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3. Si cet argument est bon dans un cas, il est bon dans tous; et s'il est admis, il ne tend pas moins qu'à donner aux personnes en pouvoir un veto absolu sur toutes les mesures qui seroient contraires à leurs inclinations.

il doit

4.° Quand le Législateur confie un pouvoir, supposer, de la part du dépositaire, une disposition à abuser de son dépôt pour son avantage personnel. Cette supposition appliquée à tous les individus, n'est injurieuse à aucun. Voilà le principe et la conséquence pratique est de prendre, contre les abus de pouvoir, toutes les précautions compatibles avec son plein exercice. Ainsi ces arguments tirés des vertus de ceux qui gouvernent, sont en contradiction avec le fondement même des lois (1).

(1) « Choisissons de bons Magistrats et brůlons nos lois. » J'ai entendu ces propres paroles, prononcées par un homme respectable, dans le Conseil Représentatif d'une République. Ceux qui applaudissoient à ce sentiment ne considéroient pas qu'il ne tendoit à rien moins qu'à établir l'autorité arbitraire sous le nom d'autorité paternelle. Ces sortes de bergeries politiques sont un objet de dégoût pour ceux qui savent que les bonnes lois seules font de bons Magistrats, et que le premier vœu d'un bon Magistrat est de ne gouverner que d'après de bonnes lois.

5.° Qu'une mesure soit proposée par l'homme le plus probe, il n'en doit résulter aucun préjugé en sa faveur. Il peut être homme de bien et ignorant. Nul homme plus vertueux que Thomas Morus, le Chancelier d'Angleterre. Nul individu qui ait été plus dangereux par son fanatisme. Le vertueux Las-Casas n'eut pour objet que de soulager la misère des malheureux Indiens, lorsqu'il proposa de leur substituer, pour les travaux des mines, les robustes Africains; et avec la meilleure intention du monde, il fut l'auteur du plus grand de tous les maux, la traite des Nègres.

Observations générales sur les sophismes tirés des personnalités.

OBSERVONS que ces sophismes sont souvent employés comme moyens de défense. Ils servent à repousser d'autres sophismes, et dans ce cas, ils ont une sorte de justice et d'utilité, puisque leur opération ne tend qu'à détruire le succès illégitime d'une espèce d'imposture. Ainsi dans le cas où on fait valoir en faveur d'une mesure l'autorité d'un grand nom, il est permis de combattre cette autorité par les considérations qui l'affoiblissent. On ne fait

par-là que rétablir la cause au point où elle doit être, en écartant l'influence d'un moyen séducteur, et en réduisant au silence ceux qui ne cherchoient qu'à en imposer.

L'auteur d'une mesure veut-il la faire valoir par une prétention de désintéressement personnel? Il sera très-loisible de mettre au jour l'espèce d'intérêt séducteur qui peut être le motif de son action.

Les variations d'un individu ne pronvent rien contre la mesure qu'il soutient, mais elles prouvent contre lui; et si son autorité personnelle de rang ou de talent lui donne un ascendant illegitime, il n'y a pas de meilleur moyen de l'affoiblir que de le mettre aux prises avec luimême.

Ainsi dans le cas où l'un de ces sophismes est le contre-poison d'un autre sophisme, il devient légitime d'en user; mais il ne faut s'en servir que pour amener la question à son vrai point, celui du mérite interne de la mesure, indépendamment de ces considérations étrangères qu'on peut opposer sans fin les unes aux

autres.

Causes de leur ascendant.

Les sophismes de cette classe ne sont si fréquemment employés qu'à raison de leur succès, Mais ce succès, à quoi peut-on l'attribuer ? N'a-t-on pas assez d'expérience pour se défier des personnalités soit injurieuses soit adulatoires? Ne sent-on pas qu'elles sont étrangères à la question, et ne tendent qu'à la couvrir d'un épais nuage ?

Leur succès n'est dû qu'à l'ignorance et aux passions.

1.° Pour appliquer à une question des arguments pertinents, tirés du sujet même, il faut avoir fait une étude profonde de ce sujet, et posséder la faculté de raisonner. Mais, pour employer des personnalités, il ne faut ni peine ni recherche. Le plus ignorant est à cet égard de niveau avec le plus savant, si même il ne lui est supérieur. Rien de plus commode pour ceux qui veulent parler sans avoir la fatigue de penser. On reproduit sans cesse les mêmes idées, et l'esprit ne s'exerce qu'à varier les

tournures.

2. Des arguments pertinents n'ont en général que peu de prise sur les passions; ils tendent

même plus à les réprimer qu'à les flatter. Mettez les personnalités en jeu : celui qui attaque trouve dans la censure personnelle un attrait d'indépendance et de liberté, ou la jouissance d'humilier des supérieurs, « et ne pouvant atteindre à la grandeur, il se venge par en médire. » Celui qui loue se plaît à faire cause commune avec de plus puissants que lui, et croit entrer en société avec eux par les éloges qu'il leur prodigue.

L'ignorance et l'indolence, la haine et l'amitié, les intérêts communs et contraires, la servile dépendance et l'indépendance jalouse, tout concourt à donner aux personnalités cet ascendant si général. Plus on est soumis soimême à ces passions, plus on est porté à croire à leur influence sur les autres; et le préjugé le plus légitime contre un individu, est celui qui résulte de son penchant à user de personnalités injurieuses et inflammatoires.

Ces injures politiques tournent souvent au triomphe de l'homme ferme et modéré qui sait les repousser avec dignité. Frappe, dit-il, mais écoute. Les personnalités qu'il dédaigne retombent sur l'antagoniste imprudent qui se sera blessé de ses propres armes,

« EelmineJätka »