel fut le dessein de Napoléon, son ministre devait-il le trahir?

Dans un conseil privé tenu aux Tuileries, relativement au mariage de l'empereur avec Marie-Louise d'Autriche, Fouché, appelé à donner son avis, s'était prononcé pour une alliance avec la Russie. Point de reproches à lui faire s'il se fût borné là; mais il alla prévenir l'impératrice Joséphine de l'affaire qui s'était traitée au conseil.

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