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sentimens monarchiques dans une sortie très-vive qu'il fit contre les feuilles de Carra et de Marat : il accusa ces deux journalistes d'avoir été les moteurs du meurtre du général Dillon, tué à Lille par ses soldats, et, sur sa proposition, un décret d'accusation fut rendu contre Marat. Peu de jours après, il demanda que l'Assemblée examinât toutes les pièces relatives à l'affaire du général depuis maréchal de Rochambeau, et du ministre Duport-Dutertre, et fit déclarer qu'il n'y avait pas lieu à accusation contre ce dernier. Il dénonça au pouvoir exécutif la municipalité de Paris ainsi que le ministre de la justice, relativement à la feuille virulente dite l'Ami du peuple. Fidèle à ses principes, M. Beugnot cessa de paraître à l'Assemblée après le 10 août. Arrêté par ordre du Comité de salut public, au mois d'octobre 1793, il fut d'abord détenu à la Conciergerie, esquiva son jugement, et trouva ensuite le moyen de se faire transférer à la Force il y resta oublié jusqu'au 9 thermidor, époque à laquelle il fut mis en liberté.

Depuis ce moment jusqu'à la révolution du 18 brumaire, M. Beugnot vécut ignoré. Mais à la naissance d'un pouvoir nouveau, élevé sur les débris des institutions républicaines brisées avec violence, on le voit aussitôt employé comme conseiller intime de Lucien Bonaparte, alors ministre de l'intérieur. Il s'occupa principalement, dans ce poste, de la nomination des premiers préfets, et lui-même fut nommé à la préfecture de la Seine-Inférieure, tandis que Frochot, plus décidé dans le sens démocra

er

tique, parut propre à figurer à la préfecture de Paris, alors surtout que le gouvernement, tendant au pouvoir absolu, voulait encore conserver une apparence républicaine. A la fête du 1° vendémiaire an 9 (22 septembre 1800), M. Beugnot prononça une pompeuse apologie du gouvernement consulaire. On avait remarqué dans son discours d'installation à la préfecture de Rouen le passage suivant: « Nous avons reçu la paix avec reconnaissance; nous recevons la guerre avec fermeté; nous la ferons comme les Français savent la faire. Les enfans de la vieille' Neustrie n'ont pas encore oublié le chemin de la Grande-Bretagne; nos pères lui portèrent des fers, et Bonaparte n'était pas à leur tête! Le héros et le père des Français, et trente millions de bras vous seconderont. » Au mois de mars 1806, M. Beugnot fut nommé conseiller-d'État, section de l'intérieur, et remplacé dans ses fonctions de préfet par M. Savoye-Rollin; la même année, il présida le collége électoral de la Haute-Marne. L'année 1807 le vit entrer dans la carrière des hautes fonctions. Napoléon le chargea alors, conjointement avec d'autres conseillers-d'État, de l'organisation du royaume de Westphalie, destiné à son frère Jérôme, dont M. Beu gnot devint le ministre des finances. Au mois de mai 1808, étant de retour à Paris, M. Beugnot rentra au conseil-d'État, et au mois de juillet de la même année, il fut nommé commissaire-impérial et ministre des finances du grand-duché de Berg et de Clèves. C'est pendant cet intervalle qu'il fut fait comte de

l'empire et officier de la Légion-d'Honneur. La fatale retraite de Leipsick le força à quitter l'administration du grand-duché de Berg, et à rentrer en France au mois de novembre 1813.

A la chute de Napoléon, M. Beugnot se trouvait à Lille, où il avait été envoyé pour y administrer par intérim la préfecture du Nord, vacante par la maladie de M. Duplantier. Il y reçut, au commencement d'avril 1814, l'extrait du procès-verbal de la première séance du gouvernement provisoire, qui le nommait commissaire pour l'intérieur. Dans ces nouvelles fonctions, qui ne durèrent que jusqu'au 13 mai suivant, il borna, pour ainsi dire, ses travaux administratifs à l'érection en plâtre de la statue de Henri IV sur le terre-plein du Pont-Neuf. En latiniste exercé, il composa à ce sujet l'inscription suivante, dans le vrai style lapidaire :

Ludovico reduce,

Henricus redivivus.

Le 18 du même mois, dans l'organisation du gouvernement de Louis XVIII, il fut nommé au ministère de la police, transformé en direction générale.

Les talens de M. Beugnot, presque exclusivement bornés à l'administration financière, ne donnaient guère lieu d'espérer que sa direction de la police pût être marquée par des actes d'une grande importance; aussi ne le fut-elle point.

Cependant le nouveau directeur avait cru faire

entendre qu'il voyait ses importantes fonctions sous un point de vue élevé et digne d'un homme d'État. Il avait comparé la police à une goutte d'huile, qui filtre dans les ressorts' du gouvernement, et les empêche de faire du bruit. Cette comparaison heureuse, sans doute, aux yeux de son auteur, ne parut que ridicule à ceux du public, qui la traduisit par ces mots du soldat maraudeur: Il faut plumer la poule sans la faire crier.

Mais ce qui parut plus plaisant, ce fut la fameuse ordonnance que M. Beugnot rendit sur la célébration forcée du dimanche, en vertu de laquelle un véritable embargo se trouva mis sur toutes les boutiques de marchands autres que celles des pharmaciens, herboristes, épiciers, boulangers, bouchers, charcutiers, traiteurs et pâtissiers, auxquels seuls il était permis de tenir les leurs entr'ouvertes, sans toutefois exposer ou étaler leurs marchandises. Dans ces exceptions ne figuraient point les limonadiers: aussi la foule des spirituels habitués des cafés exerça son humeur satirique sur cette ordonnance wisigothe, et, en s'emparant de l'exception faite en faveur des pharmacies, on s'égaya sur ce mot, que les déjeuners au café seraient remplacés par des déjeuners suivant l'ordonnance.

On ne s'occupa point alors d'une particularité importante de cet acte semi-théocratique, ce fut son illégalité évidente.

D'abord il disposait par forme de réglement général, quoiqu'émanant de la seule autorité de M. le

directeur, tandis que, suivant l'article 14 de la Charte, il n'appartient qu'au roi de faire des réglemens généraux. En second lieu, on s'y appuyait de lois et de réglemens antérieurs, qu'on disait non abrogés, ce qui était une erreur. De là, sans doute, la création de la loi du 18 novembre suivant, sur le même objet, qui fit disparaître l'irrégularité de l'ordonnance et donna à ses dispositions légèrement modifiées la sanction constitutionnelle.

A côté de cette ordonnance figurait celle qui rétablissait les processions et la célébration obligée de la Fête-Dieu.

Voilà à quoi se réduisit, avec quelques autres actes insignifians, l'administration de la police entre les mains de M. Beugnot. Il serait difficile d'assigner les motifs réels qui le portèrent à ordonner une pareille mesure, en l'assumant ainsi sur lui seul. On a pu raisonnablement supposer qu'elle lui avait été dictée par des volontés supérieures..

Ce que l'on peut louer dans M. Beugnot, directeur de la police, est le mépris qu'il afficha pour les espions politiques. Il les compara, dans une pièce officielle, au corps gras, qui salit et tache tous ceux sur lesquels il se répand.

En quittant ce poste, au 3 décembre 1814, M. Beugnot passa au ministère de la marine, dont il garda le portefeuille jusqu'au retour de Napoléon de l'ile d'Elbe. Cet événement le fit tenir à l'écart pendant quelques jours, après lesquels il se décida à rejoindre à Gand la famille royale. A la seconde restauration,

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