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tinés à la guérison des maladies des hommes et des bêtes. Toutefois cette liaison dura peu, car arrivé à Lille, Vidocq quitta subitement son charlatan, et résolut de retourner à Arras pour y implorer le pardon de ses parens. Sur les vives sollicitations de sa mère, appuyées des instances d'un ecclésiastique, son père, après lui avoir adressé de vives réprimandes et des menaces très-graves, consentit à oublier le passé ; mais le changement de Vidocq ne fut pas de longue durée quelque temps après sa rentrée dans la maison paternelle, il partit pour Lille avec une actrice. A cette époque il n'avait pas encore quinze ans. Après une absence de trois semaines, il revint à Arras et obtint de son père la permission de s'enrôler dans le régiment de Bourbon, alors en garnison dans cette ville. Sa jolie figure, son air distingué, et son habileté à manier l'épée, le firent bientôt admettre dans la compagnie des bretteurs. Quelques soldats de cette compagnie ayant murmuré de cette promotion si rapide, il en envoya deux à l'hôpital, où il fut ensuite obligé de se rendre lui-même, par suite d'une blessure qu'il reçut dans un troisième duel. Ce début le fit considérer comme un homme distingué, et les querelles où il se trouva engagé se succédèrent si rapidement, que six mois ne s'étaient. pas encore écoulés qu'il avait eu quinze duels et avait tué deux de ses adversaires.

Vidocq ayant appris qu'on voulait le traduire devant un conseil de guerre, comme déserteur de son premier régiment, monta à cheval à la nuit tom

bante, passa à l'ennemi, et fut incorporé dans le régiment des cuirassiers de Kinski.

La schlag le dégoûta du service dans l'armée autrichienne; il revint avec les Français, se fit passer pour Belge. Reconnu par son ancien capitaine, il obtint un congé d'un mois pour aller voir ses parens. Des amours et des duels, des aventures miraculeuses; un emprisonnement pour cause de modérantisme, et sa tendresse pour une demoiselle Chevalier, qui aimait les beaux hommes, et brisa ses chaînes, telles sont les occupations de cette époque de sa vie. Ici se place une des aventures les plus sérieuses de la vie de Vidocq. Cette citoyenne Chevalier n'avait rendu la liberté au captif que pour la lui faire perdre; en d'autres termes, étant dans les bonnes grâces du proconsul Joseph Lebon, elle proposa à son protégé d'opter entre le mariage et la guillotine. De deux maux on choisit le moindre: Vidocq épousa. Mais, ô perfidie! quelques jours après son mariage, ayant fait une courte absence, il revint tard, la nuit, au domicile conjugal et frappa à la porte de l'appartement de sa femme; jugez de l'indignation d'un homme trompé: un adjudaat-major de cavalerie sortit en chemise par la fenêtre ; Vidocq le reconnut et le poursuivit sans pouvoir l'atteindre. La Fontaine a dit: Cocuage est un bien; Vidocq ne partagea pas cette opinion, et il aurait profité du remède que la loi lui offrait, si, en divorçant, ik n'eût couru risque d'allumer la colère du farouche Joseph Lebon. Il se résigna; et quel mari n'en ferait

autant y en a-t-il beaucoup qui voulussent s'exposer à perdre la tête pour laver l'injure de leur front. Il prit la fuite, alla à Bruxelles, y fut arrêté avec une maîtresse qu'il avait prise, sans doute pour n'être pas en reste avec madame Vidocq. Enivrer les gendarmes et se sauver, c'était là de ses moindres tours. Arrêté de nouveau, il est conduit en prison à Lille. Là il fit une nouvelle tentative d'évasion, qu'il raconte en ces termes :

