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Anne, en mon bureau; mais, plus activement et surtout plus utilement occupé, je n'y venais que pour donner mes instructions de la journée, pour recevoir les rapports, ou pour entendre les personnes qui, ayant à se plaindre de vols, espéraient que je leur en ferais découvrir les auteurs.

» Jusqu'à l'heure de ma retraite, la police de sûreté, la seule nécessaire, celle qui devrait absorber la majeure partie des fonds accordés par le budget, parce que c'est à elle principalement qu'ils sont affectés, la police de sûreté, dis-je, n'a jamais employé plus de trente hommes, ni coûté plus de cinquante mille francs par an, sur lesquels il m'en était alloué cinq.

» Tels ont été, en dernier lieu, l'effectif et la dépense de la brigade de sûreté avec un si petit nombre d'auxiliaires, et les moyens les plus économiques, j'ai maintenu la sécurité au sein d'une capitale peuplée de près d'un million d'habitans; j'ai anéanti toutes les associations de malfaiteurs, je les ai empêchées de se reproduire ; et depuis un an que j'ai quitté la police, s'il ne s'en est pas formé de nouvelles, bien que les vols se soient multipliés, c'est que tous les grands mattres ont été relégués dans les bagnes, lorsque j'avais la mission de les poursuivre, le pouvoir de les réprimer.

D

› Avant moi, les étrangers et les provinciaux regardaient Paris comme un repaire, où jour et nuit il fallait être constamment sur le qui vive; où tout arrivant, bien qu'il fut sur ses gardes, était certain de

payer sa bien-venue. Depuis moi, il n'est pas de départemens où, année commune, il ne se soit commis plus de crimes, et des crimes plus horribles que dans le département de la Seine: il n'en est pas non plus où moins de coupables soient restés ignorés, où moins d'attentats aient été impunis. A la vérité, depuis 1814, la continuelle vigilance de la garde nationale avait puissamment contribué à ces résultats. Nulle part cette vigilance des citoyens armés n'était plus nécessaire, plus imposante; mais l'on conviendra aussi qu'au moment où le licenciement forcé de nos troupes et la désertion des soldats étrangers déversaient dans nos cités, et plus particulièrement dans la métropole, une multitude de mauvais sujets, d'aventuriers et de nécessiteux de toutes les nations, malgré la présence de la garde nationale, il dut encore beaucoup rester à faire, soit à la brigade de sûreté, soit à son chef. Aussi avons-nous fait beaucoup; et si j'aime à payer aux gardes nationaux le tribut d'éloges qu'ils méritent; si, éclairé par l'expérience de ce que j'ai vu durant leur existence et depuis l'ordonnance de dissolution, je déclare que sans eux Paris ne saurait offrir aucune sécurité, c'est que toujours j'ai trouvé chez eux une intelligence, une volonté d'assistance, un concert de dévoûment au bien public que je n'ai jamais rencontrés ni parmi les soldats ni parmi les gendarmes, dont le zèle ne se manifeste, la plupart du temps, que par des actes de brutalité après que le danger est passé. J'ai créé pour la police de sûreté actuelle une infinité de pré

cédens, et les traditions de ma manière n'y seront pas de si tôt oubliées; mais, quelle que soit l'habileté de mon successeur, aussi long-temps que Paris restera privé de sa garde civique, on ne parviendra pas à réduire à l'inaction les malfaiteurs, dont une génération nouvelle s'élève, du moment qu'on ne peut les surveiller à toutes les heures et sur tous les points à la fois le chef de la police de sûreté ne peut être partout, et chacun de ses agens n'a pas cent bras comme Briarée.

