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ôte à leur intérêt personnel le contre - poids de la censure; et l'Administration doit se détériorer à proportion de leur incapacité et de leurs vices.

Prenez le parti d'admettre toutes les imputations justes et injustes, le mal qui en résulte est si léger, qu'à peine peut-il porter ce nom.

Avec les imputations injustes, n'admettezvous pas en même temps les défenses? et dans ce cas-ci, comme on l'a dit ci-dessus, tous les avantages ne sont-ils pas du côté de celui qui se défend? N'a-t-il pas pour lui l'autorité de sa place, la protection de ses collégues, la connoissance plus exacte des faits, la facilité d'obtenir toutes les preuves; et si le talent lui manque, n'a-t-il pas à sa disposition toutes les faveurs du Gouvernement pour engager dans sa cause les défenseurs les plus habiles?

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Dira-t-on que des hommes d'honneur ne 'doivent pas être exposés à de telles persécutions, que s'il en est qui puissent s'y prêter, il en est 5 pour qui elles seroient insupportables, au point qu'à une telle condition, ils ne pourroient se résoudre à servir l'État ?

Est-ce sérieusement qu'on tient un pareil langage? La censure est un tribut imposé aux emplois publics et qui en est inséparable. S'il

s'agissoit de places sans émolument, sans récompense, tout en peine et en travail, pour lesquelles il fallût enrôler par force, l'objection pourroit avoir quelque fondement; mais elle est nulle, absolument nulle pour des emplois qui confèrent tout ce que les hommes désirent avec le plus d'ardeur.

Un homme d'honneur, dit-on! je trouve ici contradiction dans les termes. Rien ne seroit plus justement suspect que l'honneur d'un homme qui n'accepteroit une charge publique qu'avec la condition de n'être pas soumis à la censure. Le véritable honneur appelle l'examen et défie les accusations.

Celui qui accepte un emploi civil sait qu'il s'expose à des imputations parmi lesquelles il peut y en avoir d'injustes, comme celui qui entre dans le militaire sait qu'il s'expose à des dangers personnels; et l'on peut penser de l'honneur du premier, s'il veut être affranchi de la censure, ce qu'on penseroit de l'honneur du second, s'il se refusoit aux périls de son état.

D'ailleurs, la loi protège l'homme public contre la calomnie. La fausseté constitue un délit; l'accusateur coupable de témérité doit être puni, et s'il est coupable de mauvaise foi, la peine doit être bien plus sévère, Ainsi, une

attaque injuste contre des fonctionnaires publics, dès qu'elle est punie, ne tend qu'à donner au Gouvernement un nouveau degré de force.

Autant est salutaire, en qualité de frein et de motif, l'habitude de scruter sévèrement la conduite des hommes publics, autant est nuisible la disposition servile à les louer sans objet, à tout présumer en bien de leur part, à déguiser ou pallier toutes leurs fautes : c'est ainsi qu'on tend à les affranchir de leur responsabilité, et à attacher à la place, le respect qu'on ne doit qu'à la manière dont elle est remplie.

Si nous passons de la théorie à la pratique, si nous considérons l'Angleterre, nous y verrons les résultats d'une censure parfaitement libre, et même d'une censure régulière, assidue et constitutionnelle.

Les plus zélés défenseurs de l'Administration ne se font aucun scrupule de représenter position parlementaire comme un ressort aussi nécessaire à l'action du Gouvernement, que le régulateur l'est à une pendule. Mais l'Opposition peut-elle agir autrement qu'en cherchant à déprécier ceux qui gouvernent, en exposant-aux régards du public toutes leurs fautes réelles ou supposées, en censurant leurs mesures? Et l'Opposition, en agissant ainsi, n'a pas plus le

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projet de dissoudre le Gouvernement, que le mécanicien n'a celui de désorganiser l'instrument dans lequel il introduit un balancier.

En Angleterre, la disposition à l'obéissance est singulièrement indépendante de l'estime pour les Membres de l'Administration, c'està-dire très-indépendante des opinions politiques et des partis; et plus cette indépendance est complète, plus la stabilité de l'État est assurée. Dans la divergence infinie des idées, tout se rallie pour le maintien des lois.

C'est ici un des avantages éminents de la Constitution Britannique, et on ne sauroit l'envisager sous un point de vue plus intéressant. L'existence de la Monarchie y est plus indépendante qu'en tout autre État, des qualités personnelles du Monarque et de l'estime où il est dans l'esprit du peuple. Pourquoi ? C'est qu'avec un régulateur placé dans l'intérieur du système politique, pour prévenir les écarts du pouvoir, on a beaucoup moins à redouter les vices personnels du Chef Suprême. Sa puissance pour faire le mal est, comparativement, peu de chose. Aussi a-t-on vu souvent le Monarque exposé aux censures les plus libres et même aux satyres les plus audacieuses, sans que le respect pour la Royauté en ait souffert,

ni que la puissance royale en ait reçu la moindre atteinte.

Chacun sait combien la Représentation Nationale en Angleterre a été vivement attaquée. La Chambre des Communes n'a pas hésité à recevoir des pétitions qui venoient de toutes parts pour solliciter ce qu'on appelle la réforme parlementaire; et en cela, elle faisoit très-sagement, car le refus de ces pétitions eût prouvé,. plus que toute autre chose, qu'elle craignoit l'opinion publique.

Ces pétitions n'ont rien de dangereux. Elles. tendent, dit-on, à dégrader la Chambre des. Communes dans l'estime du peuple. Mais si les imputations qu'elles renferment sont fondées, şi la Chambre des Communes est devenue trop dépendante par rapport à la Couronne, trop indépendante par rapport au peuple, ou si seulement il y a une forte tendance vers cet état, le changement demandé sous le nom de réforme ne peut être que désirable désirable, et comment peut-on l'amener qu'en dépopularisant le système actuel d'élection? Mais si le public est plus frappé des inconvénients du changement que de ses avantages, si la Chambre des Communes ne devient pas impopulaire, si elle possède, en un mot, la confiance de la Nation,

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