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même pour un individu dont la conduite morale est au niveau de la vertu commune : car un homme pervers est forcé de se faire un masque pour lui-même comme pour les autres. D'où vient donc que l'étude de nos vrais motifs nous seroit en général désagréable? →→→ C'est que dans la société, les motifs personnels sont constamment l'objet du blâme, ou du moins n'obtiennent presque jamais de l'approbation. On la réserve toute pour les motifs sociaux ou demi-sociaux (1). Ils font le sujet de tous les panégyriques; c'est par-là qu'on exalte tel ou tel caractère c'est-là ce qui concilie la faveur publique. Veut-on peindre des hommes estimables et aimables? toutes leurs actions sont attribuées à la bienveillance l'esprit public: l'éloge de leur désintéressement est dans toutes les bouches. Leur vie n'est qu'une suite de sacrifices de leur propre bonheur à celui des autres. Veut-on décrier un individu? veut-on lui enlever la grâce et la fleur de ses actions? on s'attache à leur controuver des motifs qui leur donnent la teinte de l'égoïsme? il ne fait plus le bien que pour lui-même, il

n'a en vue que son propre avantage, et ses

(1) Voyez Traités de Legislation. Ch. VIII. T. II. P. 264.

vertus spécieuses n'ont tout au plus que le mérite d'un calcul utile à ses intérêts.

D'après cette distribution de la louange morale, il s'ensuit qu'un individu ordinaire qui veut examiner de près ses motifs, ne tarde. pas à s'apercevoir qu'il n'y a que la plus petite partie de ses actions qu'il puisse de bonne foi rapporter à ces causes aimables, à ces principes exaltés, à ce dévouement généreux qui fait les belles ames: et bientôt il repousse avec répugnance un miroir qui, au lieu de lui présenter des traits radieux, ne lui offre qu'une image de lui-même assez peu attrayante. Il y aura sans doute à cet égard beaucoup de différence entre différents individus.

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1.° L'égoïste, c'est-à-dire l'homme qui en s'observant lui-même ne peut rapporter aucune de ses actions à des motifs purement sociaux sera très- disposé à croire que ces motifs n'existent point, et que tout ce qu'on en dit, n'est qu'illusion ou hypocrisie. Ne trouvant aucune source de satisfaction dans l'examen de son cœur, il s'en dédommage en applaudissant à son intelligence. « Tous >> ceux qui agissent par d'autres considéra»tions que le moi sont des dupes et des im» bécilles bonnes gens, qu'il est utile de

>> louer tout haut et dont il faut se moquer » tout bas. Nous autres nous sommes les sages, » les habiles de ce monde. >>

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2. Prenez un homme du vulgaire moral c'est-à-dire, habituellement gouverné par des motifs personnels et anti-sociaux : mais avec un mélange de bienveillance et de vertu comment se comportera-t-il dans cet examen de lui-même ? Il sera disposé à laisser dans l'ombre toute cette partie de ses motifs qui n'obtiendroit pas des éloges publics, et à regarder avec complaisance celle qui en seroit l'objet il imputera, autant qu'il lui est possible, toutes ses actions à ces motifs aimables qui concilient l'affection et l'estime. Et cette première vue de lui-même, sera probablement la dernière. Pourquoi iroit-il plus loin? Pourquoi se désenchanter de cet agréable aspect? Pourquoi substituer l'entière vérité qui l'humilie, à une demi- érité qui le flatte?

3. Dans le cas d'un individu sur qui les motifs sociaux ont assez d'empire pour l'emporter fréquemment sur les motifs personnels, et presque toujours sur les anti-sociaux, l'analyse morale de ses actions lui causera moins de répugnance. C'est-à-dire que plus un individu est vertueux, plus il aura de goût pour l'étude,

Nous vivons d'héritage et d'emprunts, fort peu de notre manufacture et de notre fonds. Veut on examiner ces idées d'adoption? c'est un travail au-dessus de la capacité du grand nombre; et c'est, même pour les plus capables, une opération laborieuse qui répugne à la paresse de l'esprit humain.

Voilà, dira-t-on, une excuse naturelle pour toutes les erreurs. C'est donner gain de cause aux préjugés contre la raison.

Ce peut-être une excuse pour le vulgaire : mais ce n'en est pas une pour les hommes. publics ce n'est pas du moins une justification, dans le cas où ces préjugés sont des sources d'erreur.

C'est qu'en effet de tels préjugés sont ordidinairement fondés sur quelque intérêt séducteur : c'est-là ce qui dispose à les recevoir sans preuve sur la seule force de l'autorité, et ce qui porte même à les soustraire à l'examen, à les soutenir, autant qu'on le peut, de toute la puissance du gouvernement.

et à le

Si dans une Assemblée délibérante, vous trouvez, une disposition générale à se laisser gouverner par des préjugés d'autorité, vous en découvrirez facilement la cause en étudiant la constitution'de cette assemblée.

Vous verrez peut-être que les Membres se sentent véritablement indépendants du peuple; que la plupart des élections sont réduites à de vaines formalités ; que les places, amovibles en apparence, ne le sont point réellement; qu'elles appartiennent comme de droit à des hommes riches; qu'elles confèrent un pouvoir sans responsabilité, par conséquent sans obligation, et que ces mêmes Représentans qui ont si peu à craindre de la part des Electeurs, ont beaucoup à espérer de la part du Gouvernement

Dans cet état de choses, il' y aura un grand nombre d'hommes opulents et timides, qui anront l'habitude de se laisser gouverner par des chefs dont les intérêts sont semblables aux Feurs. L'ignorance du peuple est passive ou téméraire l'ignorance des classes supérieures est disposée au maintien de tout ce qui existe. Plus on est ignorant, plus on a la tête remplie de tous les préjugés établis.

Le mot ignorance, appliqué à cette classe d'hommes, ne doit pas être entendu comme excluant l'éducation commune. D'ailleurs dans une société civilisée, il y a, pour ainsi dire une portion flottante d'instruction mêlée defaux et de vrai, à laquelle chacun participe,

« EelmineJätka »