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tous les objets d'art qui se trouvaient dans les églises au moment où elles furent rendues au culte lors du concordat. Les fabriques sont seulement affectataires de ces objets, comme elles le sont des bâtiments. Enfin, les dons faits aux églises par l'État, les départements ou les communes sont eux-mêmes considérés comme une affectation et restent dans le domaine

public national, départemental ou communal » (1). Mais le plus souvent les disparitions de cette nature ne peuvent être constatées, faute d'un inventaire général sans lequel la vérification est impossible. D'autre part, si bien fondé qu'il puisse être, le droit de revendication réservé à l'Etat n'est pas toujours efficace, car souvent l'objet vendu se trouvera hors de France avant que la revendication puisse l'atteindre.

III. En 1875, M. Wallon, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts entreprit de donner une sanction à la déclaration de classement prononcée par la Commission des monuments historiques.

M. Rousse, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Paris, fut sollicité de préparer un avant-projet. Il faut lire cet exposé des motifs qui nous montre l'histoire de France écrite sur le sol par les siècles eux-mêmes, depuis les blocs celtiques enfoncés dans les landes du Morbihan et du Finistère, jusqu'aux merveilleuses demeures et aux folies ruineuses de Blois, d'Amboise, de Chenonceaux, de Chambord (2). L'auteur indique le but qu'il s'agit d'atteindre et l'insuffisance des moyens d'y parvenir; il conclut en proposant de limiter le droit de propriété dans les mains des communes et des établissements publics, relativement aux édifices classés qu'ils possèdent, et d'ériger en délit spécial l'atteinte portée par le propriétaire à sa propre chose ou l'aliénation abusive qu'il en aurait faite; l'amende serait la sanction des infractions commises contre l'arrêté de classement.

Cet avant-projet reçut de nombreuses modifications avant d'être présenté aux Chambres; toute sanction pénale disparut, les abus de jouissance des propriétaires donnant seulement ouverture à une action en dommagesintérêts (3).

de Dijon du 3 mars 1887 (journal la Loi, du 20 avril 1887) rejetait la demande en revendication formée contre un particulier, par le préfet de la Côte-d'Or, du mausolée de Philippe Pot, provenant de l'ancienne abbaye de Citcaux.

(1) Avant-projet de loi pour la conservation des monuments historiques et des objets d'art. (Discours, plaidoyers et œuvres diverses de M. Edmond Rousse, tome Ier, p. 285.)

(2) E. Rousse, loc. cit., p. 298.

(3) Les travaux faits en violation des prescriptions légales, dit M. CourcelleSeneuil, dans son rapport au Conseil d'Etat, ne pouvaient donner lieu à une sanction pénale, parce qu'ils sont entrepris le plus souvent sans intention de nuire; mais ils causent un dommage incontestable, et ce dommage doit être réparé par celui qui l'a causé. On peut remarquer cependant que les règlements de police ont très souvent pour sanction l'amende et la prison; la contravention peut être commise et la peine encourue sans qu'il y ait la moindre intention de nuire. Il en est de même pour les homicides et les blessures par imprudence. L'honorable rapporteur voulait exprimer sans doute que les peines de simple police ne seraient pas une répression suffisante, et que, d'autre part,

La Chambre fut saisie du projet ainsi amendé, le 27 mai 1878; mais ce projet fut bientôt retiré, pour être soumis à l'examen du Conseil d'État (1).

Dans la revision qui fut faite alors, section de l'intérieur et section de législation réunies, une disposition toute nouvelle et d'une grande portée vint modifier l'économie générale de la loi. Jusqu'à ce moment personne n'avait eu l'idée d'atteindre les propriétés privées; on ne voulait attribuer autorité à la Commission des monuments historiques qu'à l'égard des édifices publics ou appartenant à des établissements publics. Le classement pouvait bien, il est vrai, comprendre des immeubles appartenant à des particuliers, mais sans qu'il en résultât aucune diminution du droit de propriété (2). Le Conseil d'Etat voulut, au contraire, que les conséquences du classement fussent égales pour tous les monuments sans distinction. Seulement, pour les propriétés privées, le classement ne pourra être imposé par le gouvernement; s'il s'agit d'immeubles non encore classés, les propriétaires seront appelés à donner ou à refuser leur consentement; s'il s'agit au contraire d'immeubles figurant déjà dans les anciens classements, les propriétaires auront le droit, pendant une année, de les faire déclasser (3).

