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convénient allégué sera prépondérant ou nonprépondérant.

Dans l'un et l'autre cas, il sera remédiable ou non-remédiable.

Des que l'inconvénient n'est pas prépondérant, la mesure doit être admise. S'il est remédiable, l'objection ne doit que servir de base à un amendement.

Cette distinction, toute facile, toute évidente qu'elle est, n'empêche pas ce sophisme de se reproduire sans cesse dans les débats législatifs. Chez les uns, il y a défaut de discernement pour la saisir dans les cas particuliers. Chez les autres, il y a défaut de candeur, et c'est là un genre de cataracte qu'aucun oculiste ne peut lever.

Ce sophisme se montre assez souvent dans un parti d'opposition, sous une forme de lieu commun déclamatoire contre toute création de place ou d'office nouveau, sans aucun examen préalable de son utilité.

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Dans ces cas, on fait valóir deux objections générales, l'une tirée du besoin d'économie, l'autre du danger d'accroître l'influence de la Couronne.

Ces deux objections ont chacune leur force, et une force prépondérante, quand il n'y a point

de raison supérieure. Le sophisme consiste à les employer comme des arguments concluants pour rejeter une mesure qui ne présente aucun autre inconvénient que ceux-là.

S'en tenir à ces deux moyens d'attaque, c'est moins combattre l'établissement proposé que faire l'aveu de son mérite. En effet, celui qui auroit quelque objection spécifique à présenter, s'en tiendroit-il à celles-ci, qui s'appliquent à tous les emplois existants, à tous ceux qui peuvent exister, et qui détruiroient le système entier du Gouvernement si on leur donnoit une force péremptoire?

Un nouvel office, un nouvel établissement est encore exposé aux attaques par un autre paralogisme. On le dénonce comme une place parasite, comme une affaire de faveur, et l'on tourne en objection contre le plan, le bénéficé qui doit en résulter pour un ou plusieurs indi vidus.

Or, la circonstance de ce bénéfice individuel, considérée seule et indépendamment de toute autre objection, bien loin de constituer un argument contre la mesure, est au contraire un argument additionnel en sa faveur. La mesure est-elle bonne en totalité? elle devient meilleure

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par les profits individuels qui en résultent. Estelle mauvaise en totalité? le profit individuel est autant de soustrait à la somme du mal qu'elle fait naître.

En principe, rien de plus clair : mais la passion obscurcit l'évidence même. Voit-on ce profit individuel? il sert d'abord de préjugé, et bientôt d'argument contre la mesure.

Il n'est pas difficile de remonter à la source de ce sophisme, et d'expliquer son ascendant. L'envie qui dénonce est toujours sûre de plaire à l'envie qui écoute; et ce sentiment agit avec d'autant plus de force, que ceux qui l'éprouvent peuvent souvent le méconnoître.

En parlant de cette passion odieuse, je ferai une observation qui, au premier moment, aura l'apparence d'un paradoxe: je pense que si l'on prend la totalité de ses effets, on la trou vera plus utile que pernicieuse.

Je ne crois pas qu'il fût possible à aucune Société de se conserver sans la défiance et la vigilance, qui ont pour première cause cette passion toujours secrète et toujours active.

Le Législateur qui seroit déterminé à n'employer à son service que les motifs, sociaux, les motifs de pure bienveillance, trouveroit bientôt ses lois sans force et sans effet.

Le Juge qui ne voudroit recevoir que des dénonciateurs animés par des motifs

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purs, seroit bientôt sans emploi, relativement à toutes les fraudes sur le revenu, et à tous les délits qui n'affectent que le public en général. — S'il ne vouloit écouter de témoins que ceux qui lui seroient amenés par des motifs de bienveillance, il seroit bientôt réduit à abandonner son tribunal.

Le Législateur ne peut faire concourir les hommes à ses vues qu'en intéressant leurs affections et leurs passions. Les motifs qui les font agir sont personnels ou sociaux, ou antisociaux. Son premier objet sera non-seulement d'employer à son service tous les motifs sociaux qui sont déjà en action, mais encore de les cultiver, de les fortifier, de leur donner toute l'étendue possible (1). Par rapport aux motifs personnels, il cherchera à les limiter, à les réprimer, sans leur imputer un blâme qu'ils ne méritent point. Par rapport aux motifs antisociaux, il ne se servira jamais de ces dangereux auxiliaires que par nécessité; il ne les

(1) Voyez Traités de Législation. Tom. III, ch. 16. Culture de la bienveillance.

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mettra point de lui-même en mouvement, mais comme ils existent, il s'efforcera de diriger leur influence vers le bien public: il laissera surtout la concurrence libre dans les carrières des honneurs et de la fortune, afin de convertir l'envie en émulation.

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