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elle lui fit donner la lieutenance-générale de la police de Paris, charge que Feydeau de Marville venait de quitter, et que Berryer conserva jusqu'au 29 octobre 1757.

Homme médiocre, le successeur de Feydeau de Marville se serait trouvé au-dessous des fonctions difficiles de cette magistrature importante, si l'exercice n'en avait été rendu aisé par l'organisation savante de La Reynie et du premier d'Argenson.

TAYLOA

Tout le savoir faire de Berryer se borna à encourager l'espionnage et la délation. C'est au moyen de cette ressource extrême qu'il dut la révélation d'une lettre écrite à la comtesse d'Estrade, dans la LCH quelle d'Argenson ne ménageait ni le roi ni madame de Pompadour. Abusant d'un secret acquis à d'aussi misérables conditions, il alla faire part de sa découverte au roi, qui disgracia son ministre.

Cette conduite honteuse lui acquit entièrement les bonnes grâces de l'impudique marquise.

Pour lui plaire, magistrat indiscret et bassement flatteur, il lui cachait les plaintes dont elle était l'objet, et livrait à sa curiosité tous les secrets de sa place. Poussant le zèle, à l'égard de cette complaisante royale, jusqu'à l'arbitraire le plus révoltant, non-seulement il employait toute son activité à déjouer les manœuvres employées contre elle, ainsi qu'à découvrir et à punir les écrivains et les poètes qui la peignaient sous ses véritables couleurs, mais encorc il peuplait la Bastille de ses nombreux ennemis.

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On sait que la marquise de Pompadour employait tous les moyens possibles, tous ceux même que la complaisance la plus indigne peut suggérer, pour se conserver auprès de son royal et lascif amant.

Ce fut elle, croit-on, qui imagina de mettre sous les yeux du roi, pour le divertir, le tableau fidèle des événemens de l'intérieur des maisons de débauche. On croit également, et avec quelque apparence de raison, que Berryer a été le premier des lieutenans de police qui se soit occupé de ce travail immonde.

« La police était péniblement occupée, chaque jour, à rechercher, à recueillir dans tous les mauvais lieux de cette capitale, les noms de toutes les personnes qui avaient la faiblesse de s'y rendre; et même, ce qui est plus honteux, à décrire avec détail la nature des plaisirs que ces personnes y avaient pris. On en faisait des rapports, on en dressait des procès-verbaux en forme; et ce ramas de souillures était régulièrement offert au roi, qui s'en ainusait, ou bien y trouvait des exemples de corruption propres à autoriser la sienne.

« L'archevêque de Paris (1), sans doute plus inspiré par son zèle que par son goût, voulut être de moitié dans cette royale curiosité; on lui faisait parvenir les doubles des procès-verbaux dressés contre les prêtres pris en flagrant délit (2). »

(1) Christophe de Beaumont,

(2) Feuilles supprimées dans la première édition de l'Histoire de Paris, par M. Dulaure, pag. 406, 407.

Indépendamment des secrets que les agens de police obtenaient par l'exercice le plus actif de leurs sales fonctions, les mattresses de maisons étaient obligées à l'envoi de notes spéciales, destinées à aider la rédaction ou à augmenter les faits du journal du lieutenant-général de police.

Voici l'extrait d'une des notes de la Dufrêne, fameuse appareilleuse du temps :

Du 20 juin 1953. M. Cot..., mathématicien du »roi, demeurant à Versailles, âgé d'environ quarante ans, marié. Il est entré à six heures et sorti à huit ; »il a vu la petite Raton de chez madame Huguet.

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› Du 21. M. de la R....., gouverneur de la ménagerie du roi, chevalier de Saint-Louis, âgé d'envi»ron quarante ans, garçon. Il a vu la petite Adélaïde, qui demeure au roi Salomon, rue Saint» Honoré.

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»Du 22. Le baron de Ram...., chevalier de SaintLouis, demeurant rue Hautefeuille, âgé d'environ » soixante-dix ans. Il a vu la nommée Victoire, qui > demeure chez moi. Il est entré à six heures et sorti

à sept.

Le prieur de Sézanne, en Brie, demeurant rue «Thérèse, butte Saint-Roch, âgé d'environ trentecinq ans. Il s'habille quelquefois en "petit-maître, en épée; il a vu la nommée Victoire : il est entré » à huit heures et sorti à neuf.

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»Du 23. M. le baron d'Urs, vivant de son bien,

> demeurant place Vendôme, âgé d'environ quarante» cinq ans, garçon; il a vu la nommée d'Arby, de

» meurant près du Luxembourg: il est entré à sept. » heures et sorti à neuf.

M. de Crem...., grand chevalier de l'ordre des >> Cordons-Rouges, lieutenant-général des armées du roi, frère de M. de La Boss...., trésorier des états » de Bretagne, demeurant avec lui, rue des Capu» cines, près de la place Vendôme, âgé d'environ cinquante-cinq ans ; il a vu la nommée Adélaïde, qui demeure au roi Salomon : il est entré à neuf >> heures du soir, sorti à dix et demie.

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» Du 24. M. de Ger....., cordon-rouge, trésorier » de la marine; garçon, âgé d'environ trente ans, de» meurant place Vendôme; il a vu la Victoire : il est » entré à huit heures, sorti à neuf.

»Du 25. M. de P..... d'Arg..... est venu à dix heu» res du soir; il..... (1) par Victoire.

>> On a oublié du jeudi.

» M. la Ser.., ambassadeur de Portugal, demeu> rant rue Richelieu, âgé de trente-six à quarante ans ; »>il a vu Agathe, de chez la Desportes : il est entré à >>huit heures et sorti à neuf. »

Signé, femme DUFRène (2).

(1) Le lieutenant-général de police lisait souvent des mots techniques qui ne paraissaient pas trop blesser sa pudeur, puisque toutes les notes de ces femmes en contiennent un assez grand nombre.

(2) La Bastille dévoilée, 3o liv., pag. 154.

Une reconnaissance sans bornes devint le prix d'une condescendance sans limites.

En 1755, le gouvernement ayant l'intention d'augmenter la population des colonies, et en même temps d'arrêter les effets de la mendicité en France, le lieutenant- général de police de Paris reçut l'ordre de faire ramasser les vagabonds, et surtout les enfans errans dans les rues. Cette mesure, mala» droitement exécutée, excita une grande rumeur parmi le peuple, et il se répandit que les enfans » qu'on enlevait ainsi étaient secrètement égorgés » pour faire un bain de sang au dauphin, tombé, disait-on, dans une espèce de paralysie...

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Soit qu'on crût à cette absurdité, soit qu'on eût l'air d'y ajouter foi pour exercer quelque vengeance contre un magistrat détesté, il se forma un attroupement considérable devant l'hôtel de la police, situé alors rue Saint-Honoré, près de Saint-Roch; on cassa toutes les vitres, on massacra un exempt sur les marchés de l'église.

Effrayé du danger qui le menaçait, Berryer se sauva par une porte de derrière. Sa femme, au contraire, fit ouvrir les grandes portes de l'hôtel, et parut en peignoir sur son balcon. Cet acte de courage imposa aupeuple; il se retira. Mais en voyant le parlement sévir contre Berryer, et ne le punir autrement que par la recommandation d'être à l'avenir plus circonspect, il resta persuadé que le lieutenant-général de police était plus coupable qu'il ne l'avait pensé d'abord; et la cour, en sacrifiant le favori de madame de Pom

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