Avec cette modification fondamentale, le nouveau projet fut déposé devant la Chambre par M. Antonin Proust, ministre des arts, le 19 janvier 1882.

Il n'y eut aucun débat (4). Notons seulement que la commission parlementaire, sur la proposition de M. Bischoffsheim, comprit les blocs erratiques dans les objets auxquels devait s'appliquer la loi nouvelle. En effet, disait-il, la conservation de ces blocs intéresse à un très-haut degré l'histoire géologique, l'étude des origines et des modes de formation des terrains de la Savoie et de plusieurs autres de nos départements de l'Est et du Midi (5).

les peines correctionnelles seraient trop dures pour des propriétaires de bonne foi; l'action en dommages-intérêts est mieux en rapport avec la nature des faits incriminés.

(1) Décret du 26 février 1880,

(2) L'article 6 de l'avant-projet rédigé par M. Rousse était ainsi conçu : « Ne tomberont pas sous l'application des dispositions qui vont suivre, bieu qu'ils soient inscrits comme classés sur la liste formée par la Commission, les monuments et objets d'art appartenant à des particuliers. Ces dispositions s'appliquent seulement aux monuments et œuvres d'art appartenant aux départements, aux communes, aux églises, aux communautés religieuses, collèges et autres établissements ayant une existence légale. Le projet présenté

par M. Bardoux contenait la disposition suivante (art. 4): « Les immeubles appartenant à des particuliers pourront être classés, soit sur la demande des propriétaires, soit sur la demande du ministre des Beaux-Arts. Ces immeubles étant classés pourront bénéficier de la répartition des crédits ouverts pour les monuments historiques. Ils sont prescriptibles et aliénables dans les termes du droit commun. »

(3) V. infrà, p. 81, art. 7. et p. 73, note 2.

(4) Séances des 28 décembre 1882 et 25 juin 1885.

(5) Ier Rapport de M. Antonin Proust Chambre, annexes 1882, p. 2135. V. infrà, p. 65.

Au Sénat, M. Bardoux, ancien ministre de l'instruction publique, fut chargé du rapport. Aux différents motifs d'urgence, invoqués en faveur de la loi nouvelle, il ajouta l'état déplorable dans lequel se trouvent les antiquités de l'Algérie.

Notre terre d'Afrique est, après l'Italie, le pays qui fournit le plus d'inscriptions romaines (1). Malheureusement il y règne une véritable fureur de destruction, et les monuments les plus intéressants sont l'objet des actes de dévastation les plus inexplicables et les plus barbares. << L'indignation seule, dit M. de Masqueray, directeur de l'école supérieure des lettres d'Alger, nous aurait poussé à recueillir, nous aussi, les épaves d'un naufrage dans lequel des villes entières disparaissent. On a fait de la chaux avec des statues de Caesarea (Cherchell); Naraggara, Thagora, Auzia sont englouties dans des casernes, j'ai vu scier les marbres du temple d'Esculape; à Lambèze, les collections locales sont au pillage » (2). - Ces faits nouveaux rajeunissaient pour ainsi dire les griefs anciens et justifiaient le projet du gouvernement (3).

