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étaît confiée à M. Dupin aîné, qui parvint facilement à le faire décharger de l'accusation, qui n'était en quelque sorte appuyée que pour la forme. Il fut acquitté le 27 décembre 1819.

M. le duc de Rovigo vivait dans une espèce d'incognito, lorsqu'en 1823, à l'occasion d'un article de journal qui rappelait la catastrophe du duc d'Enghien, il publia un fragment de ses Mémoires où il se justifiait en attaquant M. de Talleyrand. L'attention publique se porta dès lors sur lui d'une inanière fâcheuse. On chercha à savoir quel motif avait pu l'amener à rompre un silence qu'il avait gardé pendant si long-temps; on répandit le bruit que c'était un moyen de faire sa cour aux Bourbons; on prétendit qu'il avait offert ses services en disant : Si j'étais en place, j'aurais bientôt débarrassé le roi de toute cette opposition libérale.

Quoi qu'il en soit, le personnage, que M. le général Savary désignait comme le principal auteur de la catastrophe du duc d'Enghien, écrivit qu'il n'écrirait pas. M. le duc de Rovigo s'était attaqué à plus fin que lui; il parut succomber.

La réponse de M. de Talleyrand est tout entière dans la lettre suivante, qui, si elle est une preuve de la faveur dont il jouit, ne le justifie cependant pas.

« Monsieur le duc,

» Le roi a vu avec un extrême mécontentement que vous ayez appelé l'attention publique sur de

» funestes souvenirs, dont il avait commandé l'oubli à

> ses sujets.

» Sa Majesté m'ordonne en conséquence de vous » faire connaître que son intention est que vous vous absteniez de vous présenter dans son palais.

» J'ai l'honneur d'être, avec considération, mon» sieur le duc,

Votre très-humble et obéissant serviteur, le pré»sident du conseil des ministres, chargé du porte» feuille de la maison du roi pendant l'absence de » M. le marquis de Lauriston,

» Comte de VILLÈLE. »

De trois ou quatre côtés, il arriva à M. le général Savary des démentis auxquels il ne s'attendait pas. Entre autres celui du général Hullin. On lâcha même après lui le fameux Méhée de Latouche.

Le calcul de M. le duc de Rovigo paraissait être celui-ci : à toutes les époques le pouvoir a besoin d'hommes dévoués, ayant une certaine énergie dans l'obeissance, capables, dans l'occasion, d'un coup de main; j'ai fait mes preuves. On ne me vit jamais parmi les faiseurs d'utopies; si j'ai appartenu en quelque chose à la révolution, cela n'a jamais été par les doctrines. Le maître que j'ai servi n'existe plus; je lui ai été dévoué dans l'infortune, j'ai voulu partager son exil: on devra donc supposer qu'un homme tel que moi ne se donne pas à moitié. Les traditions de l'empire ne sont pas à redouter pour la

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royauté; elle peut au contraire y puiser de la force. C'est être conséquent à mes principes que de lui offrir mon bras.

On dit que le mauvais succès d'une première démarche n'a pas rebuté M. le duc de Rovigo, et qu'il nourrit encore les mêmes espérances.

SOTIN DE LA COINDIÈRE

(PIERRE-JEAN-MARIE).

Les événemens peuvent conduire aux honneurs des citoyens des différentes classes de la société; mais pour les conserver, il faut un tact, un genre de mérite particulier, que tous les hommes ne possèdent pas également, dont quelques-uns sont même entièrement privés. Cette pensée va trouver ici son application.

Né à Nantes en 1764, Sotin eut pour père un avocat au parlement de Bretagne, qui, le destinant à suivre la même carrière que lui, l'envoya faire son droit à la faculté de Rennes.

Peu de temps après le retour du jeune Sotin dans sa famille, les principes de la liberté, qui germaient alors, firent éclater la révolution, et entraînèrent le nouvel avocat à sa suite.

Comme la profession de jurisconsulte offrait, dans ces circonstances, peu de ressources à son ambition, il se fit courtier.

Ce qui prouve qu'il s'était prononcé de bonnet heure en faveur des idées du moment, c'est que, dès 1790, il fut placé parmi les membres du directoire du district de Nantes.

Il avait été nommé, en 1792, l'un des administrateurs du département de la Loire-Inférieure, et en exerçait les fonctions, lorsqu'au mois de novembre 1793, il se vit envelopper dans la proscription des cent trente-deux Nantais que Carrier voulait faire noyer au Pont de Cé, mais qui, sauvés par Francastel, furent conduits à Paris, où ils n'arrivèrent plus que quatre-vingt-quatorze, à cause des fatigues, des maladies et de la misère qu'ils avaient essuyées pendant la route. Robespierre étant mort, ces victimes du plus sanguinaire des proconsuls de la terreur furent mises en jugement et acquittées par le tribunal révolutionnaire. Rendus à la liberté, ces malheureux Nantais devinrent aussitôt de puissans accusateurs qui conduisirent à l'échafaud Carrier et les membres du comité révolutionnaire de Nantes.

Sotin se fixa à Paris, s'attacha au parti directorial, devint commissaire près de l'administration centrale du département de la Seine, et remplaça LenoirLaroche, le 4 juillet 1797, au ministère de la police générale.

Les directeurs méditaient le coup qu'ils portèrent le 19 fructidor an 5 (4 septembre 1797); ils avaient besoin de s'assurer de ce ministère important, leur choix se fixa sur Sotin. Ce fut lui qui principalement prépara les moyens d'exécution, après l'adoption de

dispositions discutées dans un conseil tenu par les directeurs Barras, Rewbell, Laréveillère-Lepaux, lui et ses collègues au ministère Talleyrand et Merlin, et les députés Sieyes, Boulay de la Meurthe et Treilhard.

Les vaincus l'accusèrent ensuite, mais sans preuve, de barbarie à leur égard, et d'avoir proposé contre eux des mesures plus rigoureuses encore que l'exportation à Cayenne. Il est vrai qu'il fut chargé de présider à leur exportation. Reconnaissant parmi eux des hommes qui, naguère, avaient figuré parmi ses persécuteurs, entre autres Bourdon de l'Oise et Rovère, il leur dit : Messieurs, je vous souhaite un bon voyage; voilà ce que c'est que la révolution.

Pendant son ministère, Sotin fit exécuter rigoureusement la loi du 19 fructidor sur les passeports, ainsi que les mesures arbitraires du Directoire contre les prêtres, pour la prohibition des journaux et la surveillance des spectacles.

« Il est néanmoins à notre connaissance, dit M. H. Audiffret, dans une Notice sur Sotin, que parmi un assez grand nombre d'émigrés maintenus, d'après sa demande, sur la liste de proscription, plusieurs obtinrent de lui gratuitement leur radiation. »

Une bévue le priva de son portefeuille. On avait brodé à Lyon, pour les membres des deux conseils, des manteaux de casimir de Sedan, qu'il fit saisir comme étant de fabrique anglaise. Il écrivit à ce sujet, le 13 janvier 1798, à la commission des inspecteurs du conseil des Cinq-Cents, une lettre qui

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