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Le temps de la mollesse, celui de la négligence * est passé.

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C'est de l'exactitude qu'il faut, c'est de la fer» meté.

» Moi-même je donnerai cet exemple; je sacrificrai tout à mes devoirs,

» La république, la police générale, je ne respirerai que pour ces objets. »

Toute cette emphase n'aboutit pas à grand'chose:

La montagne en travail enfante une souris.

Singuliers régénérateurs, en effet, que des espions de police!

Merlin, appelé à former la police, dont les élémens étaient encore épars, se servit des matériaux qu'il avait sous la main. Il choisit le plus grand nombre de ses agens parmi d'anciens jacobins.

Le ministère de la police avait le grave inconvénient de faire d'un métier honteux une institution légale, et d'un ressort caché de gouvernement une fonction publique. Un lieutenant de l'ancien régime convenait qu'il était impossible de trouver d'honnêtes gens qui consentissent à devenir mouchards; qu'on juge de ce que devaient être, ce que furent des mouchards élevés dans tout ce que la révolution avait produit de sanguinaire et de fangeux. Un gouvernement libre, républicain, débutait par une création qui rappelait le caractère inquisitorial de l'aristocratie vénitienne. Les directeurs, il est vrai, auraient pu donner pour

excuse l'état de désorganisation où était tombée la société; après une tourmente qui avait déraciné toutes les positions sociales, chacun demandait la sécurité de sa personne et de ses propriétés; les agitateurs des partis se trouvaient en dehors du gouvernement, et même du gros de la nation, qu'ils n'avaient que trop agitée. Elle soupirait après le repos, et le repos pour elle était la liberté, tant elle était lasse des saturnales de l'anarchie.

A Paris les hommes de la plus basse extraction, enrichis de rapines, étalaient un luxe scandaleux avec un cynisme dégoûtant. Les mœurs privées souffrirent de graves atteintes. La dépravation était à son comble. L'oubli de tous les devoirs signalait les femmes à la mode; elles luttaient d'indécence et d'impudicité, ce qui faisait dire à un écrivain célèbre: vêtues sans être voilées, elles ont trouvé le moyen d'insulter à la pudeur sans choquer les bienséances. Le divorce, devenu presque journalier, était un libertinage légal. On se démariait pour changer de femme; on prenait ou on abandonnait une épouse comme on change de laquais ou de logement.

Des bals étaient ouverts où, pour pénétrer, il fallait avoir perdu un des siens sur l'échafaud de la terreur. Cela s'appelait le bal des victimes. Une femme à la mode devait avoir les cheveux coupés près de la tête en signe de ressemblance avec les victimes dressées pour la guillotine. Les jeunes personnes, mariées ou censées l'être, s'habillaient de façon à paraître enceintes ; ces fausses apparences de fécondité s'appe

laient des demi- termes. Les femmes du bon air ne sortaient pas de chez elles sans cet accessoire de parure. Loin de revêtir un habit de deuil, elles se paraient de fleurs et d'une gaze transparente, pour mieux faire admirer leurs nudités; aux doigts de leurs pieds scintillaient des bagues précieuses. L'esprit de luxe et de rapine avait succédé au règne de la férocité en haillons.

Les routes étaient infestées de voleurs et d'assassins qui agissaient à découvert dans les départemens où avait régné la guerre civile. Des brigands, connus sous le nom de chauffeurs, pénétráient dans les mai-. sons écartées, tuaient ou garrottaient les domestiques, plaçaient les pieds des maîtres sur des charbons ardens, les obligeaient ainsi à livrer tout ce qu'ils possédaient.

La police exerçait surtout une extrême attention sur les spectacles, devenus une arène où les partis venaient lutter non-seulement par des battemens de mains ou des sifflets, mais à coups de poing. Au moindre indice de royalisme on fermait l'enceinte, et les citoyens étaient obligés de défiler sous les yeux des sbires du citoyen Merlin de Douai. Il suffisait d'une allusion créée souvent par le public, ou du quolibet d'un acteur pour provoquer ces scènes de dé- ' sordre. Dans une vieille comédie, un maître dit à son valet M. Merlin, vous êtes un coquin. Aussitôt que l'acteur a lâché ces paroles, la salle retentit des battemens de mains et les spectateurs s'égosillent à crier bis.

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Les tribunaux sont impuissans pour punir les excès de la presse. L'abbé Poncelin, propriétaire du journal intitulé le Courrier républicain, avait publié quelques faits injurieux à Barras. On l'arrêta, on le conduisit au petit Luxembourg, où le directeur le fit cruellement fustiger. L'abbé porta plainte en justice, et s'en désista ensuite, dit-on, moyennant un dédommagement, trafiquant ainsi de la souillure dont il avait été l'objet, se vouant lui-même au ridicule et à la honte, et faisant taire par-là l'indignation que cette violence coupable avait excitée dans le public.

Tel était l'état des mœurs lorsque la police tendit ses filets sur la république entière. Merlin, après lui avoir donné l'impulsion première, retournà au ministère de la justice le 3 avril 1796 (1). Jamais une aussi grande activité n'avait régné et n'a régné depuis dans les travaux de ce ministère. Quelque confiance qu'il eût dans les habiles collaborateurs dont il s'était entouré, non-seulement il ne signait rien dont il n'eût préalablement revisé et corrigé la minute, mais il se réservait et expédiait à lui seul les affaires les plus importantes.

Deux conspirations ayant éclaté en même temps, celle de Babœuf et celle de Brottier et Laville-Heurnois, Merlin prétendit que les auteurs de celle-ci, dont aucun n'était militaire, devaient cependant

(1) Il fut remplacé par Cochon de Lapparent.

être jugés par des conseils de guerre, attendu qu'ayant cherché à soulever des soldats il était juste de les considérer comme embaucheurs; et ce fut dans ce sens que, le 10 février 1797, il fit un rapport au Directoire, qui adopta ses vues. Le tribunal de cassation jugea qu'un conseil militaire était incompétent et communiqua son arrêt au conseil des Cinq-Cents. Merlin dénonça le tribunal et fit passer outre, malgré les réclamations de Pastoret. Le conseil militaire fut établi, et Merlin le pressa d'accélérer le jugement par une lettre où l'on remarquait ce passage : « Les jugemens militaires doivent être » prompts; ceux qu'ils frappent doivent être exécutés sur l'heure, à l'instant, sur-le-champ........ » Puis il ajoutait : « Si l'on ne tue pas les conspirateurs roya»listes, on sera forcé de laisser aussi échapper les babouvistes. » Cette lettre fut encore dénoncée par Pastoret.

Cependant tous les écrits, tous les journaux défendirent les accusés avec la plus grande chaleur, et Merlin ne put obtenir la peine de mort. Le conseil la prononça pour la forme; mais, usant de la faculté que la loi lui accordait, il la commua en quelques annéés de prison. Le ministre ne se tint pas pour battu; il profita de la révolution du 18 fructidor, et fit déporter les principaux d'entre eux, qui périrent à Sinnamari. Quelques jours avant cette révolution il avait été dénoncé par Jourdan, député des Bouchesdu-Rhône, pour avoir déféré au tribunal de cassation un jugement militaire qui avait acquitté quelques

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