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DUBOIS

(LOUIS-NICOLAS-PIERRE-JOSEPH), comte.

Il est des hommes que l'on voit suivre tous les partis sans s'attacher spécialement à aucun, et qui prouvent, par le genre même de leur adhésion au parti du moment, qu'ils ne sont mus dans un pareil acte que par le désir d'augmenter leur fortune, et non par aucune espèce de dévoûment et d'affection. On peut et l'on doit sans doute mépriser de tels caractères ; mais on n'éprouve pas, en les voyant changer de masque, ce sentiment pénible que fait naître la défection de ceux qui, pendant de longues années de prospérité, ont servilement embrassé les intérêts d'un pouvoir, l'ont soutenu de tous leurs moyens et au prix même de leur réputation, pour le renier au moment de sa chute, et y contribuer autant qu'il est en eux. Le comte Dubois a partagé jusqu'à un certain point l'ingratitude de ces derniers; je dis jusqu'à un certain point, car il y en a qui, placés dans la même catégorie que lui, ont tenu une conduite bien plus odieuse, et profitent encore des fruits honteux de leur défection.

Celle de M. Dubois, qui ne l'empêcha pas de prendre part aux affaires de 1815, n'a pu cependant le ga

lavau parmi les conseillers d'État en service extraordinaire.

rantir d'un abandon total à la seconde restauration. Heureux si, rendu à la vie privée, il a pu jouir avec tranquillité des richesses qu'il avait amassées, sans être obsédé par de fâcheux souvenirs. Quelques événemens de sa vie peuvent faire soupçonner le contraire.

Dire que M. Dubois avait été avocat au parlement avant 1789 rend presque inutile d'ajouter qu'il embrassa avec ardeur les principes de la révolution. Quel homme éclairé ne suivit cet élan général à moins qu'un intérêt personnel ne l'en détournât, et combien n'en fut-il pas qui, pour cette cause, sacrifièrent les avantages que leur procurait le régime qu'ils se hâtaient de combattre! Il n'est donc pas étonnant qu'un simple procureur au Châtelet, tel qu'était M. Dubois, ait partagé les opinions de l'époque. Avant d'occuper cette charge, il avait été, comme il vient d'être dit, avocat au parlement, puis prévôt des justices, seigneuriales de Montgeron-Vignieux et de Passy.

Dans les premières années de la révolution il fut nommé juge de l'un des tribunaux civils de Paris, puis et successivement président du tribunal criminel, commissaire du Directoire près la municipalité du dixième arrondissement, et enfin inembre du bureau central chargé de la police particulière de la capitale.

Après le 18 brumaire an 8 (9 novembre 1799), le gouvernement consulaire, jugeant utile à ses vues de mettre le département de la police sous la direction

d'un chef unique, choisit M. Dubois pour remplir ces fonctions sous le titre de préfet de police, créé à cette occasion le 8 mars 1800.

C'est ce poste qui le mit au grand jour; c'est en l'exerçant avec toute la dureté et l'arbitraire qui conviennent à un agent, non-seulement dévoué, mais soumis en esclave aux volontés d'un maître impérieux, que M. Dubois obtint les titres et les dignités dont le revêtit le chef de l'État. Son attachement particulier aux intérêts personnels de Napoléon, et le joug étroit que ce dernier imposait aux magistrats comme aux citoyens, ne peuvent excuser une foule d'actes tyranniques qui lui sont justement imputés.

Ce fut surtout lors des attentats des 18 vendémiaire an 9 et 3 nivôse suivant, que le préfet de police Dubois déploya le plus de zèle et de dévoùment. Ses investigations, suivies avec une activité et une habileté extraordinaires, éclairèrent tous les points de ces deux affaires compliquées. Celle du 5 nivôse (explosion de la machine infernale) présentait d'autant plus de difficultés pour en découvrir les agens, que l'opinion publique dirigeait les soupçons sur une classe d'hommes (les jacobins) que le premier consul lui-même s'obstinait à regarder comme les véritables auteurs de ce crime.

On peut voir dans le rapport fait aux trois consuls, le 13 pluviôse, par le préfet Dubois, quels soins ce magistrat avait apportés à l'instruction de cette affaire. Il y dénoue tous les fils du complot, en désigne les coupables et remonte à sa véritable source en dévoi

D

lant la correspondance des inculpés avec les chefs de chouans. «Fouchet, que j'ai fait arrêter le 9 pluviôse, est-il dit dans ce rapport, était à la fois palefrenier de Bourmont, et domestique de Châteauneuf, chef de chouans, amnistié. Etplus loin : «J'ai fait examiner et analyser par les administrateurs généraux des poudres et salpêtres la poudre trouvée chez les femmes Vallon, (soeur et nièces d'un des principaux accuses) ; ils ont constaté qu'elle n'avait pas été fabriquée dans les poudreries nationales; ils ont aussi reconnu absolument pareille la poudre qui avait été trouvée chez plusieurs chouans amnistiés, détenus au Temple. » Enfin, il établit que les auteurs immédiats de l'attentat du 3 nivôse n'étaient que les agens et les émissaires du général Georges, assassin en chef du parti anglais.

Mais avant ces éclaircissemens, M. Dubois, dominé sans doute par l'opinion du premier consul, lui disait, dans une harangue du 6 nivôse (27 décembre 1800) : «..... Ces coupables ne sont pas des Français; ils n'appartiennent à aucune nation. Ce sont les mêmes qui, dès les premiers jours de la révolution, se sont montres ses ennemis, mais se sont placés dans les rangs des amis de la liberté pour rendre la révolution odieuse; ce sont les mêmes qui, le 2 septembre, empruntant le langage et jusqu'aux formes de la justice, en renversèrent la statue, jetèrent sur ses tables un voile sanglant, foulèrent aux pieds sa balance, et s'armèrent de son glaive pour égorger des prisonniers; ce sont les mêmes qui massacraient

à Versailles les malheureuses victimes d'Orléans; ce sont les mêmes qui couvraient de cadavres les rivages épouvantés de la Loire ; ce sont les mêmes qui versaient des larmes de rage sur la pacification de la Vendée; ce sont enfin les mêmes qui, naguère encore, essayèrent de porter sur vous leurs poignards..... »

Ce rapport qui confirmait les soupçons du premier consul, détermina la mesure de haute police, approuvée, le 25 janvier 1801, par le sénat, et qualifiée de mesure conservatrice de la constitution. Par ce coup d'État, motivé sur de simples soupçons, on déporta aux îles Séchelles soixante-onze proscrits, sans autre formalité qu'un rapport fait au conseil-d'État par Ræderer, Siméon et Portalis. Le nombre des proscrits désignés était de cent trente individus pris parmi les jacobins, les conventionnels montagnards et les septembriseurs. On jeta en même temps, dans les prisons, une foule de royalistes, et l'échafaud vit tomber les têtes des deux bandits-chouans SaintRéjean et Carbon, dont M. Dubois avait si bien éclairé les démarches.

Ainsi on supposa que dans cette affaire, comme au 18 fructidor, il y avait eu connivence entre les jacobins et les royalistes également interressés à la désorganisation. Le chef de l'État l'entendait ainsi; la police, voulant paraître instruite avant de l'être, s'empressa de confirmer cette opinion, et des gens capables, il est vrai, de commettre un tel forfait, furent condamnés comme ceux qui l'avaient commis.

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