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les hommes populaires frappés par cet événement, il n'avait accusé aucun d'eux, et n'avait fait porter ses déclarations que sur des faits de peu d'importance.

Dans l'exercice de ses fonctions à la commune, il essaya souvent de modérer les violences qu'on voulait exercer. Aux Jacobins, il s'éleva nombre de fois contre la multiplicité des arrestations, en faveur de la liberté de la presse, et contre l'établissement des commissions populaires, qui attentaient avec non moins d'audace que d'impunité à la fortune, à la liberté, à la vie d'une foule de citoyens.

Tant de courage et d'humanité ne tardèrent pas à trouver leur récompense : dénoncé, en l'an 2, comme partisan de la liberté indéfinie de la presse et ennemi des comités, il fut arrêté quelque temps avant la mort de Danton et de Camille-Desmoulins, et enfermé au Luxembourg.

Les malheureux prisonniers y étaient environnés d'espions, détenus comme eux, qui faisaient des listes de soi-disant conspirateurs, et les envoyaient aux comités conventionnels qui les adressaient ensuite au hideux Fouquier-Tinville. Plusieurs fois le nom de M. Réal figura sur les arrêts de mort; des amis veillaient pour lui et l'en firent rayer.

Le o thermidor rendit M. Réal à sa famille, et le 9 décida à s'attacher au parti thermidorien, comme lui paraissant le plus propre à assurer les intérêts du

pays.

Mais loin d'abandonner alors ses compagnons d'infortune du Luxembourg, il se hâta de faire con

naître plusieurs de ces détestables espions qui ajoutaient encore au chagrin de leur captivité, et rendit de la sorte des services importans à beaucoup de personnes qu'un juste mécontentement eût pu compromettre, et qui ne seraient plus sorties de leur prison que pour aller à l'échafaud.

Il se fit dès lors défenseur officieux, ce qui ne l'empêcha pas de suivre la société des Jacobins, où il dévoila, l'un des premiers, les nombreux forfaits de la faction de l'infâme Robespierre; où, l'un des premiers, il se prononça avec une telle énergie contre les crimes de quelques proconsuls, que lorsque Carrier fut traduit devant le tribunal révolutionnaire régénéré, ce scélérat récusa plusieurs jurés, sur le seul soupçon qu'ils étaient liés avec M. Réal.

Toujours porté à la sagesse et à la modération, M. Réal établit, de concert avec Méhée, le Journal des patriotes de 89, dirigé contre tous les fauteurs d'excès. Malgré le succès de cette entreprise, son créateur l'abandonna bientôt, pour s'occuper de l'affaire de Tort de la Sonde, et sans doute aussi parce qu'il fut nommé historiographe de la république par

le Directoire.

Sa conduite comme défenseur a toujours été celle d'un honnête homme; ennemi ou ami, pauvre, riche, exalté ou modéré, royaliste ou républicain, aucun n'a en vain imploré le secours de son éloquence et même celui de sa bourse. On l'a vu défendre des malheureux, et prodiguer des secours à leur famille.

- Les membres du comité révolutionnaire de Nantes, la tête couverte encore du sang de leurs compatriotes, mis en jugement, prièrent M. Réal de se charger de leur défense. A l'exception de Carrier et de Grand-Maison, le défenseur, qu'on blâma beaucoup d'avoir prêté sa voix à de pareils accusés, parvint à les sauver tous en faisant valoir avec beaucoup d'art et de chaleur ce moyen difficile à excuser, que leurs crimes n'avaient pas été commis dans des intentions contre- révolutionnaires. Les crimes étaient-ils prouvés? Oui, le sang devait répondre du sang!

L'affaire de Tort de la Sonde, dans laquelle il déploya une rare énergie, servit mieux sa réputation. Vers la fin de 1795, le Directoire avait dénoncé Tort de la Sonde, qu'il accusait de correspondance avec l'ennemi. Acquitté au tribunal révolutionnaire, sur la défense de M. Réal, il fut conduit à Bruxelles par suite d'un arrêté du Directoire; M. Réal l'y suivit et l'enleva une seconde fois à ces nouvelles poursuites judiciaires.

Tort de la Sonde dénonça à son tour le Directoire, son dénonciateur. M. Réal rédigea l'acte d'accusation adressée aux deux conseils, lesquels, après de longues et vives discussions, passèrent à l'ordre du jour.

Une cause dans laquelle M. Réal montra un véritable talent, fut celle des individus compromis dans la conspiration de Babeuf. Il alla les défendre à la haute-cour de Vendôme, et parvint à faire déclarer

qu'il n'y avait pas eu de conspiration. Mais l'accusateur public Viellard manœuvra avec tant de succès, qu'il obtint des mêmes jurés qui avaient prononcé l'absolution, et la même nuit, la déclaration que les accusés avaient publié des pamphlets contre-révolutionnaires : c'est pour ce délit secondaire, auquel on fit l'application d'une loi qui avaient cessé d'être en vigueur depuis plus de quinze jours, que l'on condamna à mort Babeuf et Darthé. Tous deux s'étant poignardés en entendant leur condamnation, on les conduisit à la guillotine, l'un mourant et l'autre mort.

Aux élections du mois de mai 1798, les amis de M. Réal essayèrent de le porter au conseil des CinqCents; mais le ministre Merlin, alors directeur, paralysa leurs efforts. Celui-ci ayant succombé luimême lors du mouvement du 30 prairial an 7 (18 juin 1799), M. Réal fut nommé commissaire du gouvernement près du département de la Seine.

Son élévation aux emplois ne devait plus tarder. Fatigué de la fluctuation des partis, de la tyrannie, de la cruauté et de l'impéritie de ces nombreux gouvernans qui naissaient et mouraient au sein de l'intrigue et des factions, M. Réal prit une part active à la révolution du 18 brumaire, et fut immédiatement nommé conseiller-d'État, section de la justice, où il discuta avec une grande habileté différentes questions législatives de la plus haute impor

tance.

Au mois de mars 1804, le nommé Querelle, qui

de

venait d'être condamné à mort, avait écrit pour mander à faire particulièrement des déclarations. Le premier consul, sans penser que cet homme eût à communiquer des secrets de quelque importance, et guidé seulement par un sentiment de pitié, chargea M. Réal de l'entendre quelques heures après, le premier consul avait une parfaite connaissance du projet de Georges, envoyé d'Angleterre en France pour l'assassiner.

Chargé des interrogatoires et de tous les détails de la première instruction de cette conspiration, M. Réal s'en acquitta avec tant de zèle et de prudence, que le consul le nomma commandant de la Légion d'Honneur et lui fit un don de cent mille francs.

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M. Réal eut alors le premier arrondissement de la police générale de l'empire (1), qu'il conserva jusqu'en 1814.

Un espion, nommé Méhée de la Touche, dans un pamphlet qu'il a publié en 1823, sans doute pour toucher, non le gouvernement, mais la police du gouvernement royal, a tenté de rélever son honneur par de hautes accusations contre quelques personnages de l'époque. Ainsi, il a osé dire que M. Réal et M. le duc de Rovigo avaient voulu le charger, en 1813, d'aller assassiner Bernadotte. Je cite ici ce fait, que des malveillans ou des gens peu

(1) Voir p. 389.

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