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padour ne servit pas moins que le parlement à tromper les esprits.

La bienveillance de la marquise n'abandonna point Berryer dans sa disgrace. Elle le fit nommer conseiller-d'état, puis conseiller au conseil des dépêches, où il lui avait paru utile de tenir un homme de confiance. En 1758, aidée du duc de Choiseul, elle le porta au ministère de la marine. Aussi déplacé dans ses nouvelles fonctions qu'il l'avait été à la tête de la police, Berryer ne fit rien pour retirer la marine de l'oubli où elle était tombée.

« Le court et pitoyable essai de M. de Massiac dégoûta de confier la marine à un homme du métier. On en revint aux maîtres des requêtes, et M. Berryer l'obtint. Chacun fut confondu d'étonnement à cette nouvelle on se demandait si l'on voulait absolument achever notre perte, avec un pareil ministre, dans la crise importante où les colonies et les affaires maritimes se trouvaient. Ce personnage, sorti de la police depuis peu, n'avait jamais annoncé aucun des talens qu'exigeait la place délicate où on l'élevait. Il était d'ailleurs sans humanité, dur, brusque, grossier même il s'était fait détester partout où il avait passé, et n'avait d'autre mérite qu'un dévoûment servile envers la favorite, et une abjection profonde auprès de ceux dont il avait besoin. Elle l'avait fait introduire au conseil des dépêches, et peu après au conseil-d'état, pour y avoir une voix de plus à elle, et surtout un espion en état de lui rendre compte de tout ce qui s'y passerait. Il avait observé que le maré

chal due de Belle-Isle y tenait le haut-bout, en était l'oracle, et il lui avait fait sa cour. Celui-ci....crut avoir trouvé l'homme qui lui convenait en M. Berryer, c'est-à-dire un agent actif et docile, qu'il mettrait en mouvement comme il voudrait, et qui se prêterait aveuglément à ses diverses impulsions. Il se trompa le nouveau secrétaire-d'état avait beaucoup d'ignorance, mais davantage encore de présomption et d'entêtement. Bas quand il avait eu besoin de capter le suffrage de son bienfaiteur, il devint, selon l'usage, insolent quand il crut pouvoir s'en passer. Minutieux par caractère et par la place qu'il avait remplie long-temps, il s'occupa de petites réformes, au lieu de seconder efficacement les mesures rigoureuses que prenait le maréchal dans son département, car la guerre et la marine devaient se prêter la main, ne pouvaient réussir l'une sans l'autre, et celle-ci fit échouer, par son défaut d'harmonie, les savantes combinaisons de l'autre.

» M. Berryer, parvenu au ministère avec la prévention, trop fondée, il est vrai, des déprédations énormes qui se commettaient dans son département, n'eut pas l'esprit de sentir qu'il fallait remettre à un temps plus opportun à remédier aux abus; qu'il fallait songer au point capital et urgent de la conservation des colonies, qui en étaient le théâtre principal, et que ce n'est pas lorsque la maison brûle qu'on doit se distraire du soin d'éteindre le feu pour empêcher les voleurs de détourner quelques effets. Etant à la police, il n'avait connu pour ressorts de son administra

tion que la délation et l'espionnage. Ce furent ceux. qu'il mit en œuvre encore. Il déterra, dans Paris, un ancien officier de plume de la marine, chassé de son corps comme mauvais sujet : il en fit son confident, son conseil, son maître même. N'osant, par un amour-propre mal entendu, avouer son ineptie à ceux qui auraient pu l'instruire en grand, il prenait sourdement des leçons de ce subalterne, non dénué de quelques connaissances du métier; mais rougissant en même temps d'un pareil précepteur, afin qu'on ne sût pas d'où et comment il tirait ses principes de marine, il le faisait venir en secret dans son cabinet par un escalier dérobé, et à des heures où les premiers commis ne pouvaient l'y surprendre. Ce manége dura quelque temps sans qu'on s'en doutât. Cependant le mentor de M. Berryer, profitant de la circonstance pour assouvir ses haines particulières, exerçait des vengeances cruelles. C'étaient, chaque ordinaire, des lettres foudroyantes aux chefs, des destitutions, des cassations de sujets, contre lesquels on n'articulait que des griefs vagues, ou anciens et non prouvés. La source de ces vexations se découvrit enfin, et le ministre fut obligé de disgracier ce petit Séjan, qui, dans son genre, avait déjà fait beaucoup de mal et s'était attiré des bienfaits pécuniaires....

