pitié publique. Parmi tous ces expédiens je choisis celui dont l'effet est de rendre la tête grosse comme un boisseau, d'abord parce qu'il devait naturellement embarrasser les médecins, et, en outre, parce qu'il ne pouvait me causer aucune souffrance, et qu'il m'était facile de m'en débarrasser dans une demi-journée. En effet, Vidocq se fit enfler la tête d'une façon prodigieuse, et les médecins, qui lui crurent une hydropisie du cerveau, donnèrent des ordres pour qu'il restât à l'hôpital. Pendant ce temps, notre héros se procura un habit de sœur hospitalière, et s'échappa à la faveur de ce déguisement. Arrivé près de Rennes, un bon curé engagea la sœur Vidocq à déjeuner avec lui, et la quitta en se recommandant à ses prières. Le soir même cette incroyable sœur fut reçue dans la maison d'un paysan, qui la fit coucher avec ses deux filles, fraîches et jolies, âgées de quinze à dix-huit ans. Vidocq assure qu'il put se contenir, et qu'il sortit du lit de l'innocence en véritable sœur de charité. Enfin, par un de ces fâcheux accidens que toute la prudence humaine ne saurait empêcher, Vidocq fut arrêté de nouveau et envoyé au bagne de Toulon, avec de bonnes lettres de recommandation. C'est là qu'il vit les notabilités du crime (1). Il éprouvait (1) Quelques mots d'argot peuvent servir à faire connaître des gens que chacun redoute : c'est pour cela que j'extrais des Mémoires de Vidocq le vocabulaire suivant: Avoir le taf, la quelquefois des élans de probité; il résolut de se soustraire à cette infâme société. Il s'évada, et, pour arriver à faire une fin honnête il exerça, tantôt sous un nom et tantôt sous un autre, diverses professions industrielles. Plus d'une maison de banque, dit-il, se rappelle peut-être encore le temps où la signature de Blondel (c'est le nom qu'il portait alors) était en faveur sur la place. « Mais la police voulait le ramener au bagne; et, après avoir mis sur les dents je ne sais combien de brigades de gendarmerie, sa retraite, à Paris, est peur; il y a là un chene, un homme; prêter loche, prêter l'oreille; la sorgue, la nuit; écorner les boucards, forcer les boutiques; orphelin, orfèvre; des parrains, des témoins; caroube, fausse clef; la banquette, l'argenterie; grinchir, voler; grinche de la haute pègre, voleur du grand genre; du poussier, de la monnaie; aboule du carle, compte-moi de l'argent; le rifflard a battu morace, le bourgeois a crié au secours; se faire cuisinier, se faire mouchard; reconobrer, reconnaître; faire le sinvre, la bête; le chat, le geôlier; jouer du violon, scier ses fers; se câvaler, s'évader; garçons de campagne, voleurs de grands chemins; les marchands de lacets, les gendarmes; chevaux de retour, forçats reconduits au bagne; la coloquinte, la tête; du raisinet, du sang; jouer du vingt-deux, jouer du poignard; refroidir, tuer; escarpe, assassinat; manger le morceau, faire des révélations; mettre un homme sur la planche du pain, le traduire devant la cour d'assises; balancer le chiffon rouge, remuer la langue, parler; donner un redoublement de fièvre, révéler un nouveau fait à charge; la placarde, la place des exécutions; chalot, le bourreau; la carline, la mort. découverte ; il veut se sauver en chemin ; on l'arrête sur le toit; on le transfère à la Force et de là à Bicêtre, où il devient l'objet de toutes sortes de prévenances. C'est alors qu'il fit des propositions à la police. M. Henry en fut frappé ; il les communiqua à M. Pasquier. Dès ce moment Vidocq se voue à l'intérêt des honnêtes gens. Après un séjour de deux mois à Bicêtre, on le transfère à la Force, où il arrive précédé de sa grande renommée. Loin d'y être suspect, il laisse s'accréditer le bruit qu'il est un assassin; il devient donc un protecteur puissant et un garant de la franchise quand elle est suspectée. Tous les condamnés, loin de se douter