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Berryer mourut le 15 août 1762, possesseur des sceaux de l'État, que la marquise lui avait fait donner le 15 octobre 1761.

Sa gratitude pour une aussi bonne et aussi constante protectrice le rendait quelquefois très-malheureux. Lorsque, pendant les six années qu'il employa à diriger la police, il ne pouvait parvenir à se saisir des ouvrages des écrivains assez hardis pour attaquer la puissante favorite, ou à étouffer les cris de ceux qui osaient se prononcer hautement contre elle, redoutant ses reproches et cherchant un repos qu'il ne trouvait qu'avec peine, il n'était si petit limier qui ne reçût de lui quelque mission dans une croisade générale contre les mécontens: toute la licutenance générale de police n'obtenait trève qu'après avoir arraché la liberté à d'aussi grands coupables.

C'est surtout la femme Doublet, vieille gazetière de nouvelles à la main, qui lui causait les tourmens les plus vifs. Guerre, modes, politique, anecdotes secrètes, religion, tout était du ressort de cette sibyle, qu'on se refusait à mettre sous les verroux, sans que je sache pourquoi, et à laquelle le marquis d'Argenson, le duc de Choiseul et plusieurs lieutenans-généraux de police, croyaient toujours devoir demander le silence, en lui parlant des ménagemens dont le roi avait la bonté d'user à son égard.

Aussi, en l'élevant à la marine, la marquise soulagea-t-elle Berryer de la police autant qu'elle satisfit son ambition.

Dans ses divers emplois, dit Duclos, Berryer fit

toujours mieux les affaires de Mme Pompadour que celle de son maître.

Voici ce qu'on lit dans le savant M. Dulaure, sur la police pendant le règne de Louis XV. Comme ce tableau énergique et fidèle comprend les dix années de magistrature de Berryer, j'ai cru devoir le rapporter en entier. Les caractères italiques, dans cette citation, marquent ce qui appartient plus spécialement à Berryer.

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« L'administration de la police fit, pendant ce rè» gne, d'utiles et déplorables progrès. Si elle contribua » à prévenir beaucoup de crimes, elle en favorisa plusieurs autres. Les maisons de jeu qu'elle autorisa, » les maisons de débauche qu'elle voulut diriger, ac» crurent l'immoralité publique. Enfin..... elle se » souillait des ordures qu'elle s'habituait à remuer. »Je n'en parle ici que sous le rapport de la liberté » individuelle. Aucun asile n'était respecté par la po»lice. Ses perfides investigations, contenues dans de faibles limites, troublaient tous les ménages; le pai»sible habitant n'en était point à l'abri. Les secrets de » famille, leurs plus minutieux détails, rien n'échap» pait aux perquisitions de la police, qui introduisait » ses agens dans des maisons dont ils devaient trahir les » maîtres.

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» La police accrut le nombre de ses suppôts immon» des, enrégimenta des scélérats pour les opposer à >> d'autres scélérats, diminua par cette adresse le >> nombre des voleurs et des meurtriers; mais ce bien>> fait coûta cher aux Parisiens; leur indépendance

>> fut fortement compromise. Ils eurent moins de

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poignards à craindre et plus de chaînes à porter.

» Cependant cette police, quoique très-supérieure » à celle des règnes précédens, n'avait pas encore at» teint le degré de perfection où elle est arrivée depuis elle ne faisait pas, je crois, usage d'AGENS PRO

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» VOCATEURS. »>

BERTIN DE BELLISLE

(HENRI - LÉONARD - JEAN-BAPTISTE), comte de Bourdeilles, seigneur de Brantôme, premier baron de Périgord.

Ce Bertin, à seigneuries si pompeuses, ne paraît pas avoir été jugé digne de figurer dans ces recueils nommés Biographies, où toutes les célébrités sont ordinairement réunies, car aucune ne parle de lui.

On sait cependant qu'il avait été intendant du Roussillon, conseiller honoraire au grand conseil (1), et qu'il était maître des requêtes (2) quand on l'appela à diriger la police de Paris, le 16 octobre 1757; qu'il l'administra jusqu'au mois d'octobre 1759; qu'il fut alors nommé contrôleur-général des finances; que le gouvernement le décora du titre de ministre d'état en 1762, et qu'il se démit des finances en 1765; qu'il fut secrétaire d'état sans département, et se démit de cette secrétairerie le 28 mai 1780.

(1) Depuis le 7 juin 1741.
(2) Depuis le 30 avril 1745.

C'est peut-être faire l'éloge de Bertin de dire qu'il a passé inaperçu au milieu de cette foule d'historiens, d'annalistes et de biographes, intéressés toujours à s'emparer des hommes qui ont le courage d'occuper d'eux la malencontreuse renommée.

CROSNE

(LOUIS-THIROUX de).

Voltaire, Gresset, Sainte-Palaye, Turgot, Malesherbes, Monthion, Macquer, Jussieu, Valmont de Bomare, Fourcroy, Sage, Ameilhon et quelques autres hommes non moins célèbres ou non moins recommandables, avaient eu des rapports avec la présidente Thiroux-d'Arconville, ou avaient vécu dans sa société. Cette dame, fille d'un fermier-général, mariée à quatorze ans, auteur de plusieurs ouvrages d'histoire, de métaphysique et de médecine, et de quelques romans estimés, inspira de bonne heure à son fils, Louis Thiroux de Crosne, le goût de l'étude et l'amour du travail, le livrant sans cesse aux conseils des savans qu'elle avait jugés dignes de son amitié.

Le jeune Thiroux, né à Paris, le 14 juillet 1736, profita des bons exemples qu'il avait constamment sous les yeux, et devint promptement avocat du roi au Châtelet, conseiller au parlement et maître des requêtes.

C'est en cette dernière qualité qu'il cut, à l'âge de

vingt-sept ans, la première occasion de se faire remarquer, ayant été choisi par le chancelier Maupeou pour la révision du fameux arrêt que le parlement de Toulouse avait rendu contre la famille Calas. A ce sujet, Voltaire a dit, Traité sur la Tolérance, édit. de 1762, p. 205: Nous apprenons que le 7 mars 1763, tout le conseil-d'état assemblé à Versailles, les ministres d'état y assistant, le chancelier y présidant, M. de Crosne, maître des requêtes, rapporta l'affaire des Calas avec l'impartialité d'un juge, l'exactitude d'un homme parfaitement instruit, et l'éloquence simple et vraie d'un orateur homme d'état, la seule qui convienne dans une telle assemblée. Une foule prodigieuse de personnes de tout rang, attendait dans les galeries du château la décision du conseil. On annonça bientôt au roi que toutes les voix, sans en excepter une, avaient ordonné que le parlement de Toulouse enverrait au conseil les pièces du procès, et les motifs de son arrêt, qui avait fait expirer Jean Calas sur la roue; S. M. approuva le jugement du conseil. »

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En 1767, le gouvernement le nomma adjoint à l'intendance de Rouen, puis, quelques mois après, intendant en exercice.

Dire qu'il apporta dans ses nouvelles fonctions du zèle, de l'activité et des lumières, c'est répéter l'éloge que les Rouennais se plaisaient à faire de lui dans toutes les occasions qui pouvaient se pré

senter.

La Normandic n'a point encore oublié qu'elle lui

« EelmineJätka »