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pas d'inquiéter les républicains, et de lui attirer de leur part plus que de la surveillance. Il parvint cependant à se faire rayer de la liste des émigrés, où on l'avait porté lors de son premier voyage en Allemagne; mais les différentes autorités qui se succédèrent, ne le jugèrent pas assez sincère pour lui confier aucun emploi.

Ainsi, dès ses premiers pas dans la carrière politique, M. de Bourienne, placé entre deux partis, soit qu'il les ait servis tous deux, soit qu'il ait mal servi celui auquel il s'était attaché, est repoussé par l'un et par l'autre. Il reste dans l'abandon et l'oubli.

Enfin, en 1797, les triomphes inouïs de son ancien condisciple lui font tourner les yeux vers cet astre nouveau. Il écrit au général Bonaparte, lui demande une place auprès de lui, et bientôt va le rejoindre à Glatz. Le général, fidèle au souvenir d'une ancienne amitié, accueille M. Bourienne, et l'attache à sa personne en qualité de secrétaire intime. M. Bourienne suit son protecteur ou plutôt son ami dans ses campagnes d'Italie et d'Égypte; il revient avec lui, il l'accompagne à Saint-Cloud, aux Tuileries, il jouit de toute la confiance du premier consul, et n'a plus de rivaux en crédit ; enfin il est nommé conseillerd'État le 20 juillet 1801.

Voici ce qu'on lit dans les Mémoires du duc de Rovigo, sur la position de M. de Bourienne auprès de son ancien condisciple devenu son chef:

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Depuis que le premier consul exerçait l'autorité suprême, sa vie n'était qu'un travail continuel. Il

avait pour secrétaire particulier M. de Bourienne, qui avait été l'ami de son enfance, et il lui faisait partager toutes ses fatigues. Il le mandait souvent plusieurs fois dans la nuit, et exigeait en outre qu'il fût chez lui dès les sept heures du matin. Bourienne s'y rendait assidûment avec les journaux, qu'il avait déjà parcourus. Le premier consul les relisait presque toujours lui-même, expédiait quelques affaires et se mettait à table dès que neuf heures sonnaient. Son déjeuner, qui durait six minutes, achevé, il rentrait dans son cabinet, en sortait pour dîner, y rentrait immédiatement après pour ne le quitter qu'à dix heures du soir, qui était l'heure à laquelle il se couchait.

» Bourienne avait une mémoire prodigieuse; il parlait, écrivait plusieurs langues, faisait courir sa plume aussi vite que la parole. Ces avantages n'étaient pas les seuls qu'il possédait. Il connaissait l'administration, le droit public, et avait une activité, un dévoûment qui en faisaient un homme indispensable au premier consul. J'ai connu les divers moyens qui lui avaient valu la confiance illimitée de son chef; mais je ne saurais parler avec la même assurance des torts qui la lui ont fait perdre.

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Ces torts étaient, dit-on, la part que M. le secrétaire avait prise dans les spéculations de la maison Coulon, dont les opérations furent jugées frauduleuses. L'auteur que je viens de citer dit qu'on l'accusa de péculat, et il cherche à le justifier en présentant ses accusateurs comme jaloux et envieux de son crédit, ou mécon

tens qu'il ne l'eût pas employé à leur avantage. Mais la conduite postérieure de M. de Bourienne semble démentir cette justification.

Quoi qu'il en soit, le premier consul, qui n'abhorrait rien tant que les moyens illégitimes d'acquérir de l'or, après avoir démandé à ce sujet l'opinion de l'intègre et rigide M. Barbé-Marbois, se détermina à renvoyer son secrétaire. Les attributions de cet emploi furent en partie réunies à celles de M. Maret, et M. de Bourienne fut remplacé au cabinet par M. de Menneval, homme d'honneur et de talent, qui se concilia l'affection du premier consul, et justifia sa faveur par un dévoûment qui ne s'est jamais démenti. On verra plus tard qu'il n'en a pas été de même de celui de M. de Bourienne.