qu'il est mouton, viennent lui faire leurs confidences, et Vidocq redit tout à la police. " Les talens de cet homme ne pouvaient rester enfouis dans une prison après vingt-deux mois de moutonnerie le préfet de police, à la sollicitation de M. Henry, consentit à le laisser sortir de prison. De concert avec la police, il s'évada, pour ne pas perdre son crédit parmi ses anciens amis. Ils célébrèrent son évasion comme un triomphe. Que de fois Vidocq n'a-t-il pas rendu grâce à M. Henry, qui, on peut le dire, a été son parrain à la police; et M. Henry s'y connaissait, car les voleurs l'appelaient l'ange malin. Vidocq fut bientôt pour eux l'ange exterminateur. Associé désormais aux directeurs de la police, MM. Henry, Bertaux et Parisot, il conspire l'anéantissement du brigandage. Il arrête de sa propre main les malfaiteurs après avoir lutté avec eux corps à corps; des faux monnayeurs sont découverts et bientôt après exécutés. Il prend toutes sortes de travestissemens, tantôt la hotte sur le dos, et, dix minutes après, l'épaulette à graines d'épinards; c'est un véritable Protée: il se mêle aux voleurs, assiste à leurs opérations, entre dans des complots contre ce damné Vidocq, qu'il promet de pendre lui-même si on l'attrape : et qu'on vienne encore nous parler des travaux d'Hercule! L'envie est là qui veut ternir la gloire de Vidocq; des inspecteurs jaloux l'accusent, en 1810, de voler pour son propre compte. Cette calomnie, loin de tourner contre lui, affermit son crédit. On lui donne carte blanche, on l'autorise à jeter le masque; Vidocq est proclamé par toutes les bouches comme l'agent légitime de l'autorité. Plus de subterfuges, le héros va lutter au grand jour; son nom sera bientôt populaire. Alors on vit paraître la fameuse brigade de sûreté dont il a tracé lui-même l'histoire. « La brigade de sûreté fut créée en 1812. J'eus d'abord quatre agens, puis six, puis dix, puis douze. En 1817 je n'en avais pas davantage, et cependant, avec cette poignée de monde, du 1er janvier au 31 décembre, j'effectuai soixante-douze arrestations et trente-neuf perquisitions ou saisies d'objets volés. » Ce fut dans le cours des années 1823 et 1824 qu'elle prit son plus grand accroissement: le nombre des agens dont elle se composait fut alors, sur la proposition de M. Parisot, porté à vingt et même à vingt-huit, en y comprenant huit individus alimentés du produit des jeux que le préfet autorisait à tenir sur la voie publique. C'était avec un personnel si mince qu'il fallait surveiller plus de douze cents libérés des fers, de la réclusion ou des prisons; exécuter annuellement de quatre à cinq cents mandats, tant du préfet que de l'autorité judiciaire; se procurer des renseignemens, entreprendre des recherches et des démarches de toute espèce, faire les rondes de nuit, si multipliées, si pénibles pendant l'hiver; assister les commissaires de police dans les perquisitions ou dans l'exécution des commissions rogatoires; exploiter les diverses réunions publiques, au dedans comme au dehors, se porter à la sortie des spectacles, aux boulevards, aux barrières, et dans tous les autres lieux de rendez-vous ordinaires des voleurs et des filous. Quelle activité ne devaient pas déployer vingt-huit hommes, pour suffire à tant de détails, sur un si vaste espace, et sur tant de points à la fois! Mes agens avaient le talent de se multiplier, et moi celui de faire naître et d'entretenir chez eux l'émulation du zèle et du dévoûment: je leur donnais l'exemple. Point d'occasion périlleuse où je n'aie payé de ma personne; et si les criminels les plus redoutables ont été arrêtés par mes soins, sans vouloir tirer gloire de ce que j'ai fait, je puis dire que les plus hardis ont été saisis par moi. Agent principal de la police particulière de sûreté, j'aurais pu, en ma qualité de chef, me confiner, rue Sainte |