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article en disant en style d'épitaphe: Estimé de ses chefs, adoré de ses camarades, il a emporté leurs regrets.

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LACOUR,

DIT

COCO-LACOUR

(MARIE-BARTHÉLEM1).

Un jour que je traversais la place Maubert, je vis une troupe de polissons en guenilles qui poursuivaient une vieille chiffonnière ivre. Elle monta sur une borne, et, de toute la force de ses poumons, elle leur cria: Vidocq a été mis à pied ; c'est monsieur Coco-Lacour qu'est mattre de tout.

Je cherchais vainement alors à savoir quel était cet heureux successeur du grand Vidocq; tout ce que j'appris, c'est qu'en effet Coco-Lacour était maître de tout, comme le disait la chiffonnière, c'est-à-dire qu'il était chargé de veiller à la sûreté de Paris.

Coco-Lacour ne devra pas à Vidocq moins de reconnaissance pour l'importance qu'il a donnée aux fonctions de la brigade de sûreté, que pour la sollicitude avec laquelle il s'est attaché à faire connaître son ex-secrétaire. C'est en effet Vidocq qui a voulu transmettre à la postérité les faits et gestes de son' successeur, et c'est d'après ce héros de police que je vais esquisser ses traits.

J'extrairai d'abord textuellement des mémoires de ce grand homme le passage qui suit:

a

. On trouve dans les registres de sûreté de la pré fecture de policé :

« Lacour, Marie - Barthélemi, âgé de onze ans, demeurant rue du Lycée, écroué à la Forcé, le 9 ventôse an 9, comme prévenu de tentative de vol, et, onze jours après, condamné à un mois de prison par le tribunal correctionnel.

« Le même, arrêté le 2 prairial suivant et reconduit de nouveau à la Force comme prévenu de yol de dentelles dans une boutique. Mis en liberté ledit jour par l'officier de police judiciaire du deuxième arrondissement.

« Le même, âgé de dix-sept ans, filou connu, déjà plusieurs fois arrêté comme tel, enrôlé volontairement à Bicêtre, en 1807, pour servir dans les troupes coloniales; remis, le 31 dudit mois, à la gendarmerie pour être conduit à sa destination; évadé de l'île de Rhé dans la même année.

« Le même Lacour dit Coco (Barthélemi), ou Louis-Barthélemi, âgé de vingt et un ans, né à Paris, commissionnaire en bijoux, demeurant faubourg Saint-Antoine, n° 297, conduit à la Force, le 1er décembre 1809, comme prévenu de vol; condamné à deux ans de prison par jugement du tribunal correctionnel le 18 janvier 1810, conduit ensuite au ministère de la marine comme déserteur (1).

(1) Vidocq raconte qu'étant à cette époque à la Force, on

Le même, conduit à Bicêtre, le 22 janvier 1812, comme voleur incorrigible; conduit à la préfecture le 3 juillet 1816. »

Coco-Lacour est né de parens pauvres; son père était tailleur et portier dans la rue du Lycée. Coco resta orphelin en bas âge; mais il habitait un quartier où pullulent des filles compatissantes, qui prirent soin du jeune enfant. Que ne devait-il pas apprendre à une pareille école! On l'excitait à la malice; on le trouvait gentil. Il passait sa journée à gaminer dans le jardin du palais Égalité, Là il reçut un autre genre d'éducation. Ses petits camarades lui enseignèrent des tours de passe-passe, dans lesquels il

soupçonnait plusieurs voleurs d'y jouer le rôle de mouton (le soupçon n'atteignait pas Vidocq!). A ce sujet on lit dans ses

mémoires :

« Le premier dont je me rendis caution était un jeune homme que l'on accusait d'avoir servi la police en qualité d'agent secret. On prétendait qu'il avait été à la solde de l'inspecteurgénéral Veyrat; et l'on ajoutait qu'allant au rapport chez ce chef, il avait enlevé le panier à l'argenterie.... Voler chez l'inspecteur, ce n'était pas le mal........ Mais aller au rapport!....... Tel était pourtant le crime de Coco-Lacour, aujourd'hui mon successeur. Menacé par toute la prison, chassé, rebuté, maltraité, n'osant plus même mettre le pied dans les cours, où il aurait été infailliblement assommé, Coco vint solliciter ma protection; et pour mieux me disposer en sa faveur, il commença par me faire des confidences, dont je sus tirer parti.. »

Effectivement, il se servit de ces confidences pour le faire condamner à deux ans de prison.

fit des progrès rapides. Coco grandissait à vue d'œil; une nommée Maréchal, tenant maison place des Italiens, le recueillit. Coco était complaisant, faisait tout ce qu'on voulait ceux qui fréquentaient la maison étaient contens de lui.

Les leçons qu'il avait reçues dans le jardin du palais Égalité en avaient fait un sujet. A douze ans, Coco-Lacour était un très-adroit voleur de dentelles. Enflé de sa gloire précoce, il voulut s'illustrer sur un plus grand théâtre, et des condamnations successives mirent le sceau à sa renommée. Désormais il n'eut plus de rivaux, et il était cité comme le plus habile des voleurs au bonjour, dits les chevaliers grimpans.

Les obstacles ne le rebutaient pas; c'est en vain qu'on crut lui faire abandonner une carrière où si jeune il avait acquis un nom illustre, il fut proclamé voleur incorrigible, et renfermé à Bicêtre par mesure administrative.

Ici commence pour lui une autre série d'événemens, nés d'une éducation nouvelle. Un banqueroutier, nommé Mulner, détenu à Bicêtre, lui donna quelque instruction; il apprit aussi l'état de bonnetier. De chevalier grimpant, Lacour voulut devenir honnête homme; et pour marquer son entrée dans la bonne voie, il abandonna Élisa l'Allemande, femme qui lui était restée attachée pendant sa longue détention.

La police s'empara de lui à sa sortie de Bicêtre,

et tâcha de mettre à profit ses talens. Vidocq en fit son secrétaire.

Lacour avait pris une compagne, qui avait été successivement fruitière et blanchisseuse; ils se lancèrent dans le commerce et vendirent des mouchoirs dans les rues, cumulant ainsi les profits du négoce et ceux de la surveillance.

On a attribué à des vues ambitieuses l'idée qui lui prit à cette époque de se jeter dans la dévotion. On a prétendu qu'il allait pieds nus depuis Sainte-Anne jusqu'au Calvaire, pour accomplir une pénitence qui lui avait été infligée par son confesseur.

A l'avénement de M. Delavau, Coco-Lacour allait entendre la messe tous les dimanches à Notre-Dame: le nouveau préfet de police le remarqua, et dès lors Vidocq eut un rival.

Lacour est blond et chauve, il a le front étroit, l'œil bleu, mais terne, les traits fatigués; sa taille n'excède pas cinq pieds deux pouces. Il aime la toilette et les bijoux; ses manières sont affectées sans pour cela être ridicules.

Depuis qu'il n'a plus la passion du vol, CocoLacour est en proie à une autre passion bien impérieuse quoique bien innocente; c'est celle de la pêche à la ligne. Heureux, lorsque, débarrassé du poids des affaires, il peut aller tendre ́ses amorces au bas du pont Neuf, accompagné de madame Coco-Lacour! (1)

(1) Madame Coco - Lacour est revendeuse à la toilette, et

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