Baïonne. Il fut témoin des différentes entrevues de ces princes avec l'empereur. Après le départ de Murat, le duc de Rovigo prit le commandement des troupes françaises dans la Péninsule; mais il ne dirigea aucune des grandes opérations militaires. Revenu en France, Napoléon l'appela à remplacer Fouché au ministère de la police générale, le 3 juin 1810. M. le duc de Rovigo a fait connaître dans ses Mėmoires la manière dont sa nomination fut accueillie, et sa prise de possession d'un ministère où il allait, selon lui, se trouver fort embarrassé. « Le lendemain, lorsqu'on lut cette nomination » dans le Moniteur, personne ne voulait y croire. L'empereur aurait nommé l'ambassadeur de Perse, » qui était alors à Paris, que cela n'aurait pas fait plus » de peur. J'eus un véritable chagrin de voir la mau» vaise disposition avec laquelle on parut accueillir » un officier général au ministère de la police, et si »je ne m'étais senti une bonne conscience, je n'au»rais pas trouvé le courage dont j'avais besoin pour » résister à tout ce que l'on disait à ce sujet. « J'inspirais la frayeur à tout le monde; chacun >> faisait ses paquets, on n'entendait parler que d'exils, d'emprisonnemens, et pis encore; enfin, je crois que » la nouvelle d'une peste sur quelques points de la » côte n'aurait pas plus effrayé que ma nomination » au ministère de la police. Dans l'armée, où l'on sa>vait moins ce que c'était que cette besogne, on 1 » trouva ma nomination d'autant moins extraordinaire que tout le monde croyait que j'y exerçais » déjà quelque surveillance; cependant je puis assurer, sur l'honneur, qu'avant d'être ministre, l'empe» reur ne m'a jamais chargé d'aucune mission de cette espèce, hors dans les deux occasions que j'ai » citées. Les hommes de l'armée qui le faisaient étaient »précisément, comme de coutume en pareil cas, » ceux qui dénonçaient leurs camarades chaque fois qu'ils en trouvaient l'occasion; en mettant cela sur moi, ils écartaient le soupçon de dessus eux. « J'étais dans la confiance que mon prédécesseur »'me laisserait quelques documens propres à diriger » mes pas; il me demanda de rester dans le même hôtel que moi, sous prétexte de rassembler en même temps les effets, les papiers qu'il avait à me communiquer ; j'eus la simplicité de le laisser trois > semaines entières dans son ancien appartement; et » le jour qu'il en sortit, il me rendit pour tout papier. » un mémoire contre la maison de Bourbon, lequel >> avait au moins deux ans de date; il avait brûlé le » reste, au point que je n'eus pas de traces de la moin» dre écriture. Il en fut de même lorsqu'il fallut me » faire connaître les agens, de sorte que le fameux » ministère de Fouché, dont j'avais eu, comme » tout le monde, une opinion extraordinaire, com» mença à me paraître très-peu de chose, ou au moins > suspect, puisque l'on faisait difficulté de me re> mettre ce qui intéressait le service de l'État... « Je n'apercevais rien dans la marche de mon » prédécesseur qui pût m'indiquer le chemin à prendre pour aller à la rencontre de ce qui me pa>> raissait devoir corroder l'opinion. Je croyais le mi»nistère dont j'étais pourvu une puissance, et je » ne le voyais qu'un fantôme; il me semblait être » dans un tambour sur lequel chacun frappait sans » que je pusse connaître autre chose que le bruit. Je ⚫ demandais à tout ce qui m'entourait comment fai>> sait Fouché, et l'on me répondait le plus souvent » qu'il laissait faire ce qu'il ne pouvait empêcher. » J'étais plus honteux de mon embarras que tour>> menté de ne pouvoir le surmonter, et si je n'avais >pas été encouragé par des hommes de bien que je » trouvai dans le ministère même, et auxquels on > rendait bien peu de justice, j'aurais fait comme le >> roi