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criminel du Nord, à laquelle ses compatriotes l'avaient unanimement élu. A la même époque, le due d'Orléans, ne pouvant pas le conserver dans son conseil, exigea qu'il se chargeât de l'administration générale de ses domaines dans les départemens du Nord, de la Somme et de l'Aisne.

En septembre 1792, le département du Nord l'élut député à la Convention nationale, Merlin tint dans cette circonstance la même conduite que précédemment, et essaya encore une fois de la prudence; il ne se pressa pas de se rendre dans le sein de la nouvelle assemblée; il attendit qu'elle eût pris couleur, montrẻ son but et ses principes. Ainsi il y avait longtemps que la république était proclamée lorsqu'il arriva à Paris. Il y apprit qu'il était question de lui dans les papiers que renfermait la fameuse armoire de fer, et il n'est pas sans quelque vraisemblance, ainsi qu'on l'a prétendu, que la peur le saisit et que les appréhensions que lui inspirait cette découverte n'aient influé puissamment sur toutes les déterminations ultérieures de sa conduite, et n'aient suffi pour en faire un des ennemis les plus prononcés du roi, surtout du ministre Roland, qui avait découvert cette cachette, et des républicains modérés qui professaient le système de ce ministre. Le 7 décembre, il se jus tifia en prouvant, pour me servir de ses expressions, qu'il n'avait jamais commis le crime d'avoir voulu servir Louis XVI. Dans le procès de ce prince il vota contre l'appel au peuple, pour la peine de mort et contre le sursis.

Le 17 janvier 1793, après l'appel nominal sur l'application de la peine, appel qui constatait une pluralité de soixante-onze voix pour la mort, MM. de Malesherbes, Tronchet et Desèze parurent à la barre pour y discuter l'exécution de l'arrêt rendu. Toutes les questions étaient jugées d'avance: la Convention ne voulait pas seulement juger Louis, elle voulait le condamner. Les défenseurs donnèrent lecture d'un écrit de Louis XVI, commençant ainsi : « Je dois à mon honneur, je dois à ma famille de ne » point souscrire à un jugement qui m'inculpe d'un » crime que je ne puis me reprocher; en conséquence, »je déclare que j'interjette appel à la nation elle» même du jugement de ses représentans.

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Desèze parla le premier. Il invita l'assemblée, dans les termes les plus pressans, à réfléchir aux incalculables malheurs qui pouvaient être le résultat de sa décision. Tronchet, fort de ses connaissances judiciaires, affirma que la loi pénale alors en vigueur exigeait les deux tiers des voix pour que l'accusé fût condamné ; il fit observer que, quand il était question de déterminer quelles devaient être la majorité et la force du calcul des voix, une affaire aussi importante que celle-là méritait d'être traitée par un appel nominal; il sollicita en vain 'assemblée de rapporter un décret par lequel elle avait passé à l'ordre du jour sur la manière de prononcer le jugement. Le vertueux Malesherbes vint aussi intercéder: ce vieillard vénérable chercha des paroles et ne trouva que des larmes.

L'assemblée avait paru un moment émue; Robespierre craignit l'effet du sentiment qui se manifestait, il prit la parole, et d'un ton dominateur il répondit à Tronchet. Guadet demanda l'ajournement pour avoir, dit-il, le temps de réfuter les défenseurs, mais dans la réalité pour sauver le roi.

Merlin saisit avidement l'occasion de paraître le rival du célèbre jurisconsulte, Tronchet : « C'est, ditil, dans l'institution des jurés qu'il est question du » nombre de voix nécessaire pour la condamnation >> d'un accusé; mais il n'en est pas question dans le » Code pénal. C'est là l'erreur de Tronchet; et il ne » faut pas accorder les honneurs de l'ajournement » à une ruse aussi grossière. » A cette subtile dis-tinction de jurisconsulte, la majorité conventionnelle appuya la question préalable: tout espoir fut perdu.

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Envoyé, à la fin de janvier, dans la Belgique, en qualité de commissaire, avec Gossuin et Treilhard, Merlin annula un arrêté des représentans provisoires de Louvain, qui voulaient maintenir les anciens droits de finance dans cette ville, et il ordonna au chef des troupes françaises de protéger les opérations d'un sieur Chépy, chargé de révolutionner le pays. Dans la séance du 3 avril 1793, il déclara que le département du Nord, qui s'était précédemment glorifié d'avoir donné naissance à Dumouriez, le vouait maintenant à l'exécration.

La trahison de Dumouriez vint aggraver la situation politique du duc d'Orléans, et la rendit presque irré

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médiable. Le 6 avril 1795, la Convention rendit un décret portant que tous les membres de la famille des Bourbons seraient mis en état d'arrestation, pour servir d'otages à la république. Pendant cette séance, il se passait au Palais-Royal une scène qui peint les hommes de cette époque. M. de Monville, homme d'esprit et de plaisir, vivait dans l'intimité du duc d'Orléans. Cet épicurien, renommé par son amabilité, aimait le jeu avec passion; le duc d'Orléans le visitait souvent au Désert, maison de campagne dont M. de Monville avait fait un chef-d'œuvre de l'art et du goût. Ils jouaient depuis long-temps tête à tête, lorsque M. de Monville observa que l'heure du dîner avait sonné depuis long-temps; on le servit sur la table même du jeu, mets par mets. Pendant ce repas, on discutait à la Convention sur le sort du prince; Merlin vint le lui annoncer : cé député allait et venait de la salle du Manége au Palais-Royal pour rendre compte de la tournure que prenait la délibération. Merlin vient enfin annoncer que l'arrestation du prince est décrétée, et sa perte résolue. « Grand Dieu, s'écrie le duc d'Orléans, >en se touchant le front, est-il possible? Après tou»tes les preuves de patriotisme que j'ai données, après tous les sacrifices que j'ai faits, me frapper » d'un pareil décret! quelle ingratitude! quelle ingratitude! quelle horreur! Qu'en dites-vous, Mon- . » ville ? » Celui-ci dépouillait et assaisonnait une sole, il exprimait le jus d'un citron; il répond au prince, sans se déranger le moins du monde : « C'est épou

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» vantable, Monseigneur; mais, que voulez-vous? ils » ont eu de votre altesse tout ce qu'ils pouvaient en

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avoir; elle ne peut plus leur servir à quelque chose, » et ils font de votre altesse ce que je fais de ce ci» tron, dont le jus est exprimé. » M. de Monville jette dans la cheminée les deux moitiés du citron, et observe au prince que la sole doit être mangée bien chaude.

« Pendant sa première mission en Belgique, et dans le même mois (26 mars 1793) où fut portée la loi qui créait le tribunal révolutionnaire, la convention avait ordonné le désarmement de tous ceux qu'elle désignait sous le nom de citoyens suspects. Par une nouvelle loi rendue le surlendemain 28 mars, il fut enjoint à la municipalité de Paris de suspendre la délivrance des passeports jusqu'à l'exécution du décret relatif au désarmement, lequel devait avoir lieu de suite; et de plus, par une extension terrible donnée à la première loi, cette municipalité fut autorisée à faire arrêter toutes les personnes qui lui paraîtraient suspectes. Bientôt tous les départemens de la France furent mis au niveau de la capitale. Par un décret porté sur la proposition d'un de ses membres, la convention nationale ordonna, le 12 août 1793, que tous les gens suspects seraient mis en arrestation, et renvoya au comité de législation pour présenter incessamment le mode d'exécution. Mais sans attendre le rapport de cette commission, le décret fut de suite scellé et expédié comme loi à toutes les municipalités, et commença à recevoir par

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