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les mesures, et fussent-ils sûrs d'entraîner par leur autorité, ils doivent cacher cette force réelle et ne prétendre qu'à un succès de raison.

Ceux qui jouent le second rôle, ne fussentils déterminés dans le fait que par la volonté du Ministre ou du Souverain, veulent, dans cette abnégation d'eux-mêmes, garder les dehors de l'indépendance et paroître ne voter que d'après la conviction de leur entendement.

Il suit de là que dans une Assemblée politique, quelque mauvaises que soient les mesures, l'honneur du parti exige qu'il y ait des arguments produits et soutenus pour conserver une apparence de liberté et d'honnêteté.

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Il est vrai que si la fausseté de l'argument est reconnue, la réputation de sagesse peut en souffrir, mais la réputation d'honnêteté demeure inattaquable. Au reste, le risque est fort peu de chose. Les idées du vrai et du faux sont si mêlées, que le plus faux argument, soutenu par l'autorité et le crédit, appuyé par ceux dont il favorise les intérêts, aura toujours une multitude de partisans faux ou sincères. Celui qui débite cette fausse monnoie se flatte ou qu'elle passera sans examen, si elle est refusée,

ou que

on supposera qu'il s'est trompé lui-même, et

non qu'il ait eu l'intention de tromper.

Dans cette vue, les différents sophismes produiront plus ou moins d'effet, selon la nature des cas.

1. Il en est qui ont comme un masque de prudence et de précaution; ils réussissent auprès des hommes timides et défiants; ils donnent à celui qui les emploie un air de circonspection et de modestie mais ils plaisent moins aux esprits fiers et courageux. A cette classe, se rapportent les arguments ad metum et ad verecundiam, la crainte de l'innovation, le spectre du Jacobinisme, l'idolâtrie des anciens usages, l'autorité, -et tous les êtres allégoriques dont on se sert pour subjuguer la raison quand on ne peut pas la convaincre.

2.o Il en est d'autres qui ont un caractère de force et de hardiesse. Ils en imposent par un air de supériorité. L'Orateur semble se placer sur une éminence, et regarder de haut ses antagonistes. Il emploie tous les arguments ad superbiam, ad odium, ad contemptum, ab irato. Il répand l'ironie et le sarcasme. Les termes de perfection, d'excellence, de découverte, de génie, deviennent dans sa bouche des termes de reproche et de ridicule, qui ont une puissance magique pour tout réfuter. Vous croiriez qu'il a tout approfondi, tout embrassé

dans une seule vue, et qu'il est revenu de toutes ces illusions, de toutes ces chimères de réformateurs. Mais avec cet air de défi et d'audace, il se garde bien de s'exposer au danger d'un combat réel; le dédain sert à couvrir sa foi-. blesse, et il donne à sa fuite l'apparence de la victoire.

Entre ces sophismes, les premiers sont à l'usage de tout le monde. Les autres ne peuvent réussir qu'à l'aide d'une place éminente ou d'un talent distingué. Un chétif orateur qui ose s'en servir, ne produit aucun effet et devient ridicule.

Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

Dans un État despotique, ceux qui gouvernent n'ont à influer que sur l'entendement ou la volonté d'un seul. Par rapport au peuple, on ne lui donne pas des raisons, mais des ordres.

Dans un État libre, il faut influer sur l'entendement ou la volonté d'un grand nombre, et de-là, la nécessité des arguments vrais ou faux.

La corruption (1), a dit Hume, est une preuve de la liberté. Les sophismes en sont 'une preuve du même genre.

(1) On entend par corruption l'emploi des moyens d'influence du Gouvernement sur les votes de l'assemblée.

Mais il ne faut

pas

tirer de là une objection contre les États libres, contre les Assemblées politiques dont les débats ont de la publicité; car en pesant le bien et le mal, la balance est considérablement en faveur du bien. Cette lutte publique entre tous les intérêts aura une tendance à former des athlètes plus habiles et plus exercés; les abus seront défendus avec art, les institutions vicieuses seront présentées sous des aspects trompeurs; mais en résultat, il Y aura plus de têtes pensantes, plus de vigueur intellectuelle; le tribunal de l'opinion se compose à la longue de Juges plus éclairés; et dans ce combat entre l'erreur et la vérité, la victoire doit enfin demeurer du côté de ceux qui emploient des armes d'une meilleure trempe. Le progrès peut être lent, mais les avantages une fois obtenus sont durables, parce que la nature de la Constitution les met à l'abri du caprice. Ceci paroît vrai, du moins par rapport à l'Angleterre, et son histoire en fournit un grand nombre de preuves.

Disons ici un mot de la grande République Américaine. Le Congrès des États-Unis est la seule Assemblée qui exerce les mêmes pouvoirs et avec la même publicité que le Parlement Britannique. Où en sont-ils pour l'emploi des sophismes ?

Il est certain que leurs fondateurs, en traversant l'océan, se sont affranchis de plusieurs abus qui sont restés dans la mère-patrie, et qui ne pouvoient se transplanter dans un établissement colonial.

Un Gouvernement naissant ne peut avoir que les emplois nécessaires. Il n'y a point de place pour des prête-noms, il n'y en a point pour des surnuméraires. Il n'y en a point pour des dignités sans office ou pour des offices nomi

naux etc.

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Par la même circonstance rénovatrice, il est un grand nombre de sophismes qui ne pouvoient pas émigrer avec les Colons. Point de clameur générale contre l'innovation dans un pays où il falloit tout créer. Point de culte idolâtrique pour les ancêtres dans des Colonies où les individus rassemblés de toutes les parties du monde, n'avoient pas d'ancêtres communs. Point de superstitions générales fondées sur les traditions des temps d'ignorance. Point de préjugés d'autorité dans des États où il n'y a point de succession de personnages puissants d'une réputation imposante. On pourroit prolonger encore cette liste négative de causes d'erreur qui n'existent pas dans le Congrès des ÉtatsUnis. Mais il en est sans doute d'autres qui

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