Louis. Le courage me vint et il me ramena de » la confiance. J'avais une mémoire extraordinaire » pour retenir les noms et les lieux. » Je voyais bien que Fouché m'avait joué en » brûlant son cabinet, et je pris le parti de m'en créer un autre. De ma vie je n'avais employé des agens; »je ne connaissais même pas assez le monde dans » lequel il était nécessaire de les lancer, pour leur » donner une direction sans me découvrir moi» même. 1 Mon inexpérience des hommes de la révolution, » avec lesquels ma charge m'obligeait à être journel»lement en contact, me fit sentir la nécessité de cher» cher dans le passé la prévoyance pour l'avenir. » Fouché s'était joué de moi en me désignant » des agens qui étaient des hommes de la dernière » classe, et que même il ne recevait pas, hormis un » ou deux individus qui lui permirent de me les pré» senter. Il ne m'en fit pas connaître d'autres. Moi, je ne fus pas si fier; je les vis tous, pour savoir d'eux» mêmes à quoi on les employait : j'en trouvai qui >> valaient mieux que leur extérieur, et je me suis » bien trouvé d'avoir été généreux envers eux. Mes »premiers essais furent de ressaisir par la ruse tous » les fils qu'avait rompus mon prédécesseur par » méchanceté. Mon intelligence me fit bientôt trouver » des moyens naturels qui m'y firent réussir. Il y a dans toutes les grandes administrations un > registre d'adresses, afin que les porteurs de lettres, » qui sont des hommes que l'on a ad hoc, sachent de quel côté ils doivent commencer leurs courses pour abréger le chemin. Celui du ministère de la police » était assez riche en ces sortes d'indications. Il était gardé par des garçons de bureau, et comme je ne » voulais pas laisser apercevoir mon projet, je choisis. » un soir où je pouvais me débarrasser de mon monde » pour donner une longue commission au domesti» que qui était de garde ce soir-là, et je lui permis » d'aller se coucher, au lieu de rentrer chez moi; il »> ne fut pas plutôt dehors, que j'allai moi-même » enlever le registre, ainsi que la liasse des reçus que les commissionnaires ont soin de conserver en cas » de réclamation sur la remise des lettres. Je me renfermai dans mon cabinet pour faire » moi-même le relevé de ces adresses; quelques-unes désignaient la profession. Je passai la nuit à le copier et à chercher dans la liasse des reçus, tous ceux » qui portaient la date d'un même jour, pouvant » correspondre à celui où Fouché formait la liste » des convives de ses diners de représentation, qui >> avaient lieu les mercredis, en hiver seulement; » ceux-là ne piquaient pas autant ma curiosité que » ceux dont je n'apercevais pas le motif qui avait pu » les faire mander au ministère. Lorsque j'eus fini je » remis les choses à leur place. J'avais une belle légende de noms et d'adresses » qui m'étaient connus, et que j'aurais cherchés plu» tôt en Chine que sur ce catalogue. D Il y avait plusieurs noms qui n'étaient désignés » que par une majuscule; je jugeai bien que ce de»vait être les meilleurs, et je vins à bout de les con»naître, en leur jouant le tour dont je parlerai, et » que l'embarras de ma situation rendait excusable, » d'autant plus qu'il n'avait que le caractère de la cu>> riosité. »Je divisai mon catalogue d'adresses par arrondis>> sement, c'est-à-dire en douze parties, et chargeai quelqu'un, dans chaque arrondissement, de me >> faire la note détaillée de ce qu'était chacun des in»dividus désignés, de quel pays il était, depuis quand il était à Paris, de quoi il y vivait, ce qu'il faisait et de quelle réputation il y jouissait; sans donner >> d'autres motifs de ma demande, je fus servi à sou» hait, parce qu'il n'y a pas de ville en Europe où l'on » retrouve aussi promptement qu'à Paris un homme |