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mé Chapellot, traiteur près de la Rapée ; le lieutenant de police Hérault s'y rendit... Le duc d'Antin, qui s'y trouvait, reçut très-mal ce chef de la police, qui, piqué, fit fermer la loge, murer ses portes, et prohiba toutes réunions maçonniques.

Des maçons, au mépris de cette défense, s'étant réunis, le 27 décembre 1738, dans une loge située rue des Deux-Ecus, pour y célébrer la fête de l'ordre, y furent arrêtés par ordre du sieur Hérault, et renfermés dans la prison du Fort-l'Évêque (1). »

Les mesures les plus rigoureuses, les plus acerbes, celles qu'il croyait devoir le conduire le plus aisément et le plus promptement à son but, il les adoptait toujours de préférence, opprimant, vexant les citoyens, n'ayant d'oreilles que pour les persécuteurs, faisant prendre toutes les formes à ses armées d'espions, ne s'arrêtant jamais à l'idée des voies légales. Millin (Ant. nat.) rapporte de lui un quiproquo assez plaisant.

Une marchande de modes avait fait peindre, avec assez de soin, dans son enseigne, un abbé choisissant des bonnets, et courtisant ses filles de boutique; on lisait sous cette enseigne: A l'abbé coquet. Hérault, dévôt et homme assez borné, voit cette peinture, la trouve indécente, et, de retour chez lui, ordonne à un exempt d'aller enlever l'abbé Coquet, et de le mener chez lui. L'exempt, accoutumé à ces

(1) Dulaure, Histoire de Paris, tom. V.

sortes de commissions, va chez un abbé de ce nom, le force à se lever, et le conduit à l'hôtel du lieutenant-général de police. Monseigneur, lui dit-il, l'abbé Coquet est iei. Eh bien, répond le magistrat, qu'on le mette au grenier. On obéit. L'abbé Coquet, tourmenté par la faim, faisait de grands cris le lendemain. Monseigneur, lui dirent les exempts, nous ne savons plus que faire de cet abbé Coquet, que vous avez fait mettre dans le grenier : il nous embarrasse extrêmement. Eh, brûlez-le, et laissez-moi tranquille. Une explication devenant nécessaire, la méprise cessa, et l'abbé se contenta d'une invitation à dîner et de quelques excuses.

Plusieurs historiens ont écrit que René Hérault avait passé les derniers momens de sa maladie dans les angoisses les plus cruelles, parlant sans cesse de la main de Dieu qui le frappait, et, pourtant, ne se reprochant pas ses poursuites contre les jansenistes: e'est que, dans ses opinions religieuses, confondant l'objet sacré du culte avec les passions de ses ministres, il voyait des ennemis de Dieu dans tous ceux › qui ne partageaient pas l'erreur de son esprit.

LENOIR

(JEAN-PIERRE-CHARLES).

Ce magistrat, placé, avec raison, parmi ceux qui ont acquis le plus de célébrité vers la fin du dernier siècle, naquit, en 1732, dans une de ces famil

les considérées par une antique probité, et par une suite d'emplois honorablement exercés, soit dans la robe, soit dans la haute finance. Il appartenait à cette classe intermédiaire qui a fourni à la France tant d'hommes distingués, alors même que la grande no blesse jouissait à peu près seule du privilége d'occuper toutes les places importantes.

La civilisation avait fini par prévaloir sur les préjugés de caste, et les hommes de mérite, désignés d'avance au choix du prince par l'opinion, étaient élevés, par l'ascendant unique de l'éducation et des talens, aux premières charges de l'État.

Lenoir avait été destiné à la carrière judiciaire. D'abord conseiller au Châtelet, en 1752, il succéda à son père, en 1754, dans la place de lieutenant particulier; au mois de septembre 1759, il fut nommé lieutenant criminel au même siége, et remplit pendant six ans les pénibles fonctions de cette charge si importante, dans laquelle l'homme de bien est réduit à n'avoir perpétuellement devant les yeux que l'humanité dégradée par le crime.

En 1765, pourvu d'une charge de maître des requêtes, une nouvelle carrière s'ouvrit alors devant lui. Il porta dans ses nouvelles fonctions une grande habitude du travail, une élocution nette et facile, un sens droit, un esprit exercé à saisir et à présenter les affaires sous leur vrai point de vue, enfin tous les avantages qu'il avait acquis au Châtelet, en se formant sur les leçons et les exemples de d'Argouges père et fils, et de quelques autres magistrats

recommandables de ce tribunal si justement célèbre...

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Parvenu au conseil du roi, Lenoir ne tarda pas trouver une occasion de développer toutes les ressources de son esprit et de son caractère. L'autorité voulait des réformes dans la province de Bretagne ; elle confia ses pouvoirs à des mains incapables, qui par la raideur des formes rendirent l'arbitraire encore plus odieux. Les ordres privilégiés réclamerent hautement, et surent intéresser le parlement dans leur querelle. Le commandant militaire, d'Aiguillon, trouva un antagoniste ardent et habile dans la personne de La Chalotais, procureur-général au parlement de Bretagne. Ce célèbre magistrat défendit avec chaleur les droits de la province; mais, victime de son zèle, on l'arrêta, et on le conduisit au château du Taureau. Transféré, le 22 septembre 1765, à la citadelle de Saint-Malo, une commission, composée de membres du conseil, s'y réunit pour le juger, et Lenoir en fut le rappor

teur.

La Chalotais était accusé d'avoir écrit au secrétaired'état Saint-Florentin deux billets anonymes, dont le plus court était conçu en ces termes : « Dis à ton maître que, malgré lui, nous chasserons ses douze j... et toi aussi. Par ces douze j... on entendait douze membres du parlement qui avaient refusé de donner leur démission. D'autres billets, où le roi et son ministre n'étaient pas ménagés, se trouvaient produits au procès. On fit venir des experts écrivains de Pa

ris et de Lyon : ils déclarèrent que les billets étaient écrits de la main de La Chalotais. Ce magistrat nia toujours qu'ils fussent de lui. Le duc d'Aiguillon était le principal agent de toute cette intrigue.

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Calonne remplissait les fonctions de procureurgénéral dans cette affaire. La chambre de Saint-Malo mettait beaucoup de passion dans la poursuite. Ce fut alors que le magistrat inculpé fit paraître son fameux mémoire, composé le 15 janvier 1766, où on lisait en tête ces paroles remarquables.: « Je suis dans les fers ; je >> trouve le moyen de former un mémoire, je l'aban» donne à la Providence. S'il peut tomber entre les » mains de quelque honnête citoyen, je le prie de le » faire passer au roi, s'il est possible, et même de le » rendre public, pour ma justification et celle de mon >> fils. » La Chalotais l'écrivit au château de Saint-Malo, avec une plume faite d'un cure-dent, de l'encre composée d'eau, de suie de cheminée, de vinaigre et de sucre, sur des papiers d'enveloppe de sucre et de chocolat. C'est après l'avoir lu que Voltaire écrivait : « J'ai reçu le mémoire de l'infortuné La Chalotais. » Malheur à toute âme sensible qui ne sent pas le fré» missement de la fièvre en le lisant! Son cure-dent >> grave pour l'immortalité.... Les parisiens sont des » lâches, gémissent, soupent et oublient tout. » Un autre mémoire parut bientôt, et, comme le premier, circula clandestinement, malgré les recherches de la police. La chambre royale devint odieuse, parce qu'on la regardait comme une usurpation sur les tribunaux ordinaires, et comme un instrument de la

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