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et qui s'infuse dans l'esprit par une respiration insensible. Sans songer à s'instruire, on saisit toujours dans la conversation quelques-unes de ces idées qui circulent. L'ignorance dont je parle est relative aux études qui appartiennent à l'homme public, à ces études qui exigent de l'attention, du travail, de la persévérance, et qui supposent des motifs proportionnels aux difficultés à vaincre. L'ignorance n'est pas seulement relative à la quantité d'information. Elle l'est aussi à la qualité. La qualité est ce qui rend un individu propre à une situation. Le plus habile naturaliste, le plus savant mathématicien peuvent être, dans ce sens, les Membres les plus ignorants d'une Assemblée législative. Dans un corps politique ainsi composé, la majorité sera presque toujours conduite par préjugés d'autorité.

des

CHAPITRE IV.

Quatrième cause des sophismes.

DÉFENSE DE SOI-MÊME, OU UTILITÉ SUPPOSÉE.

ON N peut être réduit à employer sophismes contre sophismes, à se servir pour sa défense des arguments ad hominem ou ad populum; et si cela est permis pour soi, à plus forte raison le sera-t-il pour le bien public. « Telle >> est la nature de l'homme, dira-t-on, que ces >> arguments fallacieux sont peut-être ceux >> qui produiront sur l'esprit public l'impres>>sion la plus salutaire. Toute erreur est nui>>sible en général et dans une longue durée : >>> mais si une erreur toute établie peut con>> tribuer au salut public, il ne faut pas hésiter » à s'en servir. La mesure que nous combattons » est pernicieuse. Ce seroit imbécillité et même >> crime de notre part que de ne pas tenter, » pour la faire échouer, des moyens qui, »sans être absolument innocents ne sont · » pas criminels par eux-mêmes. eux-mêmes. Il y a long» temps qu'on a donné au sage le conseil de répondre au fou selon sa folie. »>

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Il faut avouer que cette apologie seroit admissible si ces arguments sophistiques, ces appels aux préjugés et aux erreurs, étoient employés simplement comme auxiliaires s'ils étoient introduits à la suite et non à la place des arguments légitimes.

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Mais dans ce cas même la sincérité requiert ces deux conditions : 1.o que les arguments directs et pertinents soient placés en première ligne, et qu'on déclare d'avance que c'est par leur seul mérite qu'on voudroit décider du sort de la cause; 2.o qu'en présentant ces faux arguments, on ne dissimule point leur foiblesse intrinsèque, et qu'on donne à entendre qu'on ne s'en sert qu'à regret.

Si ces deux conditions ne sont point remplies, l'emploi des sophismes, même en faveur d'une bonne cause, est une forte présomption d'improbité ou d'ineptie d'ineptie ineptie, si celui qui s'en sert n'en voit pas la foiblesse : improbité, si connoissant leur tendance nuisible, il cherche à les accréditer de tout son pouvoir.

CHAPITRE V.

USAGE DES SOPHISMES POUR CEUX QUI LES EMPLOIENT ET CEUX QUI LES REÇOIVENT.

APRÈS avoir considéré ces sophismes réduits à l'expression la plus simple, dépouillés de tous les ornements de l'éloquence et séparés des circonstances dans lesquelles on les fait valoir, le lecteur qui n'aura vu dans les uns qu'un amas de contradictions, et dans les autres qu'une apparence de raison qui s'évanouit au premier examen, aura peut-être quelque peine à concevoir quel est leur usage, quel est le parti qu'on peut en tirer.

Se peut-il que les politiques qui les emploient n'en aient pas reconnu l'absurdité? Se peut-il que ceux qui les reçoivent n'en aient pas senti le néant?

Non. Cette supposition est trop invraisemblable pour être admise. Il y a presque toujonrs feinte des deux parts. Tout cet appareil de fausses raisons, faussement données, faussement reçues, ne se soutient que par une convenance réciproque entre des hommes qui

veulent s'entendre et se ménager. Leur jeu est de se protéger les uns les autres contre l'imputation de n'agir que pour leur intérêt propre, sans aucun égard pour le bien public. C'est un voile spécieux sous lequel on se cache. On prétend avoir des opinions qu'on n'a pas. On prétend agir de bonne foi en conséquence de ces opinions. On est toujours sûr d'échapper à la conviction du contraire; car, à moins de lire au fond des cœurs et d'avoir une exacte mesure de l'intelligence d'un homme, peut-on affirmer que l'opinion la plus absurde ne soit pas la sienne?

Il y a des cas où le silence, le silence absolu, seroit trop suspect. On l'interpréteroit comme un aveu qu'une mesure est injustifiable, qu'on est réduit à esquiver le combat. Il est de toute nécessité d'obvier à un soupçon qui nuiroit au crédit de tout le parti, en fournissant contre lui une présomption à la portée de tout le monde.

Un parti a toujours une réputation à ménager. Ceux qui jouent le premier rôle ne peuvent conserver leur ascendant qu'autant qu'ils sont prêts à soutenir l'attaque et la défense. Il leur importe donc d'avoir des arguments plausibles, lorsque le sujet n'en fournit

« EelmineJätka »