Aussi bien personne, au Sénat comme à la Chambre, ne songeait à contester la nécessité d'un texte spécial pour protéger nos monuments classés. M. Combes, sénateur, fit seulement observer que la loi nouvelle imposerait aux communes une charge extrêmement lourde les communes ont besoin d'utiliser les édifices qui leur appartiennent; la servitude archéologique dont ils vont être frappés les mettra souvent hors d'usage, et l'on sera forcé de les remplacer par des constructions neuves qui coûteront fort cher. Il serait juste, au moins, d'inscrire dans la loi le principe d'une obligation à la charge de l'État, toutes les fois que la conservation du monument serait trop onéreuse pour les finances municipales. Pour obvier à cet inconvénient, M. Combes proposa une série d'amendements et s'efforça d'obtenir l'adhésion du Sénat ; mais tous ces amendements furent repoussés, et le projet de la commission fut adopté sans modification (4).

(1) « En 1857, M. Léon Rénier avait relevé, en Algérie, 4.417 textes lapidaires, réunis dans son recueil des inscriptions romaines. En 1881, l'Académie de Berlin, par les soins de MM. Mommsen et Wilmanns, publiait le tome VIII de son Corpus inscriptionum latinarum, relatif à l'Afrique et contenant un total de 10.988 inscriptions, dans lequel le travail de M. Rénier se trouve absorbé. En 1884, M. Schmidt faisait paraître dans l'Ephemeris epigraphica 1479 nouvelles inscriptions. Pendant ce temps, M. Cagnat publiait, de son côté, dans les Archives des missions, 867 textes qu'il avait reconnus sur place dans ses explorations. »> La Tunisie a offert de nouvelles richesses aux explorateurs, et le Père Delattre publie, dans le bulletin épigraphique de M. Mowat, le résultat de ses fouilles fructueuses à Carthage. Il est impossible aussi de ne pas mentionner les importantes explorations de M. Poinsot, de M. Salomon Reinach, de M. Héron de Villefosse, de M. Pallu de Lessert. Rapport de M. Bardoux : Sénat,

annexes 1882, p. 137.

(2) Préface du Bulletin de correspondance africaine, 1882, p. 6.

(3) En ce qui concerne l'Algérie, nous renvoyons à l'article 16 qui contient

une disposition très importante.

(4) Séances des 10 et 13 avril 1886.

Aucune objection ne fut faite contre l'application de la servitude aux propriétés particulières.

Nous remarquerons ici que les blocs erratiques ne figurent plus dans la liste des monuments à conserver, la commission ayant pensé qu'en bonne logique ils ne pouvaient avoir leur place à côté des œuvres de la main des hommes. Nous remarquerons également que le texte a été divisé en quatre chapitres distincts portant les rubriques suivantes : Chapitre Ier. Immeubles et monuments historiques ou mégalithiques; - Chapitre II. Objets mobiliers; - Chapitre III. Fouilles; Chapitre IV. Dispositions spéciales à l'Algérie et aux pays de protectorat.

Malheureusement cette division, faite après coup, n'est pas à l'abri de tout reproche; c'est ainsi que l'article 12 qui détermine les sanctions, en ce qui touche les immeubles, se trouve placé dans le chapitre II et compris dans les dispositions concernant les objets mobiliers. cette observation n'est que de pure forme (1).

Mais

Disons maintenant, au point de vue juridique, quelle est l'étendue et quelle est l'économie générale de notre loi.

C'est principalement aux immeubles qui appartiennent à l'État, aux départements, aux communes, aux fabriques ou autres établissements publics reconnus que s'adressent les dispositions légales. En ce qui les concerne, aucune réclamation n'est admise contre les décisions de classement antérieurement prononcées par la commission (art. 7).

Pour l'avenir, le classement sera fait par arrêté du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, s'il y a consentement de tous les intéressés; s'il y a désaccord, il sera fait par décret rendu en la forme des règlements d'administration publique (art. 2).

Quant aux propriétés particulières, formant à peu près la vingtième partie du nombre total des monuments classés, elles ne peuvent être assujetties aux conséquences légales du classement que si les propriétaires y consentent (art. 3). Cependant, pour tous ceux qui ont été classés antérieurement, le consentement des propriétaires est présumé : pour obtenir de droit le déclassement de ces édifices, les intéressés devront en faire la demande au ministre de l'instruction publique et des beaux-arts avant le 30 mars 1888; encore faut-il que l'Etat n'ait fait aucune dépense pour leur conservation (art. 7).

