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MÉHÉE DE LA TOUCHE

(JEAN-CLAUDE-HIPPOLYTE):

L'intrigue ne mène pas toujours à la fortune; Méhée de La Touche est mort à l'hôpital. Une stature colossale, une belle figure, des grâces, de l'amabilité et de l'esprit, voilà le beau côté. Tous ces avantages étaient déparés par l'amour de la débauche et du jeu, un penchant à l'ivrognerie, et un luxe désordonné. Successivement homme du monde, sans-culotte et libertin, il a passé, par toutes les gradations, de l'intrigue à la férocité, de la férocité à la bassesse. Après avoir passé par tous les degrès de la misère, il s'est éteint dans la crapule.

Méhée était fils d'un habile chirurgien de Meaux; il vint à Paris avant la révolution, et comme il sentait le besoin de paraître un personnage, il se fit d'abord nommer le chevalier de La Touche. Son aptitude à l'intrigue n'échappa pas au ministère; il fut chargé de diverses missions secrètes, et résida long-temps en Pologne et en Russie, d'où il fut obligé de partir en 1792.

Rentré en France, il y professa les principes révolutionnnaires les plus exaltés, se lia avec les chefs populaires, prit une part active à tous les mou

continue son commerce malgré la nouvelle dignité de son nari.

vemens insurrectionnels, et particulièrement à celui du 10 août 1792, pendant lequel il fut nommé secrétaire-greffier-adjoint de la commune, qui dans cette nuit fatale s'empara de tous les pouvoirs.

On trouve le nom de Méhée inscrit, avec ceux d'Huguenin et de Tallien, sur un arrêté de cette époque, conçu en ces termes : « Le conseil a décidé » que les sections examineraient et jugeraient, sur » leur responsabilité, les citoyens incarcérés cette » nuit et ce matin.» Les 2 et 4 septembre suivans, il apposa sa signature au bas de deux autres pièces ainsi conçues (1) Au nom du peuple, mes ca> marades, il vous est ordonné de juger tous les prisonniers de l'abbaye, sans distinction, à l'exception de l'abbé Lenfant que vous mettrez dans un » lieu sûr. Et encore: Il est enjoint de faire en» lever les corps morts, de laver et nettoyer toutes > les taches de sang, particulièrement dans les cours, chambres, escaliers de l'Abbaye. A cet effet vous » êtes autorisés à prendre des fossoyeurs, charre» tiers, etc.

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Signé SERGENT, PANIS, administrateurs; » MÉHÉE, sécrétaire-grcffier..

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On a trouvé dans les papiers de la commune du 10 août le mandat suivant, reconnu par Méhée :

(1) Descriptton historique des Prisons de Paris, par St-E.; 3. liv. p. 26-27.

« M. le trésorier de la commune paierà à M. Gel»let-Petit quarante - huit livres pour prix du temps » qu'il a mis, et trois de ses camarades, à l'expédition des prêtres de Saint-Firmin pendant deux jours.

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A la maison commune, le 4 septembre 1792, l'an 4 de la liberté et la première de l'égalité, suivant la réquisition qui nous en a été faite par la section des sans-culottes, qui les a mis en ouvrage.

» Signé NICOUT, JEROME LAMARCK,

› commissaires de la commune.

» Je certifie les signatures ci-dessus être celles des commissaires de la commune de Paris. Fait à la maison commune, le 5 septembre 1792, l'an 4 de la liberté et la première de l'égalité. Bon pour la somme de quarante-huit livres.

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Il est juste d'ajouter à ces deux pièces de conviction que, pendant le règne de la terreur, le nom de Méhée, devenu fameux un moment à cause de sa participation aux actes atroces qu'on vient de lire, ne reparut plus parmi ceux des proscripteurs.

Ami de Danton, il ne cessa de le voir et de le défendre jusqu'au jour où il monta sur l'échafaud, et tenta ensuite de venger sa mémoire. Il osa braver en face les proscripteurs, et fut incarcéré: peut être les souvenirs de septembre préservèrent-ils sa tête.

Après le 9 thermidor, Méhée embrassa avec cha

leur le parti thermidorien, et l'on doit convenir que son activité, ses pamphlets, et surtout celui qui portait pour titre la Queue de Robespierre, ne contribuèrent pas peu à diminuer l'influence des partisans de la terreur (1).

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Méhée déploya le même zèle pour combattre les royalistes. Il commença en l'an 3 (1799), avec M. Réal, le Journal des Patriotes de 1789. Lors de la conspiration de Babeuf, Drouet, compromis dans cette affaire, voulut lui confier sa défense; mais, loin de vouloir s'en charger, Méhée, qui craignait luimême d'être compromis dans ce procès, se cacha comme son client.

:

Après la révolution du 18 brumaire, cet écrivain fut chargé de la rédaction du Journal des Hommes libres, qu'il ne garda que trois mois; et, s'étant mis à écrire contre les prêtres, les consuls, dans un arrêté qui le qualifiait de septembriseur, ordonnèrent son arrestation Méhée voulut réclamer dans les journaux et auprès des tribunaux; mais il fut exilé à Dijon, puis à l'île d'Oleron, d'où il s'échappa en 1805. Il se sauva alors à Guernesey, où,'sous prétexte de secrets importans qu'il avait à communiquer, il se fit donner, par le général Doyle, des lettres et de l'argent pour se rendre en Angleterre. Arrivé dans ce pays,

il

y fit de nouveaux mensonges qui furent d'abord

(1) La plupart de ses écrits, rédigés avec esprit et beaucoup d'adresse, étaient signés FELHÉMÉSI, anagramme de Méhée fils.

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accueillis froidement par le ministère. Sans ressources, il fit des dettes et fut mis en prison, d'où quelques Français émigrés, le croyant propre à servir leur cause, parvinrent à le tirer, et à le faire employer par le ministère anglais. Il reçut des fonds et des instructions, et fut adressé à M. Drake, ministre anglais à Munich, qui l'accueillit à raison des recommandations dont il était porteur, et convint d'entretenir avec lui, lorsqu'il serait à Paris, une correspondance sur les affaires politiques'; ce ministre lui donna même alors pour cet objet des instructions et de l'argent.

Méhée revint à Paris au commencement de 1804. C'est alors que commencèrent ses rapports directs avec la police. Il rendit compte de tout. Le ministre de la police et celui des relations extérieures l'autorisèrent à écrire à M. Drake, qui fut complétement dupe de cette mystification. Méhée a prétendu qu'il n'était pas libre : « J'étais, dit-il, >> en surveillance réelle; chaque jour les gendar» mes du grand -juge venaient me chercher, me » conduisaient à la police, et là, introduit dans le » cabinet du ministre, on me lisait par ordre de Na"poléon les papiers venus de Munich; on m'ordon» nait d'y répondre, et l'on me fournissait les notes » dont je devais me servir. En conscience, celui-là » est-il auteur d'une lettre qui reçoit l'ordre de l'écrire et tous les matériaux qu'il doit y faire entrer? Une pareille question nous reporterait à la pre

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