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[ad superbiam, ad metum.]

LA raison est-elle en opposition avec les

intérêts d'une classe d'hommes, ils feront naturellement tous leurs efforts pour attaquer la faculté même de raisonner, pour la rendre un objet de crainte ou de mépris. Leurs sarcasmes, leurs phrases favorites portent l'ironie sur la pensée même, comme si un penseur étoit, à ce titre seul, un être impraticable, étranger aux affaires, dangereux à écouter, et préalablement suspect.

1. A la simple ouverture d'un projet qui ne leur convient pas, le plan d'attaque le plus facile est de le qualifier de spéculation. Ce terme heureux, très-bien entendu des leurs, emporte que le projet ne mérite pas d'être 'discuté, qu'on peut s'épargner la peine de le combattre par des objections raisonnées : Projet spéculatif, - projet inadmissible à l'honneur de l'examen Ce mot est souvent remplacé par des

syno

nymes qui, en se multipliant, paroissent former un crescendo d'objections. Le projet sera déclaré théorétique, visionnaire, chimérique, romanesque, utopien.

2. Il y a des cas où une distinction est admise, et où l'on cède quelque chose. Le plan est bon en théorie, dira-t-on, mais il seroit mauvais en pratique.

3.o Il y a d'autres cas où l'on va plus loin encore. Le plan est déclaré trop bon pour étre praticable. C'est alors sa perfection qui le rend inadmissible.

4. Enfin l'on est arrivé au point que le mot plan a été sérieusement représenté comme une raison suffisante pour rejeter un système de mesures. Les mots perfectionnement, excellence, ont été mis en défaveur comme devant éveiller la défiance et le dédain.

Quoiqu'il y ait une liaison intime entre tous ces moyens de déception, il y a cependant entr'eux des différences qui les rendent suscep tibles d'être réfutés séparément..

1. Abus des mots spéculatif, théorétique, etc.

Je ne condamne pas l'usage de ces mots, mais leur abus. Or, il y a abus toutes les fois

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que dans une discussion sérieuse, sans alléguer aucune objection spécifique, on prétend faire rejeter une mesure en lui appliquant une de ces épithètes de réprobation.

Supposez en effet que la mesure en question soit telle, qu'on puisse justement la qualifier de visionnaire, romanesque, chimérique, il faut que les idées d'un homme soient bien confuses et son vocabulaire étrangement rétréci, s'il ne peut faire entendre ce qu'il y trouve de mauvais qu'en lui appliquant des épithètes injurieuses qui ont si souvent servi à jeter du blâme sur tout ce qui s'est élevé au-dessus des notions vulgaires.

La peur des théories a un fondément dans la raison.

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à mettre en ayant

Il y a une propension commune de la part 'de ceux qui adoptent une théorie, à la pousser trop loin, c'est-à-dire telle proposition générale qui n'est vraie qu'après qu'on en a déduit certaines exceptions, à la mettre, dis-je, en avant sans égard à ces exceptions, et par conséquent à s'écarter proportionnellement de la vérité.

Ce penchant à abuser des théories a été la source d'une foule d'erreurs dans toutes les sciences; mais quelle est la conclusion qu'on

en peut justement tirer? Ce n'est pas de rejeter comme fausses toutes les propositions théorétiques, mais de n'en admettre aucune, dans un cas particulier, sans avoir bien examiné s'il n'y a point d'exception, à faire dans la maxine générale pour la tenir dans les limites de la vérité et de l'utilité.

La raison, l'intelligence, les connoissances d'un individu sont exactement proportionnelles à l'étendue et au nombre des propositions générales qu'il a formées sur de bonnes preuves: en d'autres termes, l'étendue de sa théorie est l'étendue de son savoir.

Conclure d'un exemple de fausse théorie que toutes les théories sont fausses, c'est conclure qu'on doit mal raisonner parce qu'on raisonne, ou qu'on doit parler faux parce qu'on parle.

On diroit qu'il existe un préjugé secret contre la pensée, qu'elle n'est pas une chose tout-àfait innocente et qu'on lose avouer. On voit nombre de gens qui ont une disposition à s'en défendre et à la renier. « Je ne donne, pas dans » les spéculations, je ne suis pas pour les >> théories. » Mais spéculation, théorie,-estce autre chose que pensée, ou du moins pensée un peu au-dessus des pensées communes? Peuton abjurer la spéculation, la théorie, sans ab

jurer la faculté de penser? Et cependant si ce n'est pas là ce qu'on veut dire, on ne dit absolument rien.

Il faudra donc, pour échapper à l'imputation d'être un théoriste, un homme dangereux, renoncer à tout ce qui nous élève au-dessus, de la classe inculte qui ne pense point.

ou si

« Le plan que vous proposez, je le rejette parce que l'objet en est mauvais ; l'objet est bon, les moyens ne sont pas propres à l'atteindre. » — Si c'est là ce que vous entendez, ne pouvez-vous pas le dire? Cette manière d'objecter ne seroit-elle pas plus utile, plus franche, plus honnête, plus d'accord avec le bon sens, que ce vain reproche de spéculation et de théorie ?

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II. Utopianisme.

Il y a un cas où le mot utopie peut être employé, à juste titre, dans un sens de réprobation, lorsqu'on s'en sert pour caractériser un plan dont on promet les plus heureux effets, sans qu'il renferme aucune cause équivalente pour les produire.

L'Utopie de Sir Thomas Morus représente un Gouvernement imaginaire où le bonheur

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