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moraux à divers degrés. Or, si une mesure est bonne, devient- elle mauvaise, parce qu'elle est soutenue par des hommes improbes? Si elle est mauvaise, devient-elle bonne, parce qu'elle est soutenue par des hommes probes?

Après ces observations générales, entrons dans quelques détails sur ces différents chefs.

I. Imputation de mauvais dessein.

Observons bien ici que la mesure en question n'est pas attaquée comme mauvaise, c'est-àdire comme tendante à produire du mal; car si elle étoit combattue sous ce rapport, il n'y auroit plus de sophisme.

Le mauvais dessein imputé n'est donc pas dans la mesure actuelle l'imputation porte sur quelque mesure ultérieure qu'on suppose par anticipation devoir être mauvaise.

1.o

Il faut donc prouver, que l'auteur de la mesure actuelle, contre laquelle on n'objecte rien, projette en effet des mesures ultérieures qui seront mauvaises; 2.o que si la mesure actuelle qui est innocente est admise, les mauvaises mesures contingentes le seront aussi.

On voit que ce sophisme est absolument le même que j'ai déjà combattu, sous le nom de sophisme de défiance. Voy. Ch. V.

II. Imputation de mauvais caractère.

Je suppose ici que l'auteur de la mesure est vulnérable sous le rapport du caractère ou de la réputation. Celui qui, sans attaquer la mesure même, l'attaque indirectement dans le caractère de son auteur, se propose de le faire envisager comme un homme qui a probablement de mauvais desseins, c'est-à-dire qui projette quelque mesure contingente d'un genre pernicieux. Ce n'est donc que le sophisme de défiance, rendu plus plausible à proportion de ce qu'il existe plus de préjugés contre l'individu en question.

Il faut observer que plus on se laisse gouverner par cet argument, plus on se met au pouvoir des hommes qu'on mésestime.

Dės que vous prenez pour votre règle de vous conduire en sens contraire de tel ou tel individu, il devient le maître de toutes vos démarches. Il vous jette sur un écueil en l'évitant. Il vous éloigne du port en y entrant luimême. Vous lui donnez sur vous, par votre aveugle antipathie, le même empire que vous donneriez à vos amis par la plus entière déférence à leurs volontés.

Cette folie, qui n'est pas sans exemple dans la vie privée, a souvent prévalu chez des nations entières. On ne vouloit pas adopter telle loi, telle mesure salutaire, parce qu'elle étoit établie chez des voisins odieux. Ce n'est pas ainsi que se conduisoient les Romains. Fas est et ab hoste doceri.

III. Imputation de mauvais motif.

D'un mauvais motif, on veut conclure à un mauvais dessein. Ce n'est donc encore que le sophisme de défiance, mais extrêmement foible, 1. parce que les motifs se cachent dans les replis du cœur humain 2.° 9 parce que si la mesure n'est pas mauvaise, le motif de son auteur, fût-il purement personnel, fût-il même anti-social, ne fournit aucune raison pour la rejeter.

Direz-vous que les motifs personnels sont mauvais? vous direz une absurdité : c'est de leur influence, c'est de leur ascendant que dépend la conservation de l'espèce humaine, et celle de chaque individu. S'ils cessoient un mo→ ment d'agir, tout tomberoit dans l'inertie et le néant.

Mais si la mesure passe,

celui qui la propose

ou qui la défend y trouvera son avantage personnel, son avantage pécuniaire. - Soit. C'est une raison de plus pour l'examiner. Mais si vous n'avez point d'autre objection contre la mesure, devient-elle mauvaise à raison de ce motif? doit-elle en être considérée avec moins de faveur ? en perd-elle un grain de sa bonté? -Tout au contraire, elle n'en vaut que mieux; car de quoi se compose le bien public que de la somme des avantages individuels?

Ce sophisme a ceci de particulier, c'est qu'il porte sur une base absolument fausse. Il suppose l'existence d'une classe de motifs auxquels on peut légitimement appliquer l'épithète de

mauvais.

Qu'est-ce qui constitue un motif? c'est l'attente éventuelle d'un plaisir ou de l'exemption d'une peine: or, comme en soi, il n'y a de bon que le plaisir ou l'exemption de peine, il s'ensuit que, philosophiquement parlant, il n'y a point de mauvais motif. Chaque espèce de motif peut produire, selon les circonstances, des actions bonnes et mauvaises (1).

(1) Je dois renvoyer les lecteurs à ce qui a été dit sur les motifs dans les Traités de Législation. Tom. II, ch. VIII. De l'influence des motifs sur la grandeur de Palarme.

IV. Imputation de variations.

Le fait des variations étant admis, l'argument qu'on en veut tirer contre la mesure en question, n'est encore que le sophisme de défiance.

Il faut convenir toutefois que des variations tranchantes et soudaines présentent un indice très-défavorable et même concluant, par rapport au jugement ou au caractère d'un individu.

Si, par exemple, il a combattu la mesure en question quand il étoit de son intérêt de s'y opposer, et qu'il la soutienne quand il lui convient de la soutenir s'il s'agit d'un fait

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qu'il ait nié dans une occasion où il lui importoit de le nier, et qu'il l'affirme lorsqu'il lui est avantageux de l'affirmer; s'il cherche à couvrir de mépris ceux qui étoient autrefois les objets de son admiration s'il insulte une cause qu'il avoit auparavant défendue avec chaleur toutes ces variations ne peuvent qu'opérer à son préjudice, à moins qu'il ne les explique d'une manière satisfaisante, et ne les justifie par la diversité des circonstances.

:

La présomption qui en résulte contre l'individu, toute forte qu'elle est, n'a cependan ` II.

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