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C'est d'après ce principe, fondé sur l'expérience, que nos Cours de justice ont établi une des règles les plus raisonnables et les moins sujettes à exception dans la procédure. La preuve la plus foible, c'est le témoiguage d'un homme en sa propre faveur; la plus forte, c'est son témoignage contre lui-même.

Que fera-t-on en conséquence? Doit-on exclure, doit-on refuser d'entendre les hommes qui, par état, possèdent les meilleurs moyens d'information, parce qu'ils sont exposés à l'influence d'un intérêt séducteur ? Tout au contraire, c'est une raison pour les écouter avec plus d'attention : capables comme ils le sont, en vertu de leurs connoissances relatives, de fournir tous les arguments pertinents, toutes les objections directes contre la mésure proposée, plus on est fondé à conclure, s'ils ne la combattent que par de mauvaises raisons, qu'il n'y en a point de bonnes à alléguer contre elle. Le recours à des subterfuges est dans ce cas un aveu de défaite.

Nous avons dit de plus que, pour estimer la valeur d'une autorité, il y avoit deux autres circonstances à considérer, la conformité des cas, et la fidélité des intermédiaires. Ceci ne demande que peu d'explication.

Relativement à la conformité, il est clair qu'on n'en peut juger par aucune règle générale. Chaque cas requiert un examen particulier, une comparaison détaillée pour apprécier les ressemblances et les différences entre le sujet im.. médiat qui est en question, et le sujet passé auquel l'autorité se rapporte. Je me borne à observer que cet examen fournira souvent le moyen le plus sûr de ruiner le sophisme de F'autorité. Plus les circonstances seront bien considérées, plus on trouvera que celles qui servoient de base à l'opinion alléguée ne sont point semblables à celles qui existent actuellement. Se conduire par autorité, c'est souvent faire le contraire de ce qu'on croit imiter.

Quant à la fidélité des intermédiaires par lesquels l'opinion a été transmise, on ne fait mention de cette circonstance que pour la rap-; peler. Il n'est pas besoin d'en prouver l'importance. Qui peut ignorer par combien de causes le rapport d'une opinion s'altère ou se dénature en passant par différents canaux ? La force de l'autorité, en s'éloignant de sa source, va en décroissant de la même manière que dans le cas d'un témoignage juridique.

II. Sophisme de l'Autorité. Refutation.

Nous avons vu qu'il est des cas où l'autorité constitue une base raisonnable de décision.

Quel que soit le sujet soit le sujet en question, il n'y a point de sophisme à citer des opinions, à rassembler des documents et des faits, lorsqu'on se propose par-là de fournir une instruction plus complète. Ces citations, ces documents ne sont point donnés comme faisant autorité par euxmêmes, ils ne sont point censés avoir une valeur indépendante de celle des arguments qu'on en peut tirer; ce ne sont que les matériaux de la pensée.

S'agit-il d'un sujet hors de la compétence de ceux qui sont appelés à décider, d'un sujet appartenant à une profession, il n'y a point de sophisme à se référer à l'opinion des Experts, seuls juges capables. On ne sauroit procéder autrement dans les cas qui concernent la science médicale, la chimie, l'astronomie, les arts libéraux ou mécaniques, les diverses branches de l'art militaire, etc.

Mais il y a sophisme lorsque dans une Assemblée politique, compétente pour former un jugement éclairé, on a recours à l'autorité comme

à une espèce d'argument qui doit exclure tout argument spécifique ou qui doit lui être préféré comme faisant par lui-même une base légitime de décision.

Le sophisme est à son plus haut point dans le cas où l'autorité qu'on veut donner comme probante n'est autre que l'opinion d'une classe de personnes qui, par leur état même, sont sous l'influence d'un intérêt séducteur opposé à l'in térêt public. C'est renverser le principe de tous les tribunaux qui permettent de récuser un juge quand il a un intérêt personnel dans la cause.

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Dans toute question concernant la convenance d'une loi ou d'une pratique établie, celui qui veut qu'on se décide sur autorité doit admettre l'une ou l'autre de ces deux propositions, 1. que le principe de l'utilité, c'està-dire l'influence d'un acte sur le bonheur de la génération présente, n'est pas la règle d'après laquelle on doit se gouverner; -ou 2.° que la pratique des anciens temps, ou l'opinion de certaines personnes doivent être considérées comme des preuves concluantes qui dispensent de raisonner.

S'il admet la première de ces propositions, en qualité d'homme public, il trahit les intérêts du public, il tourne la puissance qu'il a reçue

contre ceux qui la lui ont donnée, et prouve qu'un intérêt privé l'emporte dans son esprit sur l'intérêt générat.

S'il admet la seconde, il se déclare incapable de raisonner, de juger par lui-même, et se met sous la tutelle de ceux qu'il considère comme ses guides. Docilité louable de la part des individus qui, ne pouvant s'instruire, font sagement de s'en rapporter au jugement des plus habiles: mais soumission honteuse et même soumission coupable de la part de ceux qui sont entrés volontairement dans la carrière publique, et qui n'ont qu'à vouloir, pour se procurer toutes les informations nécessaires.

Celui qui, à l'occasion d'une loi proposée, veut tout référer à l'autorité, ne dissimule pas l'opinion qu'il a de ses auditeurs. Il les croit incapables de former un jugement sur des preuves directes; et s'ils sont disposés à se soumettre à cette insulte, ne peut-on pas présumer qu'ils en reconnoissent la justice?

Il semble d'abord que cette infériorité avouée devroit avoir pour compagne inséparable la modestie et même l'humilité; mais si on y regarde de plus près, on verra que les plus zélés pour l'autorité d'opinion ont toujours été les plus intolérants. L'arrogance et la servilité ne sont

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