« La troisième nuit, tout étant prêt, nous résolûmes de partir. Huit des condamnés passèrent par l'ouverture, et s'échappèrent sans attirer l'attention de la sentinelle. Il en restait encore sept, et nous tirâmes à la plus courte paille pour voir qui partirait le premier. Le hasard me favorisa, et j'ôtai mes habits, afin de rendre plus facile mon passage à travers l'ouverture qui était très-étroite; mais lorsque j'eus passé la moitié de mon corps il me fut tout à coup impossible d'avancer, et mes camarades, malgré tous les efforts qu'ils firent, ne purent me retirer. A la fin, mes souffrances devinrent si vives, que je fus forcé de crier à la sentinelle, qui se précipita vers moi en alarme, et, la baïonnette appuyée contre ma poitrine, me menaça d'une mort prompte si je faisais le moindre mouvement. Elle appela ensuite la garde, qui arriva sur-le-champ, suivie des geôliers et des guichetiers portant des flambeaux. Après de longs efforts, on me tira de l'horrible position où j'étais, mais non sans laisser derrière moi une partie considérable de ma peau. Je fus transporté sur-le-champ,

meurtri et sanglant comme j'étais, dans une partie de la prison appelée le petit hôtel, et plongé dans un cachot avec des fers aux pieds et aux mains. Après dix jours, et des promesses réitérées de ne point faire une nouvelle tentative d'évasion, on me permit de sortir de mon cachot et d'entrer, dans la chambre commune aux prisonniers confinés dans cette partie de l'édifice. Jusque-là je n'avais vécu qu'avec des voleurs, des escrocs, des vagabonds, des faussaires; mais alors je me trouvai au milieu des malfaiteurs les plus consommés et les plus atroces, qui racontaient avec orgucil leurs crimes et leurs forfaits, et parlaient de leur être avec l'indifférence et la gaîté la plus parfaite, disant qu'un jour on en ferait de la chair de saucisse avec la guillotine. Parmi ines nouveaux compagnons se trouvaient plusieurs individus qui avaient fait partie de la fameuse bande de brigands et d'assassins commandée par le célèbre Sallambier, qui avait répandu la terreur dans le pays, et connue sous le nom de chauffeurs. Ce nom leur venait de ce qu'ils méttaient dans le feu les pieds des habitans des maisons qu'ils attaquaient, et les tenaient dans cet état jusqu'à ce qu'ils déclarassent où leur argent était caché. Parmi les chauffeurs renfermés dans cette prison, le plus remarquable était Brunellois, surnommé l'intrépide, nom que plus tard il justifia complétement par un acte de courage tel qu'on n'en trouve pas de semblables dans les plus fameux bulletins d'armée. Un jour que Brunellois cherchait à commettre des vols dans la maison d'un

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fermier, il passa sa main dans une ouverture pratiquée dans le volet d'une des fenêtres afin de détacher le crochet. Lorsqu'il voulut retirer sa main il sentit que son poing était pris dans un noeud coulant; il fit d'inutiles efforts pour la retirer le bruit qu'on faisait dans la maison annonçait que les habitans avaient pris l'alerte; et Brunellois s'étant aperçu que ses complices échangeaient entre eux des regards sinistres, il pensa qu'ils avaient l'intention de le tuer, afin d'empêcher qu'il ne les trahît lorsqu'il serait pris, ce qui devait infailliblement arriver. Dans cette perplexité, Brunellois, sans hésiter un seul instant, tira de sa poche un couteau à double tranchant, se coupa le poing, et s'enfuit avec ses compagnons. Ce singulier trait eu lieu dans le voisinage de Lille. Il était bien connu dans le département du Nord, dont plusieurs habitans se souviennent d'avoir vu exécuter le héros, qui n'avait qu'une main. »

Enfin Vidocq, accusé de faux en écriture authentique, fut déclaré coupable et condamné à huit années de travaux forcés; il ne parle point du carcan et de la flétrissure qu'il doit nécessairement avoir subis. Vidocq fut conduit avec plusieurs autres condamnés à Bicêtre, pour être transféré de là au bagne de Brest. Pendant la route ils firent une tentative désespérée pour s'échapper. « Hurtel, un des gardiens de la prison, qui nous accompagnait, ajoute Vidocq, avait employé dans cette occasion des fers préparés tout exprès. Outre que chaque condamné

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