» Tandis que M. Berryer portait l'attention la plus sérieuse à ces petits détails, qu'il supprimait quelques officiers de plume, qu'il retranchait les appointemens à d'autres, qu'il écornait les bénéfices des fournisseurs soumis à un nouvel examen, les ennemis bat

taient nos escadres, achevaient de ruiner notre marine, prenaient la Guadeloupe, Quebec, la Martinique, le Canada entier, Pondichery, et ne cessaient de nous insulter jusque chez nous....

» Le secrétaire-d'état de la marine était alors en butte aux critiques des spéculateurs et aux malédictions des Parisiens. Ceux-ci l'avaient eu en horreur lieutenant de police, ils le méprisaient ministre. Son. corps voyait avec peine à sa tête un bourgeois obscur, qui n'y était pas même parvenu avec un mérite transcendant, qui ne voulait pas se laisser gouverner, dont il n'y avait ni grâces ni grades à espérer. Enfin le duc de Choiseul, cherchant déjà à s'ancrer plus fortement, à se faire des créatures et à se donner une célébrité que son département ne pouvait lui procurer, n'aurait pas été fâché de l'expulsion de ce membré du collége des secrétaires-d'état, dont les autres rougissaient et dont il dévorait déjà la dépouille. Le coup était porté : on avait fait consentir sa protectrice à l'abandonner, lorsqu'un accident, ménagé pour accélérer sa chute, l'arrêta. M. Berryer voyait avec peine et non sans raison ces vaisseaux emprisonnés dans la Vilaine, monument subsistant de la lâcheté de la marine. Chaque jour c'étaient de nouvelles demandes de la part des officiers indiscrets, qui voulaient entretenir avec le même éclat cette escadre fugitive, qu'une escadre armée et prête à voguer pour le salut ou la gloire du pavillon. Dans un moment d'humeur, à laquelle ce ministre était fort sujet, il ne ménagea pas ses termes et leur répondit durement.

Ceux-ci, dont les humiliations n'avaient point abattu l'orgueil, se réunirent en corps, et répondirent par une lettre insolente, où, croyant se justifier à force de bravades, ils osaient exalter leur manœuvre, et demandaient à être jugés dans un conseil de guerre. Tout le corps prit en même temps parti pour eux, et, tenant aux plus illustres maisons de la cour, ce fut une rumeur, une fermentation dont on sentit le danger. Les autres secrétaires-d'état, ne voulant pas que leur dignité fût ainsi compromise en la personne d'un de leurs confrères, se réunirent en sa faveur et de-` mandèrent à le conserver. Il n'y eut pas de conseil de guerre, mais tous ces capitaines furent démontés, on désarma les vaisseaux; M. Villars de la Brosse, le plus ancien, l'auteur de la lettre et le plus altier de tous, eut ordre de se rendre au château de Saumur.

.D'ailleurs, ayant été accordé au conseil de réduire la marine aux armémens de pure, nécessité, et de les tenir du reste dans la plus entière inaction, il n'était plus besoin à ce département que d'un hom-. me sévère, exact, tracassier, économe, qui consommât peu de fonds, réformât beaucoup, et surtout rétablit l'ordre dans la comptabilité. C'était le vrai talent de M. Berryer; il se trouva ainsi placé à merveille et n'excita la jalousie de personne. Le duc de Choiseul conçut parfaitement que la marine ne lui convenait pas en ce moment (1). »

(1) Vie privée de Louis XV, tom. III, pag. 152, 155, 174, 175, 176; ann. 1758 et 1759.

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