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incompatibles; au consraire, il n'est point de dispositions qui s'accordent mieux ensemble. Celui qui s'humilie devant un supérieur compte bien s'en dédommager par la soumission qu'il impose à d'autres. Ce qu'il veut, c'est d'infuser dans l'esprit des hommes une foiblesse analogue à la foiblesse physique de l'enfance, pour les conduire des lisières. Les par penseurs les plus libres, ceux qu'on accuse le plus d'être entêtés de leurs opinions, se montrent, quand ils sont contredits, moins irascibles, moins impatients. que ces espèces de dévots politiques qui, ayant renoncé à la faculté de l'examen, ne veulent l'accorder à personne. Selon eux, l'appel à la raison est une témérité odieuse; offrir et de

mander des arguments, c'est une présomption

intolérable.

D'où vient toute cette violence? Uniquement de ce que des Corps intéressés à des abus, ne pouvant les justifier par le principe de l'utilité, ont recours à ce sophisme de l'autorité, qui ne fournit aucun critère pour distinguer clairement le bien du mal, qui prête son appui à tout, aux institutions les plus salutaires comme aux plus pernicieuses, aux meilleures lois comme aux plus nuisibles. Laissez-les parvenir à persuader que l'autorité est le seul guide à suivre en mo

rale, en législation, en religion, ils ne craignent plus d'être troubles dans la possession des abus; tout restera comme il est : il n'y aura plus d'appel à l'utilité générale.

C'est par l'autorité que se soutiennent depuis tant de siècles les systèmes les plus discordants, les opinions les plus monstrueuses. Les religions des Brames, de Foë, de Mahomet, n'ont pas d'autre appui. Si l'autorité a une force impres criptible, le genre humain, dans ces vastes contrées, n'a pas l'espoir de sortir de ces ténèbres.

Le chef-d'œuvre à cet égard fut de créer l'opinion d'une autorité infaillible. Avec un pareil instrument, c'en étoit fait de la liberté du genre humain. Un homme jusqu'alors obscur eut le courage presque inconcevable d'en appeler à la raison contre tout son siècle. Il réclame le droit de la pensée, le droit de l'examen, et il opère une révolution dans l'Europe. On peut voir dans les écrits de Bossuet et d'Arnaud avec quelle éloquence, avec quel art ils ont défendu ce sophisme de l'autorité contre les protestants, et dans les réponses de Claude, de Bayle, de Basnage, comment ils ont établi d'une manière victorieuse le plus bel apanage de l'homme, le droit de l'examen.

Ce fut par une suite du mouvement imprimé

à la pensée qu'on brisa les chaînes de l'autorité d'Aristote et de Platon. Bacon, dans les matières de philosophie naturelle, détruisit la suprématie des anciens. Il mit l'homme hors du berceau. Il lui apprit à marcher seul. Locke osa se servir de la même logique, et fit une nouvelle histoire de l'esprit humain. