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épouse malheureuse ne manquerait pas d'ètre en butte aux violences de son mari. Au surplus, ajouta»t-il, ce serait sur vous-même qu'en retomberait la » punition; et la plus douce qu'on pourrait vous infliger serait votre réclusion perpétuelle à Bicêtre. >> Vous pouvez, au contraire, éviter toutes les horreurs » que j'entrevois, par une conduite très-simple, et >> dont vous serez amplement récompensé. Il ne s'agit » que de garder la plus grande discrétion sur la con» versation que j'ai avec avec vous, de continuer à » servir fidèlement votre maître, et de m'avertir exac>tement de toutes ses démarches, ainsi que du parti » qu'il prendra relativement à l'avis que vous lui avez » donné. Décidez-vous, et songez que vous ne pouvez » échapper à ma vigilance. » Le domestique promit et exécuta tout ce qu'on exigeait de lui.

Deux jours s'étaient à peine écoulés, qu'il vint avertir Lenoir que le projet de son maître était de se déguiser le soir même en commissaire de police, de requérir la garde à la chute du jour, d'aller faire ainsi une visite dans toutes les maisons de sages-femmes, et qu'il l'avait destiné à jouer le rôle de clerc à sa suite. « C'est bon, dit Lenoir; obéissez exactement à » votre maître; et, lui donnant quelque argent, voilà » un à-compte sur la juste récompense que vous méritez. Ces deux puissans mobiles, la peur et l'argent, étaient ses agens principaux.

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Lenoir fait appeler le commissaire Chenon, qui avait toute sa confiance. Il le charge de se tenir en cmbuscade à quelques pas du corps-de-garde, pour

arrêter un faux commissaire qui s'y présentera le soir; et l'amener dans son déguisement. En même temps il écrit à la femme, qui se trouvait parfaitetement rétablie, et lui recommande d'être rendue chez elle à sept heures du soir; mais d'avoir soin de lui adresser sur-le-champ une lettre, datée des environs de Rouen, où elle avait une amie intime. Cette lettre contenait des explications propres à rassurer le mari sur une absence aussi prolongée. Lenoir envoya cette lettre à la poste et y fit mettre le timbre de Rouen.

Le mari mit son projet à exécution. Il se rendit en grande robe, avec la perruque magistrale et le bonnet carré, accompagné de son prétendu clerc, au corps-de-garde du faubourg Saint-Antoine; il était sept heures du soir. Il montra beaucoup d'assurance et commença par requérir une escouade pour marcher avec lui. A peine avait-il fait quelques pas dans la rue, que le commissaire Chenon sort d'une allée, arrête la garde et demande quel est le motif de cette démarche. Le faux commissaire ne se déconcerte pas et prétend qu'il est le commissaire du faubourg Saint-Jacques, et que des ordres supérieurs l'obligent de faire une visite dans la maison d'une sage-femme de ce quartier. « Vous, le commissaire du faubourg » Saint-Jacques! répliqua Chenon, vous en imposez; c'est mon ami, je le quitte à l'instant; qu'on arrête » cet homme qui ose prendre un faux titre et se joue de la justice; je vais le conduire à la police, où l'on décidera de son sort. A ces mots, le malheureux

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se trouble, balbutic, avoue sa faute, veut séduire à prix d'argent le commissaire, qui reste inflexible et qui le conduit dans son déguisement, chez Lenoir. Celuici lui adresse les reproches les plus vifs, et finit par lui dire que, ne pouvant attribuer un tel égarement qu'à un excès de jalousie, il veut bien le lui pardonner et lui démontrer en même temps combien il est coupable envers sa femme, qui, sans doute, n'ayant pas reçu sa lettre, ignorait son arrivée, et s'étant mise en route au premier avis, était maintenant rendue chez elle. Le pauvre mari, tout honteux de ce stratagème et des soupçons qu'il avait eus, remercia Lenoir et retourna voir sa femme.

