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Ainsi, par rapport aux délits, après avoir déterminé leur caractère commun, leur définition générale (actes nuisibles d'une manière ou d'une autre au bien-être de la Communauté), il cherchera les caractères particuliers de ces délits pour en faire des classes; et, après avoir placé dans chaque classe tous ceux qui sont unis par des propriétés semblables, il verra clairement en quoi ils se ressemblent, en quoi ils diffèrent, leur gravité comparative, le traitement qui leur convient, le mal qui en résulte et les remèdes qu'il comporte.

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Il verra les délits se diviser en quatre grandes classes: 1.° les délits privés, ceux qui affectent un individu assignable, et qui produisent un mal immédiat et un mal d'alarme; 2.° les délits 3.o les délits demi-publics ou contre une portion particulière de la Communauté; 4. les délits publics qui, sans affecter aucun individu plus qu'un autre, nuisent à l'intérêt général,

personnels ou envers soi-même;

Les délits privés se subdivisent en délits contre la personne, - contre la réputation, contre la propriété, -contre la condition (1).

(1) Voyez Traités de Législation. Tom. I, p. 172. Classification des délits. Avantages de cette classification.

Je me borne à cet exemple ; mais il suffit pour montrer comment une bonne classification et une bonne nomenclature qui en est la suite, sont absolument nécessaires pour produire sur chaque objet une argumentation serrée. Jusque-là, on raisonne en l'air avec des mots vagues et des notions confuses.

Voyez, par exemple, dans le Code Anglois, comment les délits sont groupés ou plutôt jetés pêle-mêle sous des dénominations qui n'enseignent rien ni sur leur nature ni sur leur gravité. Les Trahisons, les félonies avec clergie, les præmunire, les misdemeanours, qu'apprennent ces moms? Celui de trahison donne une foible lueur sur la nature de l'offense: mais les felonies et les promunire sont des énigmes, ou si ces termes contiennent une indication, c'est plutôt celle d'une certaine peine que d'un certain delit. Pour les misdemeanours, c'est une classe miscellanée qui comprend tous les délits non compris dans les trois autres. Quel arrangement !

Si vous demandez ce qui a pu produire une classification si obscure, si peu instructive et même si trompeuse, je répondrai qu'il faut distinguer deux causes différentes, assigner l'une à sa création, et l'autre à sa conservation.

Son origine remonte à des siècles d'ignorance où l'esprit humain n'étoit pas capable de faire mieux. Les trahisons, les félonies sont des importations Normandes et féodales, couvertes de la rouille de ces temps barbares. La Religion Chrétienne, convertie en instrument de pouvoir dans la main de ses Ministres, a fait naître la distinction des délits avec clergie et sans clergie; et, sous le règne d'Édouard III, d'autres abus, d'autres usurpations de la Cour de Rome ont enfanté les proemunire ).

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Dans les âges suivants, les hommes de loi ayant trouvé ce système établi, n'ont point eu de raison pour s'en départir au contraire plus il est obscur, plus il les favorise ; plus il laisse de latitude aux tribunaux, plus il rend difficile de juger de la convenance ou de l'inconvenance des lois pénales. Sous ces dénominations générales, en particulier sous celle félonie, on entasse tout ce qu'on veut, les actes les plus discordants, des délits et grave des délits mineurs, même des délits de mal imaginaire. C'est un dédale où les Législateurs eux-mêmes n'osent pas pénétrer, et dont toutes les routes aboutissent au pouvoir arbitraire des Juges.

(1) Voyez Théorie des Peines. L. Ch.

C'est dans le même esprit qu'ont procédé les rédacteurs des nouveaux Codes, avec leurs divisions de fautes, de contraventions, de délits, de crimes, qui forment autant de classes ascendantes dans une échelle de sévérité;dénominations vagues et arbitraires qui ne caractérisent point la nature des délits, qui n'indiquent point la qualité et la quantité du mal, et par conséquent ne mettent point en évidence la raison de la peine.

Cet exemple, pris dans la fausse nomencla-ture de ces Législateurs, est le plus frappant que je puisse trouver pour éclaircir cette espèce de Sophisme qui consiste à passer d'un genre à

un autre.

Ranger les délits sous leurs véritables classes, c'est indiquer, par cela même, la propriété nuisible qui les constitue comme délits et qui les rend punissables. Les ranger sous des genres fictifs où sous des genres si vagues, qu'ils peuvent embrasser toutes sortes d'actes qui n'ont rien de commun entr'eux, c'est favoriser le despotisme ou donner aux lois l'apparence du despotisme, parce qu'on ne voit plus leur raison. Le mal fait à des individus par tel. ou tel acte, tel.ou - le mal fait à soi-même par

tel ou tel acte, le mal fait à une classe par

ticulière de la Communauté par tel ou tel acte, -le mal fait à la Communauté entière par tel ou tel acte, ce sont là des idées claires; et ce mal est une qualité visible et manifeste qu'il n'est pas au pouvoir de la tyrannie elle-même de communiquer à un acte innocent.

Voici donc en quoi consiste l'artifice que je voudrois mettre dans tout son jour. Lorsqu'il n'entre pas dans les vues du Pouvoir suprême de donner aux objets (par ex., aux délits) leur vrai nom, leur nom propre et particulier, que fait-on? On a recours à un nom plus général, plus vague, qui favorise l'erreur ou la méprise que le nom propre bien choisi auroit prévenue; car, quoiqu'en changeant les noms, on ne change pas la nature des choses, on produit une espèce d'illusion; et tel exercice de pouvoir qui, désigné par son vrai nom, eût été exposé au blâme général, a du moins une chance d'échapper à ce blâme à la faveur d'un terme qui en déguise la nature.

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