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Ce n'était pas tout que d'incarcérer un livre, il fallait encore le juger. Il arrivait souvent que l'accusé n'était pas entendu. On le condamnait, pour ainsi dire, sur l'étiquette du sac. Voici en quels termes était conçu un jugement rendu, le 13 mai 1783, par Lenoir:

« Jean-Charles-Pierre Lenoir, chevalier, conseil»ler-d'état, lieutenant-général de la ville, prévôté et » vicomté de Paris;

» Vu l'état général de tous les livres imprimés,

un libelle contre lui. Et où cela, Jacquet? lui dit le comte. En Hollande.

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Maurepas écrivit en Hollande, et il acquit la certitude qu'il ne s'imprimait rien. Il fit venir Lenoir. Êtes-vous sûr, lui dit-il, de la fidélité de votre Jacquet? Très - certainement, lui répondit celui-ci, sans lui je ne pourrais pas faire la police de la librairie. - Puisque vous êtes si sûr, et que c'est un agent fidèle, il faut le faire partir aussitôt pour la Hollande. Lenoir reçoit l'ordre, et l'expédie aussitôt à Jacquet, qui part pour la Hollande; mais le ministre avait fait placer des espions à la barrière, et le fripon fut arrêté avec le inanuscrit qu'il avait en poche. On se contenta de le punir ministériellement, c'est-à-dire qu'on l'enferma. Il dut sa liberté à la révolution de 1789.

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planches et estampes prohibés depuis le mois de »juillet, tant à Paris et dans les environs que dans » les provinces du royaume et pays étrangers, et envoyés au château de la Bastille, soit en exécution des ordres du roi et de ceux de monseigneur le gardedes-sceaux, soit en vertu de nos ordonnances ou » des jugemens par nous rendus à la chambre syn>> dicale de la librairie ; ordonnons que lesdits ouvra»ges d'impression seront supprimés et lacérés en la » manière accoutumée, et les planches grattées et brisées en présence du sieur Martin, garde des archives » dudit château, et de ceux de MM. les officiers de l'état-major auxquels leur service permettra de s'y trouver, et ils nous certifieront de l'exécution du pré» sent ordre par écrit, qui vaudra procès-verbal et » sera déposé aux archives dudit château de la Bastille, et pour servir et valoir ce que de raison.

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» LENOIR. »

Ce magistrat avait été prévenu par le ministre Amelot que, dans le passage de la grande écurie qui conduisait de la rue de l'Échelle au jardin des Tuileries, des estampes lascives attiraient chaque jour les regards des personnages de la cour. Un inspecteur est lâché qui, sans choisir, emporte toutes les nudités, et Psyché, et Léda, et la Vénus aux belles fesses, et la chaste Diane, et jusqu'à cette fille romaine qui avait l'indécence d'allaiter son vieux père sans fichu. Chargé de ces œuvres impudiques, il rentre chez lui pour rédiger un procès-verbal, et trouve une lettre de Muller,

secrétaire des commandemens de monseigneur le grand écuyer de France, qui, au nom du prince de Lambese, lui intime l'ordre de ne plus exercer sa surveillance sur les lieux dépendans des écuries. Force fut au suppôt de Lenoir de s'abstenir de toutes fonctions dans le quartier des grandes écuries.

Le lieutenant de police était, chaque jour, importuné par les gens de lettres, qui se dénonçaient les uns les autres. Toutes ces querelles d'amour-propre n'étaient pas un des moindres embarras de sa charge. Tantôt c'était Palissot, qui se plaignait des calomnies du Mercure ; tantôt de Bièvre, qui se lamentait amèrement parce qu'on avait attribué à Palissot une pièce de lui de Bièvre, qui n'avait fait jusque-là que des calembourgs : il s'agissait du Séducteur.

Vicq-D'Azir, secrétaire de l'Académie royale de médecine, écrivait à Lassone, médecin de la reine: « Il se répand avec profusion, contre la Société, un >> libelle dans lequel vous êtes, ainsi que moi, fort >> maltraité. C'est un dialogue, fort mal fait et fort » bête, entre un citoyen et un docteur de la Faculté » de Paris, sur la Société royale. J'en ai prévenu » M. Lenoir il y a plusieurs jours, et j'ai appris hier » de plusieurs de nos confrères, qu'ils s'étaient pro» curé ce libelle en l'achetant chez un libraire nommé Lacloye, près de l'orme Saint-Gervais. Il est étonnant » que M. le lieutenant de police n'ait point été instruit » de cette vente. Il est inconcevable qu'un pareil abus » se commette impunément au milieu de la capitale; »j'en ai écrit ce matin à M. Lenoir.

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>> Il se répand aussi contre M. Geoffroy une épi»gramme imprimée, qui est de la plus grande mé» chanceté.

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En conséquence de cette dénonciation, Lenoir se mit à chercher l'auteur: c'était un sieur Hallot, docteur-médecin, demeurant rue Saint-Thomas-duLouvre, il le fit provisoirement enfermer. Le ministre, qu'il en informa, lui répondit :

« Vous avez très-bien fait, monsieur, de faire con» duire le libraire dans les prisons du Petit-Châtelet, et le sieur Hallot à la Bastille, après avoir fait perquisition dans ses papiers; vous trouverez ci-joint » les ordres du roi, nécessaires pour autoriser ceux » que vous avez donnés. Je vous prie d'en faire remplir les dates que j'y ai laissées en blanc.

» AMELOT. D

Le libraire fut relâché sur la demande expresse de madame la duchesse de La Tremoille, qui ne voulait pas que le petit de Lacloye restât en prison pour une étourderie. L'Académie de médecine demanda aussi l'élargissement de Hallot, et l'obtint.

Enfin, le lieutenant de police était obligé de débattre des comptes de marchande de modes. M. de Vergennes écrivait à ce sujet à Lenoir, pour régler un mémoire de mademoiselle Bertin : « L'intérêt de la » France, monsieur, nous invitant à prévenir, autant » que possible, qu'on ne surfasse avec excès les cours

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étrangères qui veulent bien faire usage de nos mo» des et de nos chiffons, je vous prie de vouloir bien » vous prêter aux désirs de M. l'ambassadeur de Portugal.-14 décembre 1784. »

Lenoir apprend qu'une dame de Sainte-Hélène avait tenté d'empoisonner sa belle-sœur, sans que cette tentative ait pu avoir aucun résultat, parce que le hasard avait fait découvrir l'introduction du poison dans des alimens; il fait amener l'accusée, la force à avouer son crime et la fait enfermer dans un couvent, par mesure de sûreté et de correction. Un magistrat ne se permettrait pas de nos jours de soustraire un coupable à la justice.

Il entrait sans doute beaucoup d'ostentation dans la manière dont la police s'attachait à maintenir sa réputation d'habileté. Lenoir, étant chez le duc d'Orléans (Louis), entendit raconter beaucoup d'histoires extraordinaires de filous. Le prince soutint que c'était la faute de ceux qui en étaient dupes; qu'en ne se mettant pas dans les foules, ou s'y tenant sur ses gardes, on ne pouvait pas en être victime. Lenoir lui répondit qu'il était moins en état que tout autre d'en juger, étant toujours orné de ses décorations, entouré de sa cour, ne pouvant être approché que par ceux qui avaient l'honneur d'en être connus, et la foule s'écartant dès qu'il se présentait; mais que si son altesse voulait aller trois ou quatre fois en simple particulier, sans prendre aucune précaution extraordinaire, on lui escamoterait très-aisément sa montre ou sa boîte dans sa poche sans qu'il s'en

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