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» En parcourant les colonnes des journaux, on est effrayé de l'énorme quantité de vols avec effraction qui se commettent chaque nuit, et pourtant les journaux en ignorent plus des neuf dixièmes. Il semble qu'une colonie de forçats soit venue récemment s'établir sur les bords de la Seine. Le marchand même, dans les rues les plus fréquentées et les plus populeuses, n'ose plus dormir; le Parisien appréhende de quitter son logis pour la plus petite excursion à la campagne; on n'entend plus parler que d'escalades, de portes ouvertes à l'aide de fausses clefs, d'appartemens dévalisés, etc., etc., et pourtant nous sommes encore dans la saison la plus favorable aux malheureux que sera-ce donc quand l'hiver fera sentir ses rigueurs, et que, par l'interruption, des travaux, la misère atteindra un plus grand nombre d'individus? car en dépit des assertions de quelques procureurs du Roi, qui veulent à toute force ignorer ce qui ce passe autour d'eux, la misère doit enfauter des crimes; et la misère, dans un état social mal

combiné, n'est pas un fléau dont on puisse se prẻserver toujours, même quand on est laborieux. Les moralistes d'un temps où les hommes étaient clairsemés, ont pu dire que les paresseux seuls sont exposés à mourir de faim; aujourd'hui tout est changé, et si l'on observe, on ne tarde pas à se convaincre, non-seulement qu'il n'y a pas de l'ouvrage pour tout le monde, mais encore que dans le salaire de certains labeurs, il n'y a pas de quoi satisfaire aux premiers besoins. Si les circonstances seprésentent aussi graves qu'on peut les prévoir, quand le commerce est languissant, que l'industrie s'évertue en vain à chercher un écoulement à ses produits, et qu'elle s'appauvrit à mesure qu'elle crée, comment remédier à un mal si grand ? Sans doute il vaudrait mieux soulager les nécessiteux que de songer à réprimer leur désespoir; mais, dans l'impuissance de faire mieux, et si près de la crise, ne doit-on pas avant fortifier les garanties de l'ordre public? et quelle garantie est préférablé à la présence continuelle d'une garde bourgeoise, qui veille et agit sans cesse sous les auspices de la légalité et de l'honneur? Suppléera-t-on à une institution si noble, si généreuse par une police élastique, dont les cadres puissent s'étendre ou se restreindre à volonté ? ou mettra-t-on sur pied des légions d'agens pour les congédier aussitôt que l'on croira pouvoir se passer de leurs services? Il faudrait ignorer que la police de sûreté s'est recrutée jusqu'à ce jour dans les prisons et dans les bagnes, qui sont comme l'école normale des mouchards à voleurs, et

la pépinière d'où l'on doit les tirer. Employez de tels gens en grand nombre, et essayez de les renvoyer après qu'ils auront acquis la connaissance des moyens de la police, ils reviendront à leur premier métier, avec quelques chances de succès de plus.

» Toutes les éliminations, lorsque j'ai jugé à propos d'en opérer parmi mes auxiliaires, m'ont démontré la vérité d'une semblable assertion. Ce n'est pas que des membres de ma brigade, et elle était toute composée d'individus ayant subi des condamnations, ne soient devenus incapables d'une action contraire à la probité; j'en citerais plusieurs à qui je n'aurais pas hésité à confier des sommes considérables sans en exiger de reçu, sans même les compter; mais ceux qui étaient amendés de la sorte étaient toujours en minorité, ce qui ne veut pas dire (sauf la profession) qu'il y eût là moins d'honnêtes gens, proportion gardée, que dans d'autres classes auxquelles il est honorable d'appartenir. J'ai vu parmi les notaires, parmi les agens de change, parmi les banquiers, des détenteurs infidèles, accepter presque gaîment l'infamie dont ils s'étaient couverts. J'ai vu un de mes subordonnés, forçat libéré, se brûler la cervelle, parce qu'il avait eu le malheur de perdre au jeu la somme de cinq cents francs dont il n'était que le dépositaire. Consignerait-on beaucoup de pareils suicides dans les annales de la Bourse? et pourtant!.. mais il ne s'agit point ici de faire l'apologie de la brigade de sûreté sous un point de vue étranger à son service. C'était l'incon

« EelmineJätka »