Cependant les souvenirs d'une ancienne amitié, toujours puissans sur l'âme de Napoléon, plaidaient encore en faveur du secrétaire disgracié. L'intervention de quelques amis, et spécialement celle de Fouché, rendit ces dispositions efficaces, et M. de Bourienne fut nommé à la place de chargé d'affaires de France à Hambourg, avec le titre d'envoyé extraordinaire près le cercle de Basse-Saxe. Il se trouvait, à raison de cet emploi, en relation de fonctions avec le maréchal Brune, alors gouverneur de Hambourg, et avec Lachevardière, consul dans cette station, pour les affaires commerciales. Bientôt un cri unanime se fit entendre dans le Nord, et des dénonciations sans nombre firent connaître à l'empereur les exactions et les concussions de ses agens. Brune fut rappelé et

envoyé en exil; Lachevardière en fut quitte pour la perte de sa place, et M. Bourienne, malgré toutes les inculpations dont il était chargé, conserva la sienne et continua de résider à Hambourg jusqu'en 1813, époque où les désastres de notre armée obligèrent tous les agens français à évacuer l'Allemagne.

Ainsi M. de Bourienne avait profité, jusqu'au dernier moment, d'une faveur qu'il eût dû d'autant plus reconnaître, qu'elle était le résultat d'une affection personnelle que ses torts, vrais au faux, n'avaient pas entièrement détruite.

Je laisserai parler son défenseur, M. le duc de Rovigo :

. Revenu à Paris, il (M. Bourienne) y retrouva tous les ennuis qu'il avait déjà essuyés. L'intrigue qu'il l'avait déplacé du cabinet s'effraya de la la possibilité du retour à la faveur d'un homme de talent, et ne ménagea rien pour dissuader l'empereur de le reprendre ou même de l'employer à quoi que ce fût. On lui rapporta, sur le compte de M. de Bourienne, des absurdités qui furent suivies de mille tracasseries. Se voyant à la fois abandonné du souverain, et en butte à des persécutions, Bourienne se rangea parmi les ennemis de l'empereur.

» Je ne l'approuve pas, mais je le plains, parce que j'ai connu toute l'injustice des reproches qui lui étaient adressés. Je l'ai défendu tant que je l'ai pu, et toutes les fois que j'ai parlé de lui j'ai trouvé l'empereur bienveillant pour son ancien secrétaire ; pas tenu à moi qu'il l'employât d'une manière

il n'a

convenable, ni que Bourienne ne devînt pas son ennemi. Je ne pus y réussir; Bourienne épousa le parti contraire, et y porta son activité et son talent. Il connaissait tous les replis du cœur de Marmont ; il avait été intimement lié avec lui pendant la guerre d'Italie et celle d'Egypte, et il était trop habile pour n'avoir pas aperçu le côté par lequel il fallait l'attaquer. Il avait d'ailleurs un auxiliaire capable de corrompre le cœur que Talleyrand avait intérêt à gâter: c'était Montessui, ancien aide-de-camp du maréchal, à qui aucun des mouvemens de l'âme de son chef n'avait échappé.

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M. de Bourienne se trouva ainsi un des premiers agens de l'intrigue qui amena la capitulation de Paris et la perte de Napoléon. Le prince de Talleyrand, alors président du gouvernement provisoire, ne tarda pas à récompenser le zèle de son affidé : il le fit nommer à la place de directeur général des postes, dont celui-ci prit possession le 5 avril 1814. Il ne conserva cet emploi que jusqu'à l'arrivée du roi, qui, en le nommant conseiller-d'État honoraire, c'est-à-dire sans fonctions, lui avait donné immédiatement pour successeur M. Ferrand.

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Pendant la courte durée de sa gestion à l'administration des postes, M. de Bourienne eut occasion de servir, en ce qui dépendait de lui, les obscurs complots de son nouveau protecteur, Talleyrand. Il s'agissait de la mission de Maubreuil, mission dont un procès récent vient de réveiller le honteux souvenir, et dont on a voulu en vain cacher le vé

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