Une fois le classement devenu définitif, la situation est égale pour tous les monuments, quel que soit le propriétaire; ils sont tous frappés d'une servitude administrative qui les suit dans quelques mains qu'ils passent et que l'article 4 définit ainsi : ««<L'immeuble classé ne pourra être détruit, même en partie, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts n'y a donné son consentement. » Les travaux exécutés en violation de cette disposition donneraient lieu, au profit de

(1) V. aussi infrà, p. 85, l'article 15, qui doit s'appliquer, non pas seulement aux fouilles, mais à l'ensemble des dispositions de la loi du 30 mars.

l'Etat, à une action en dommages-intérêts contre ceux qui les auraient ordonnés ou fait exécuter (art. 11).

Pour les objets mobiliers, il en sera fait un classement général par les soins du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts; ce classement ne peut comprendre que des objets appartenant à l'Etat, aux départements, aux communes, aux fabriques et autres établissements publics (art. 8). Les objets classés qui appartiennent à l'État seront inaliénables et imprescriptibles; ceux qui appartiennent aux départements, communes, ou établissements publics ne pourront être restaurés, réparés, ni aliénés par vente, don ou échange qu'avec l'autorisation du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts (art. 11). L'aliénation faite en violation de cette disposition sera nulle; la revendication pourra être exercée pendant un délai de trois ans, comme dans le cas de perte ou de vol (art. 13); des dommages-intérêts pourront en outre être réclamés, dans tous les cas, pour infraction aux dispositions légales (art. 12 et 13). Lorsque des fouilles feront apparaitre des objets pouvant intéresser l'archéologie, l'histoire ou l'art, le maire de la commune devra aviser immédiatement le préfet du département qui en référera au ministre de l'instruction publique et des beaux-arts. Si les fouilles ont été faites sur un terrain appartenant à l'État ou à quelque autre personne publique, des mesures provisoires seront prises par le maire pour assurer la conservation des monuments découverts (1); les fouilles ne pourront être continuées que sous la direction de la Commission des monuments historiques (2). Si, au contraire, la fouille a eu lieu sur le terrain d'un particulier, la Commission ne pourra procéder que par la voie de l'expropriation, suivant les formes ordinaires de la loi du 3 mai 1841 (art. 1').

En Algérie, l'État se réserve la propriété exclusive des objets d'art ou d'archéologie, édifices, mosaiques, bas-reliefs, statues, médailles, vases, colonnes ou inscriptions qui pourraient exister sur le sol ou dans le sol des immeubles concédés par lui à des établissements publics ou à des particuliers (art. 16).

Annexe. A la suite du texte promulgué dans le Journal officiel du 31 mars 1887, figure comme annexe une liste comprenant le dernier état du classement des monuments historiques. Cette insertion a eu pour but

(1)« Le savoir et l'expérience de l'homme du métier ne sont pas moins nécessaires quand il s'agit de conduire des fouilles importantes. Cependant, le plus souvent, on ne songe à les signaler à la Commission qu'alors qu'elles sont déjà très avancées. Or, si les déblais n'ont pas été tout d'abord bien dirigés, il faut, sous peine de ne pouvoir continuer ces fouilles, reprendre les terres qui ont été déjà relevées et les porter sur un autre point. De là des dépenses considérables qui auraient pu être évitées. Enfin, il est très important, s'il s'agit de ruines d'un monument, que chacun des fragments retrouvés soit relevé par un artiste exercé, à la place même et dans la situation où il a été découvert; car, en pareil cas, les moindres indices ont une valeur et sont des éléments de restitution. >> Exposé des motifs, Chambre, annexes 1882, p. 168.

(2) D'une façon générale, les décisions prises par le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts ne seront rendues que sur l'avis de la commission des monuments historiques (V. art. 155).

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