Il est douteux que la police voulût aujourd'hui se mêler dans de semblables intrigues; elle a bien autre chose à faire que de dissiper les craintes des maris jaloux ou trompés. Cependant de telles supercheries sont en quelque sorte innocentes par l'intention et par les résultats; car le scandale ne répare pas le mal quand il est fait, au contraire il l'aggrave.

Que de fois Lenoir, à l'exemple de Sartine, retrouva des pupilles enlevées: il conservait ainsi l'honneur des familles. Si les abus du pouvoir n'avaient jamais d'autre but, personne ne s'en plaindrait.

Tantôt c'était une marquise de la rue des Fillesdu-Calvaire, au Marais, qui, craignant pour la santé, et encore plus pour la bourse de son mari, tout âgé qu'il était de cinquante-six ans, lui dénonçait la lettre adultère d'une rivale; elle parlait de se plaindre au roi de cette liaison avilissante, qui n'était fondée

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que sur des besoins factices, au roi, qui ne rit pas de tout comme le beau monde. Tantôt c'était une autre marquise qui le priait de la débarrasser d'une femme de chambre indiscrète. Pour celle-ci, le judicieux lieutenant de police la fit venir, et lui fit signer la garantie suivante des promesses qu'il avait obtenues d'elle: «Je soussigne promets a monseur le lieutenan » generalle de police de ne james ouvrire la bouche a quique sois des intérets de madame la marquis de » B... et ce sous penes de punisiont n'ayant qua me » louer de madame. Novembre 1777.

D

» Mons adresse et che madame Ettiene etpissier, au » cegond, rue, etc. »

Un jour, un duc et pair lui marquait : « La Vertu » (c'était sans doute un valet) a rendu ma fille grosse, » mais c'est à vous à savoir et à me dire si mon gen» dre est toujours un libertin et fait toujours des det»tes (1). "

Les actrices priaient le puissant magistrat de faire suivre leurs maris ou leurs amans, et se plaignaient à lui de leurs infidélités.

Lenoir savait se procurer avec adresse des espions gratuits ou salariés. La plupart des domestiques étaient placés par les intrigues secrètes des agens de la police; les colporteurs n'avaient d'autorisation qu'autant qu'ils se soumettaient à rendre compte de tout ce qu'ils voyaient ou entendaient; dans les ban

(1) Manuel, Police dévoilée.

des de filous, de valeurs, de voleuses, de prêteurs sur gages, plusieurs avaient une autorisation d'exercer le métier, pour aider adroitement à la restitution des effets dérobés, et pour dénoncer les projets de leurs complices ils étaient eux-mêmes surveillés avec la plus grande vigilance. Les teneurs de banque, dans les jeux connus, donnaient à la police une grosse portion de leurs bénéfices, et signalaient les joueurs sur lesquels on pouvait avoir quelque appréhension. Il en était de même des matrones et des filles publiques, qui étaient chargées de découvrir adroitement et d'inscrire les noms de ceux qui venaient chez elles.

Non-seulement ces gens-là ne coûtaient rien à la police, mais ils formaient, au contraire, sa matière imposable. Ces diverses branches de revenu servaient à solder ceux qui rendaient des services dans des grades plus élevés.

Le lieutenant-général de police mettait les vices ou les fautes à contribution pour se procurer des agens. Un homme était-il surpris dans d'abominables atteintes aux mœurs? on lui faisait entrevoir, ou les peines sévères ou l'infamie qui en résulterait, et on lui offrait l'alternative, ou d'être livré à la justice, ou de devenir un espion. Un auteur de libelles étaitil découvert et saisi? on lui imposait la surveillance et la dénonciation des hommes de lettres et des libraires avec lesquels il était en liaison intime. De même, dans les corps les plus considérés de l'État, on ne manquait jamais de trouver un homme qui avait quelque chose à cacher; et la police s'emparait

« EelmineJätka »