Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

L'OBSTACLE PRIS POUR LA CAUSE..

Je vais expliquer ce sophisme en le présen

tant sous la forme d'une instruction pour s'en servir.

Je suppose que vous appartenez à un système politique où, à côté de parties très - défectueuses il yen a d'excellentes. Le malheur veut que vous trouviez votre intérêt à défendre une des institutions les plus abusives. Si on vient à la réformer, vous risquez de faire une grande perte en dignité ou en profit. Quel est le moyen

le plus propre à parer le coup? Commencez

par faire un tableau brillant du système politique dans sa totalité : étendez-vous sur les heureux effets qui en résultent et que personne ne conteste; et de-là, passant aux abus que vous cherchez à protéger, ne manquez pas de leur attribuer, en tout ou en partie, l'existence de ces heureux effets. Cum hoc, ergo propter hoc. Il en résultera une confusion d'idées dans la tête de tous ceux qui n'ont pas un prisme. pour les séparer.

Dans tout système politique qui existe de

puis long-temps, qui s'est formé qui s'est formé peu à peu, sans aucun plan général et selon que les événements faisoient prévaloir tels ou tels intérêts, un observateur qui veut remonter aux causes du résultat actuel, distingue les circonstances sous trois rapports: 1.° celles qui ont opéré comme causes promotives du bien; 2.° celles qui ont opéré comme obstacles; 3.° celles qui n'ont eu aucune influence.

Dans tel système donné, quels que soient les abus et quels que soient les heureux résultats, les abus ont opéré par rapport aux heureux résultats, non en qualité de causes, mais en qualité d'obstacles.

[ocr errors]

Si vous parvenez à donner le change à cet égard, vous aurez mis l'abus à couvert. Mais si cette entreprise est trop difficile, efforcez-vous du moins d'attribuer ces heureux résultats, non à leurs véritables causes mais aux circonstances indifférentes, à celles qui n'ont point eu d'influence; car si on voit clairement les causes qui ont amené les effets prospères, on verra clairement aussi celles qui n'y ont point eu de part.

Le vrai savoir est votre plus dangereux ennemi. Or, le vrai savoir consiste à démêler, dans chaque occasion, les causes, les obstacles'

et les circonstances indifférentes. Cherchez donc à confondre toutes ces choses (1).

Ce genre de sophisme est le plus universel; c'est celui dont on se sert avec le plus de succès pour la défense de tous les abus, sans excepter les plus odieux. Qui peut douter qu'un Inquisiteur dans le cabinet de son Souverain, ne sût lui représenter que le salut de l'État dépendoit de l'existence d'un Tribunal qui veilloit sur la pureté de la Foi?

Les Moines et tout le Clergé de l'Empire Grec n'attribuoient-ils pas les invasions des Barbares et la défaite des armées qu'on leur opposoit, à la scandaleuse tolérance du Gouvernement pour quelque hérésie?

Il étoit bien reconnu dans l'Empire de Montézuma, qu'on y surpassoit tous les États voi

sins en vertu et en sagesse.

D'où nous vient cette glorieuse prééminence demandoit un Mexicain au Grand-Prêtre? Où voulez-vous en chercher la cause; répondit le Pontife, que dans les ruisseaux de

(1) L'auteur ajoutoit plusieurs exemples de ce sophisme qui auroient de l'intérêt pour des lecteurs anglois, mais qui ne seroient pas bien compris hors de l'Angleterre.

ce sang précieux, ce sang des innocents qui coule tous les jours sur les autels et qui appaise les Dieux irrités ?

Tous les progrès de la raison humaine, en matière de Gouvernement, ne s'opèrent qu'en détruisant quelque branche de ce sophisme, c'est-à-dire en parvenant à démêler les vraies canses de la prospérité, à les séparer d'avec les obstacles ou d'avec les circonstances indiffé

rentes.

Dans l'économie politique, combien n'a-t-on pas pris l'obstacle pour la cause! On a regardé les monopoles, les prohibitions, comme la source de la prospérité du commerce; - on a envisagé les Jurandes, les lois sur les apprentissages, les règlements des manufactures, comme la cause du progrès des arts; à peu près comme si l'on avoit cru que la vie d'un individu tient à l'existence du ténia, qui se nourrit de sa plus pure substance. L'ouvrage d'Adam Smith, sur la richesse des Nations, est un traité dont tout l'objet peut se rendre par cette expression abrégée : Détruire les illusions qui ont fait prendre les obstacles pour les causes.

[ocr errors]
[ocr errors]

CHAPITRE III.

SOPHISME QUI CONCLUT A REJETER AU LIEU 3. D'AMENDER."

Inconvénient remédiable ou inférieur présenté comme objection concluante.

IL est telle question qui, vue du côté de ses

preuves directes, paroît se résoudre d'une manière; et vue du côté des objections, elle paroît se résoudre d'une autre. Cette différence s'observe dans des cas où les raisons d'utilité se partagent chacun, d'après ce qui l'aura frappé dans le cours de son expérience, donnera beaucoup plus de force à tel avantage ou à tel inconvenient. La différence d'opinion peut subsister sans mauvaise foi d'aucune part.

*

Il n'en est pas de même dans le sophisme en question. L'inconvénient qui sert de base à l'objection est admis par supposition comme un inconvénient réel, résultant de la mesure; mais on le présente comme concluant

[ocr errors]

elle, quoiqu'il ne doive point avoir Ce sophisme se réfute par deux L'avantage de la mesure étant

[ocr errors][merged small]
« EelmineJätka »