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éluder la preuve, et à faire passer pour vrai ce qu'il sait être faux. C'est une pétition de principe.

Il s'agit d'une mesure politique à discuter. Changement dans la loi est un terme neutre. Perfectionnement, amélioration, sont des termes eulogistiques. Innovation est dislogistique.

Il ne sera pas rare, dans un débat, de voir ces trois mots, mais surtout les deux derniers, appliqués à la même mesure par les deux partis, avec l'intention de produire un effet par la seule force du mot. Celui d'innovation, qui semble synonyme de nouveauté, a pris un caractère, sinon absolument mauvais, du moins suspect. Innovation emporte l'idée d'un changement téméraire ou brusque, qui ne s'allie pas avec les choses existentes. Celui qui ne veut point écouter ou alléguer de raison, et qui auroit honte de rejeter une mesure améliorative, la rejette, sans scrupule, sous le nom d'innovation. Ce nom insinue une présomption générale contre la mesure proposée.

Tous les sophismes suivants renferment la pétition de principe, et précisément celle qui est cachée dans le mot; mais ils ont quelque circonstance qui les distingue.

CHAPITRE VI (1).

SOPHISME DES CLASSIFICATIONS ENTAS

SANTES.

Si ce n'est toi, c'est donc ton frère

Ou bien quelqu'un des tiens.

Fable du Loup et de l'Agneau.

CE Sophisme consiste à attribuer à un individu

ou à une classe d'individus une identité d'opinions ou de dispositions avec d'autres individus, uniquement parce qu'ils sont liés par une dénomination commune, et sans faire attention aux circonstances qui établissent entre eux des différences essentielles.

Ce sophisme peut opérer dans les deux sens, c'est-à-dire qu'on peut s'en servir pour créer des partialités soit favorables, soit defavorables: mais comme il est plus nuisible quand il propage la malveillance, c'est sous ce rapport qu'il est plus important de le considérer.

Il a déjà été signalé dans cet ouvrage comme faisant partie du sophisme des Personnalités in

(1) Ce sophisme et les quatre suivants se rangent sou le précédent, comme des espèces sous le genre.

jurieuses. Noscitur ex cognominibus. Mais il est convenable de le ranger sous un chef à part, ne fût-ce que pour faciliter les moyens de le reconnoître.

Les préventions qu'on reçoit sur le caractère des différentes nations, sont des exemples vulgaires de cette erreur. Qu'est-ce qui peut sortir de bon de Nazareth, disoient les Juifs en parlant de Jésus-Christ?

Rien de plus commode pour les passions que ce mode de raisonner. La plus foible analogie prend le caractère de l'induction; une ombre paroît une substance.

Dans la fureur de la révolution françoise, lorsque le vertueux et infortuné Louis XVI étoit entre la vie et la mort, entr'autres moyens pour étouffer la conscience publique, on eut recours à celui de répandre avec profusion des pamphlets inflammatoires. L'un de ceux qui circulèrent le plus étoit intitulé, des Crimes des Rois.

Les matériaux pour un tel ouvrage ne pouvoient pas manquer, puisque les Rois étant hommes, sont sujets aux mêmes erreurs, aux mêmes foiblesses, aux mêmes tentations que tous les hommes, moins que le commun des hommes à l'égard de certains délits, mais plus

qu'eux à l'égard de quelques autres, à raison d'une plus grande facilité à s'y livrer.

L'auteur de ce libelle odieux ne se proposoit pas un examen impartial du caractère des Rois. Il vouloit tirer de cet amas d'imputations vraies ou fausses, un argument qui n'auroit pas laissé sur la terre un seul homme en sûreté. « Les criminels doivent être punis; les Rois sont cri minels. Louis ́est Roi, donc Louis doit être puni. » Cette logique des passions semble n'appartenir qu'à des moments de frénésie; mais elle est beaucoup plus commune qu'on ne pense.

Ex. II. Pendant qu'on agitoit en Angleterre la question de l'émancipation des Catholiques, savoir si le quart de la nation, composé de Catholiques, doit être tenu plus long-temps dans un état de dégradation sous la Religion dominante, un de leurs adversaires publia un ouvrage intitulé, Cruautés des Catholiques.

L'auteur, quoiqu'usant de la même logique que celui dont nous venons de parler, n'avoit point la même intention. Il ne vouloit point provoquer de vengeance contre les Catholiques; son but étoit seulement de justifier les lois qui les excluent de plusieurs offices civils et politiques, et qui leur impriment un caractère de réprobation. S'il n'avoit pas ce but, il n'en avoit aucun

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On ne peut se faire une idée justè de cet argument qu'en considérant ses conséquences dans la pratique.

D'après cela, quel que soit le caractère des Catholiques présents et futurs, ils doivent être jugés sur les cruautés et les énormités de ceux qui, dans les siècles passés, ont porté le même nom. L'oppression doit être éternelle. L'amendement le plus parfait leur seroit inutile. Qu'importe ce qu'ils peuvent devenir, puisqu'ils ne peuvent anéantir le passé, et qu'ils seront toujours responsables de ce qui s'est fait avant eux?

Il est certain que si les Catholiques, en vertu d'une doctrine authentique, se croyoient dans l'obligation de persécuter tous ceux qui professent une religion différente de la leur ; et si des faits récents démontroient qu'ils persistent dans ce principe, on seroit justement fondé à prendre toutes les mesures de sûreté nécessaires pour se garantir des effets de cette intolérance.

Si les Catholiques d'Irlande et d'Angleterre reconnoissoient ce droit du glaive contre les Protestants, s'ils professoient cette doctrine intolérante, il n'y auroit rien que de juste et de légitime dans l'argument qu'on en tireroit contre eux mais, dans ce cas, à quoi serviroit-il d'alléguer la doctrine et la pratique des temps

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