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nécessaires, qui cesseroient à l'instant, si ce ressort venoit à s'arrêter.

Supposez, pour un moment, un ordre de ehoses contraire à celui qui existe, c'est-à-dire où chacun voulût préférer le public à soi-même, la conséquence nécessaire conduit à un état aussi ridicule en idée, qu'il seroit désastreux dans la réalité.

Le mal est que, dans plusieurs cas, l'intérêt personnel prévalant sur l'intérêt général, produiroit des effets nuisibles jusqu'à l'excès : c'est là ce qui nécessite l'intervention du Législateur. Il crée, par l'application des peines et des récompenses, un intérêt factice qui l'emporte sur l'intérêt naturel.

Quelle est en effet la supposition de la loi? - La loi suppose que de la part des individus, il y y a un intérêt personnel qui, mis en concur→ rence avec l'intérêt public, l'emporteroit sur ce dernier, si on ne donnoit à celui-ci l'appui de de la force légale.

Si on agissoit d'après une supposition contraire à celle-là, quelle en seroit la conséquence? - C'est que l'emploi des peines et des récompenses seroit un moyen inutile et superflu, et qu'au lieu de lois appuyées sur une sancțion pénale, de simples conseils, de simples recom

mandations, suffiroient toujours pour déterminer les hommes à obéir au Législateur.

Il s'ensuit de-là que dans toutes les circonstances où une classe d'hommes est intéressée à la création ou à la conservation d'un système d'abus, quelque criant qu'il soit, on peut prédire, sans crainte de se tromper, que cette classe d'hommes sera toujours portée à étendre ce système et à le maintenir; que ce sera le but constant de ses efforts, et que dans le choix des moyens, on n'aura égard qu'au succès qu'ils promettent, sans aucun autre scrupule de sincérité ou de probité que ce qu'il en en faut pour

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ne pas exposer sa réputation, ou ne pas provoquer une trop forte résistance.

Cette ligue, produite par une communauté d'intérêt dans un abus, est de toutes les ligues la plus naturelle et la plus difficile à rompre. Elle se fait sans négociation, elle se maintient sans correspondance. Il n'y a point de Chef, et tout suit la même impulsion. Tous les atômes du parti s'arrangent vers ce centre par une attraction commune.

Ceux qui composent cette ligue ne se bornent pas à défendre les abus dont ils profitent ils se portent également avec zèle à en défendre plusieurs dont ils ne retirent aucun profit im

médiat. Ils ont un instinct qui pressent le danger avant qu'il les menace personnellement. Ils. sentent que tel abus est une pièce de fortification pour tel autre.

Mais quel que soit un abus, un de ses caractères est d'avoir besoin de faux raisonnements pour se soutenir. Ainsi, l'intérêt de tous les confédérés sera de donner cours et activité aux sophismes, non-seulement à ceux dont ils peuvent tirer un service immédiat, mais à tous en général. Ce qui leur importe, c'est de tenir l'esprit humain dans un état où il ne puisse pas distinguer le vrai du faux.

Le point le plus désirable pour l'intérêt privé des Gouvernants, c'est l'admission d'un principe général, à l'aide daquel ils puissent donner aux abus une étendue illimitée, sans craindre aucune opposition.

Il n'y a guère plus d'un siècle qu'un principe de cette nature étoit en pleine vigueur, même en Angleterre, et qu'il y préparoit LasservisseDEREGUO ment de l'État je veux parler de Trincipe de l'obéissance passive, ou de la non-resistance.

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Ce principe fut fortement combattu par un petit nombre d'hommes éclairés : ils ouvrirent les yeux de la nation sur ses conséquences, et aujourd'hui, il est décrié au point qu'il n'ose

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plus se montrer. La même révolution dans les idées s'est faite dans une grande partie de l'Europe.

Le principe qui rapporte tout à l'utilité générale réunit secrètement contre lui tous ceux qui ont quelque intérêt contraire au bien public.

S'ils n'osent pas l'attaquer de front, ils l'attaquent, d'une manière indirecte, en cherchant à faire prévaloir l'autorité de la coutume ou des usages établis. Ils s'efforcent en toute occasion de représenter la pratique comme la seule mesure du bon, du vrai, de l'utile, comme la seule base solide sur laquelle on puisse s'appuyer. Ils ne soutiendront pas, peut-être, que tout ce qui est, est bien; mais ils défendront la totalite du système actuel, sans réserve et sans distinction, et réuniront leurs efforts pour placer les institutions abusives sous la protection des institutions salutaires. La coutumie a suffi, dirontils, pour nous guider jusqu'à présent. Pourquoi ne nous guideroit-elle pas toujours ? Pourquoi auroit-on recours à une autre règle ? Pourquoi leveroit-on cet étendard de l'utilité générale? Pourquoi la routine ne suffiroit-elle pas pour conserver ce que la routine a fait? Si l'on veut tout soumettre à l'examen de la raison, on va

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tout exposer. On ne sait ce qui restera. principe de l'utilité sera donc représenté comme

un principe dangereux.

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Je me résume. Tant qu'il existe des institutions abusives que beaucoup d'individus sont intéressés à maintenir et à défendre contre des attaques publiques, ils auront recours à des moyens sophistiques, et particulièrement à ces sophismes généraux qui rendent tout problématique en matière de législation, et qui tendent à exclure le raisonnement pour lui substituer l'autorité et la coutume (1).

(1) En m'occupant de cette partie des manuscrits de M. Bentham, je pressens que la plupart des lecteurs éprouveront ici un dégoût involontaire, et le rangeront parmi les détracteurs de l'espèce humaine. S'il est vrai que chacun serve son intérêt privé, dans tous les cas où on peut le faire impunément, il n'y a donc point de vertu parmi les hommes; et comme cet intérêt privé est, à plusieurs égards, dans une opposition constante à l'intérêt public, il s'ensuit que la société n'est qu'une maison de jeu où chacun cherche à jouer avec des dés pipés, et où les joueurs malheureux égorgeroient les joueurs heureux si la force publique ne s'y opposoit. Rousseau n'a rien avancé de plus odieux contre la vie sociale.

La prééminence de l'intérêt privé sur l'intérêt public paroît en effet une proposition bien dure. et bien affli

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