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dépens de la crédulité et de la bonhomie des autres : ceux-là ont un grand intérêt à être informés de tout, vrai ou faux; ils ont un compte courant qu'ils chargent de tout ce qu'ils apprennent; c'est avec ces gentilles bagatelles qu'ils paient leur dîner ou leur place au spectacle; ils portent une nouvelle pour en écouter une autre. Ce sont des hommes précieux pour un ministre de la police; il les a sans peine en les tirant des mauvaises affaires où ils ne manquent jamais de se jeter. On s'en sert pour donner de la publicité à ce qu'on veut répandre, pour découvrir d'où part la publicité que l'on donne à ce qu'il faut taire.

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L'intrigue marche toujours, parce qu'elle a des bésoins continuels qui l'obligent à avoir l'esprit toujours dans l'activité. Un intrigant sans activité est bientôt à l'hôpital, et eclui qui a de l'activité trouverait moyen de tondre sur un œuf..

Un intrigant connaît les liaisons de cœur de tous ses amis ; il conseille l'amant et l'amante, les brouille, les réconcilie; il étudie les haines, les passions; il observe les dérangemens de conduite des autres en les associant à ceux de la sienne propre; il y a peu de lieux intéressans où il n'ait pas les yeux ou les oreilles. Cherchez-vous le soir un homme de plaisir? Il sait dans quelle partie galante on doit le trouver, chez quel restaurateur il aura dîné, à quel spectacle il aura été. Est-ce une étourderie? I la connaît de même à l'étiquette du sac.

» Il n'y a pas de petite ville dans le monde où l'on

trouve plus vite un individu que l'on cherche qu'à Paris.

par

» L'été, lorsque toute la société est dans ses châteaux, on sait moins promptement ce que l'on veut savoir; mais il y a aussi un moyen infaillible de découvrir ce qu'on croit utile de savoir. Les parties de château ont des charmes de bien des espèces. Avec un peu d'habitude de la bonne compagnie, on connaît avant la fin de la mauvaise saison toutes les ties de campagne qui doivent avoir lieu depuis la fin. de juin jusqu'en novembre; on sait que dans tel mois c'est telle société qui est à tel château, d'où elle va le mois suivant à tel autre, et où elle est remplacée par tel autre. On fait ainsi le tour de toute une province, et il arrive rarement que les personnes qui ont fait cette promenade ne disent pas à leur retour tout ce qu'elles ont vu ou entendu ; et si l'on a un motif d'être informé de ce qui s'est passé dans une de ces maisons, il est bien rare que ce qui vous revient innocemment ne vous mette pas sur la trace de ce qu'il y aurait de plus important à connaître.

La plupart de ces châteaux ont des messagers qui portent et rapportent les lettres de leurs sociétés du bureau de poste le plus voisin. S'il y avait quelque chose de sérieux, on aurait cent moyens d'en être prévenu, , parce que l'innocence ne se déguise pas, et que, quand elle se trouve à côté des coupables, elle les décèle fngénuement.....

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Lorsque j'eus divisé les sociétés de Paris, je m'oc

cupai à faire descendre la surveillance jusque dans

toutes les classes d'artisans qui habitent les faubourgs; cela me regardait moins que le préfet de police, mais j'étais bien aise d'être dans la possibilité de retrouver moi-même les traces d'un mouvement agitateur, s'il était arrivé que je ne fusse pas satisfait des rapports que la préfecture m'aurait adressés: c'était uniquement par précaution. Je m'étais déjà aperçu que le moyen le plus puissant de mon administration était de faire agir les haines et les rivalités, comme c'était son devoir d'en prévenir les effets; il est dangereux d'en faire usage, et il faut se sentir un grand fonds de probité pour ne pas craindre d'en abuser, ou d'être trompé soi-même par des informations dictées par une animosité ou une passion particulière. Je n'en fis guère usage que pour être informé des antécédens qui me manquaient, et deɛquels j'avais un extrême besoin pour connaître le personnel avec lequel j'étais journellement en rapport. »

M. le duc de Rovigo commença par s'approprier la nomination aux places qui dépendaient de la préfecture de police; il s'en servit pour se créer des moyens d'information. Il arriva à donner des commissaires de police de son choix dans toutes les grandes villes et dans celles à grandes communications.

Ensuite il s'occupa de faire établir le réglement sur la police des domestiques. Il rend compte en ces termes des motifs qui le portèrent à prendre cette

mesure:

J'avais remarqué que la plus grande partie des vols étaient commis par des domestiques; tous les hommes détenus pour quelque prévention de délits étaient des domestiques.

>> Il n'y a pas de ville au monde où l'on prenne moins qu'à Paris de renseignemens sur un domestique qui se présente pour entrer au service d'une maison.

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Les mauvais sujets connaissent aussi les imperfections de la société, c'est là le champ qu'ils ont mis en exploitation. Lorsqu'un voleur s'échappe d'une prison ou des galères, il vient à Paris ; il commence par se mettre domestique pour avoir des occasions de connaître des camarades, et de faire des observations sous la sauvegarde de ses maîtres. Cette nombreuse classe d'hommes ne peut pas être subdivisée de manière à y établir une surveillance, j'en vins cependant à bout sous l'administration de M. Pasquier.

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Il paraît que les propriétaires ne se prêtèrent pas volontiers à toutes les mesures qu'on exigeait d'eux. Un grand nombre virent dans les formalités de ce projet un moyen d'espionnage contre leur intérieur. Malgré cette opposition, la mesure fut exécutée, et dès les premiers mois elle mit entre les mains de l'administration neuf cent ou mille individus qui étaient tous ou déserteurs de l'armée ou échappés de prisons, de galères, ou en fuite de leur pays pour quelque poursuite de justice. Ils devinrent ensuite obser

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vateurs les uns des autres, c'est-à-dire que la police en fit des instrumens d'espionnage.

C'est M. le duc de Rovigo qui imagina de s'entourer de quelques hommes d'esprit, parmi lesquels on remarquait MM. Etienne, Jay, Tissot et Michaud.

M. de Rovigo a laissé échapper, dans ses Mémoires, un aveu singulier Plus j'allais en avant, s'écrie»t-il, et moins je concevais qu'un grand État eût be» soin d'une administration dont je sentais toute la faiblesse, pour ne pas dire la nullité ; je voyais bien l'état de l'horizon, mais je n'en apercevais pas

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» causes.

les

» Je pouvais bien, ainsi que cela s'est pratiqué, » faire du bruit pour l'apaiser ensuite cela peut » être utile quelquefois; je l'ai fait aussi lorsque je voulais qu'on me crût loin d'une chose que j'allais »saisir, et dont un regard pouvait m'éloigner.

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S'agissait-il de pénétrer dans les secrets des cours étrangères, vite on séduisait un subalterne de l'ambassade. «Lorsque l'on connaît les goûts particuliers >> et les habitudes d'un homme, dit le ministre, il est » à celui qui sait le satisfaire. J'ai connu des agens » tellement adroits dans cette corruption, qu'ils ren» daient joueur celui qui leur résistait, lui gagnaient » tout son argent, lui en gagnaient même à crédit, » et, lorsqu'ils l'avaient mis dans cet état, ils compo¬ » saient avec lui; et il faut avouer, à la honte des » hommes, qu'ils réussissaient presque toujours, Ceux » pour lesquels le jeu n'avait pas d'attraits étaient ordi

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