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instruits pourraient vouloir reproduire, afin de l'ac- ́ compagner de l'unique qualification qui lui convient : c'est un affreux mensonge.

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Il ne s'est pas borné là. Il a avancé que M. Réal avait voulu faire de lui un dénonciateur de circonstance contre Moreau. Quand le caractère de M. Réal ne suffirait pas pour le défendre, il faut se demander si ce fonctionnaire avait besoin de recourir à cet odieux stratagême. Non, certes: il a eu entre les mains les déclarations accusatrices de Moreau, écrites de la main même du général, et les possède peut-être encore.

Méhée a dit que M. Réal n'avait pas été à Vincennes, le 21 mars 1804, pour procéder à l'interrogatoire du duc d'Enghien; et cela est vrai. Mais une explication est ici indispensable.

. Dans la matinée du 20 mars, le premier consul chargea M. Réal d'interroger le duc d'Enghien lorsqu'il serait arrivé à Paris. M. Réal apprit, le soir, assez tard, que le prince était à Vincennes ; et comme il se disposait, le lendemain, à cinq heures du matin, à partir pour aller remplir sa mission, M. Harel vint lui apprendre que tout était fini!

On doit croire que si M. Réal eût pu voir le prince, il n'y aurait pas de chapelle expiatoire aujourd'hui à Vincennes.

Incontestablement, quelqu'un est coupable de la précipitation apportée dans cette affaire. Est-ce le consul? Je ne le pense pas.

Voici quelle fut la coopération de M. Réal dans

la conspiration Mallet, qu'on ferait mieux de nommer conspiration de l'abbé Lafon.

M. Réal n'a point été chez le général Hullin. Il était dans son hôtel, qui fait le coin des rues de Bourbon et des Saints - Pères, au moment où les conjurés s'emparaient de M. le duc de Rovigo. Entendant le bruit que faisaient, devant son hôtel, les soldats dont ils s'étaient fait accompagner, M. Réal envoya un domestique s'informer de la cause de ce bruit. Le domestique demanda à passer, de la part de M. le comte Réal. On lui répondit: Il n'y a plus de comte. M. Réal apprit qu'on arrêtait M. le duc de Rovigo; il devina aussitôt la conspiration, et, s'adressant à M. Rolland, son secrétaire intime et son' allié, il lui dit : Commençons par nous mettre hors de cour. En effet, ils sortirent pendant qu'on mettait les chevaux à la voiture, et se rendirent chez l'archichancelier Cambacérès. M. Réal revint ensuite au ministère, où il fit arrêter Lahorie, qui s'était fait ministre, le siége vacant.

La première restauration le laissa à la vie privée. • On a prétendu qu'en mars 1815 il n'avait pas été étranger au retour de Bonaparte; mais il faut placer ce conte ridicule à côté de la fameuse conspiration que les sots et imprévoyans ministres des Bourbons, afin d'écarter la terrible responsabilité qui pesait sur leurs têtes, ont soutenu depuis avoir été ourdie à cette époque, pour rappeler le souverain de l'ile d'Elbe, comme si la faiblesse, l'incapacité, la mauvaise foi, la marche équivoque de ces ministres,

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si bien secondés par les fautes des princes, leurs funestes voyages, et l'insolence menaçante de l'émigration, n'avaient pas été des motifs plus que suffisans pour aliéner le peuple français contre ceux qui ne lui offraient ni sûreté, ni protection, ni gloire. Fautil s'étonner, au reste, que vingt-cinq ans d'adversité, et les leçons récentes de 1814 et 1815, aient été perdues pour certains hommes, lorsqu'en février 1820 on jette les yeux sur le déplorable spectacle qu'offre le gouvernement de la France, proclamant hautement le mépris des sermens les plus solennels, la ruine de toutes les garanties sociales données par lui-même, et appelant de sang-froid le retour des révolutions. qui menacent de l'anéantir (1). »

Au retour de l'île d'Elbe, le 20 mars, le comte Réal ne se présenta point au château; Napoléon le fit chercher, l'entretint particulièrement, et le garda jusqu'à minuit: le lendemain il était préfet de police, fonctions qu'il exerça jusqu'au 2 juillet, époque à laquelle la commission de gouvernement le fit remplacer par M. Courtin, sur sa demande, dit l'arrêté, et attendu son indisposition.

Compris dans l'ordonnance du 24 juillet 1815, il s'est d'abord retiré à Bruxelles, puis à Anvers, où le ministre Decazes lui fit demander quelques papiers secrets.

(1) Galerie historique des Contemporains, tom. VIII, pag. 25-26.

Il paraît que le gouvernement français le voyait avec peine résider dans les Pays-Bas, car l'ambassadeur La-Tour-du-Pin réclama plusieurs fois avec instance son éloignement, et les ministres hollandais lui renouvelèrent souvent l'invitation de presser son départ.

Force lui fut enfin de quitter des lieux où du moins il entendait encore parler la langue de son pays! Il se rendit à New-York, où il établit une fabrique d'épuration des huiles de poisson, dont il s'était autrefois occupé en France.

Au moment où une ordonnance royale le rappelait dans sa patrie (1818), M. Réal venait d'acquérir un domaine assez considérable au cap Vincent, sur le lac Ontario, pour y transporter son établissement, perfectionné chaque jour par son industrie et ses soins. Là, sur une terre d'exil, le comte de l'empire recevait quelquefois la visite du roi déchu d'Espagne, Joseph Napoléon. Ce prince aimait la société d'un des plus fidèles serviteurs de son frère; il se croyait encore en famille.

Sans doute c'est M. Decazes qui a fait décider le rappel de M. Réal; mais la demande aa roi a été faite à l'insu de l'exilé par ses amis, et notamment par des députés qu'il avait sauvés lors de leur tradition à une commission militaire comme chouans. Toutes les démarches à ce sujet font le plus grand honneur à M. de Solignac.

A beaucoup d'esprit et de gaîté, Réal joint un grand fond d'obligeance, et les nombreux services

qu'il a rendus, dans les diverses situations où les événemens l'ont placé, justifient notre assertion. On lui a reproché un dévoûment aveugle aux volontés et au pouvoir de Napoléon, nous ne croyons pas devoir le défendre de cette accusation..

Ni moi non plus : tant d'hommes ont comblé la mesure d'infortunes de l'empereur par leurs infâmes trahisons, qu'un serviteur resté fidèle me semble digne d'éloge, mériter l'estime des honnêtes gens, et n'avoir aucunement besoin d'être défendu pour un sentiment que la reconnaissance et l'honneur justifient suffisamment.

On a élevé très-haut la fortune de M. Réal; c'est à tort il est à peine à l'abri du besoin, ayant été obligé de vendre son hôtel de la rue de Bourbon et sa terre d'Enneri, pour remplir d'anciens engagemens. Dépossédé de toutes ses dotations, et même des actions qu'il possédait sur le canal du Languedoc, il attend que cette confiscation illégale (1) soit révoquée pour donner suite à l'objet d'une industrie nouvelle qui l'occupe en ce moment (2).

M. Réal n'est rentré en France qu'à la fin de mai 1827.

Parmi les écrits qu'il a publiés, on cite de lui:

(1) L'ordonnance de confiscation est du 25 mai 1816. Elle est contresignée par le comte Pradel, intendant de la maison

du roi.

(2) C'est une machine à vapeur pour laquelle il a obtenu un brevet d'invention.

« EelmineJätka »