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émigrés jetés par la tempête sur les côtes de France. Les événemens du 18 fructidor furent favorables à Merlin. Au moment où nos armées triomphaient de toutes parts, où, maîtres du cours du Rhin, nous faisions la conquête de l'Italie au nom de la révolution et de la république, l'esprit républicain périssait dans l'intérieur, et les élections tournaient au profit des contre-révolutionnaires et des royalistes.

Un grand déchirement semblait inévitable, dès que la majorité des deux conseils se fut déclarée contre la majorité du Directoire. Il s'était formé une espèce de triumvirat composé de Barras, Rewbel et La Réveillère-Lepaux. Ils invoquèrent l'appui du canon et des baïonnettes. Des femmes conduisirent en partie toute cette intrigue.

Par suite de ce coup d'état les deux directeurs, Carnot et Barthélemy, compris dans la déportation, furent remplacés par Merlin et François de Neufchâ

teau.

Merlin et Rewbe! devinrent les meneurs du Directoire. Le premier était un excellent jurisconsulte, mais un chétif homme d'état; il régna jusqu'en 1799.

A cette époque, de grands revers militaires reprochés au Directoire donnèrent de nouveau des armes contre ce gouvernement, et particulièrement contre Merlin, auquel on accordait la plus grande part d'influence.

Les Jacobins crurent le moment favorable pour s'emparer entièrement du pouvoir, et ils attaquèrent

spécialement Merlin, Treilhard et La Réveillère. Treilhard fut le premier écarté; Merlin et La Réveillère s'obstinaient et prétendaient tenir bon dans le fauteuil directorial.

La lutte devint plus active et plus animée; Boulay de la Meurthe et les députés de sa coterie allèrent au Luxembourg demander impérieusement la démission des deux directeurs. En même temps Bertrand du Calvados, au nom d'une commission des Onze, monta à la tribune, et trouva moyen d'effrayer les directeurs par la préface de leur acte d'accusation. Boulay de la Meurthe appuya Bertrand, et chercha surtout à déconsidérer Merlin, en le peignant comme un homme à petites vues, à petites passions.

Enfin, sur l'assurance qu'ils ne seraient pas mis en cause, Merlin et son collègue La Réveillère donnèrent leur démission le 18 juin 1799.

Merlin avait, dix jours auparavant, dans une fête funéraire, en mémoire des deux envoyés français assassinés à Rastadt, harangué son auditoire en s'écriant: Le peuple français proclame le gouver>>nement d'Autriche l'irréconciliable ennemi des nations. Malheur, opprobre éternel, guerre impla» cable à l'atroce maison dont les attentats ont dés>> honoré le siècle de la raison et des lumières! Que » ce gouvernement soit exclu de la communication des sociétés humaines! Frappons sur lui ; anathème » éternel!»>

Au sortir du Directoire, Merlin retourna à Douai, où il fut poursuivi par une foule d'écrits et de dénon

ciations. Ses ennemis dressèrent contre lui un acte d'accusation, dont le principal chef était d'avoir déporté le général Bonaparte en Egypte, ce qui était d'autant plus absurde, que, pour l'expédition d'Egypte même, il avait donné au général son fils pour aide de camp; aussi la majorité du conseil des Cinq-Cents fit-elle justice de cette misérable accusation, en déclarant qu'il n'y avait pas lieu à examen.

A son retour d'Egypte, le général Bonaparte, devenu premier consul, rappela Merlin de l'espèce d'exil auquel il s'était condamné. Il lui offrit la place su→ balterne de substitut du procureur-général à la cour de cassation, qu'il accepta. Personne ne s'étonna de voir un homme qui, quelques mois auparavant, avait partagé le pouvoir suprême, occuper un emploi aussi secondaire : c'est qu'alors les vraies supériorités commençaient à prédominer.

Merlin s'acquitta de ses nouvelles fonctions avec tout le talent et tout le succès qu'on devait attendre de lui. S'il s'était montré homme d'état médiocre, il était jurisconsulte du premier ordre, et placé dans sa véritable sphère. Il se trouva porté bientôt par l'ascendant de son vaste savoir aux sommités de l'ordre judiciaire. C'est principalement à la tête du parquet de la cour suprême qu'il devait acquérir une véritable célébrité, et consolider sa réputation en agrandissant sa fortune.

A la fin de 1801, il devint commissaire principal du tribunal de cassation, et, sous l'empire, procureur-général. En 1804, il fut fait commandant

de la Légion d'Honneur; lors de la création des nouveaux titres, il reçut celui de comte. En 1806, il passa au conseil d'État, section de la justice, où il acquit une grande influence. Napoléon s'exprimait ainsi à son égard: « Au conseil d'État, »j'étais très-fort tant qu'on demeurait dans le do>> maine du Code; mais, dès qu'on passait aux régions » extérieures, je tombais dans les ténèbres, et Merlin » était ma ressource; je m'en servais comme d'un >> flambeau. Sans être brillant il est fort érudit, puis »sage, droit et honnête, un des vétérans de la bonne » vieille cause ; il m'était fort attaché (1).⋅

et

Les nombreux réquisitoires que Merlin a faits, et les plaidoyers plus nombreux encore qu'il a prononcés pendant les treize ans qu'il a exercé les fonctions de procureur-général, se trouvent, pour la plupart, dans son recueil des Questions de droit, dans les nouvelles éditions du Répertoire de jurisprudence. On ne sait, en parcourant ces deux ouvrages, qui forment vingt-six gros volumes in-4° en petits caractères sur deux colonnes, comment il a pu suffire à d'aussi immenses travaux. Ils lui ont acquis dans les tribunaux une autorité dont presque aucun jurisconsulte avant lui n'avait joui de son vivant. Partout on le cite à l'égal des Dumoulin, des Voët, des Pothier, des Daguesseau. Toutefois il a été l'objet de quelques critiques; on lui a reproché de se

(1) Las Cases, tom. VI, pag. 508.

montrer en général dans ses plaidoyers plutôt adversaire de la partie qu'il a résolu de faire succomber, qu'appréciateur impartial des moyens respectifs; de se passionner pour ou contre, et de recourir à la déclamation, à l'ironie, au sarcasme. Ses détracteurs, tout en reconnaissant son aptitude, sa vaste mémoire, sa science, fruit de travaux assidus et presque incroyables, lui reprochent en outre d'avoir introduit dans le barreau français l'abus de donner des opinions pour des moyens. D'autres persistent à soutenir qu'à mesure que la jurisprudence sera mieux enseignée, mieux connue, ce livre perdra de son crédit, et qu'alors l'auteur n'aura pas parmi les jurisconsultes un rang plus élevé que parmi les hommes d'État.

Il est à remarquer qu'en 1813, le conseil d'État (cour de cassation du royaume de Westphalie), se trouvant partagé d'opinion sur une question majeure de jurisprudence, le choisit d'une voix unanime pour départiteur, et calqua l'arrêt qu'il avait à rendre, sur son avis, qui est rapporté dans le Répertoire à l'article Serment.

Au retour du roi, en 1814, le gouvernement fit insinuer à M. Merlin de donner sa démission de la place de procureur-général; après plusieurs tentatives inutiles on prit le parti de la lui ôter d'autorité le 15 février 1815, en lui accordant une pension de retraite ; il ouvrit alors un cabinet de consultations.

Le mois suivant, lorsque Napoléon revint de l'île

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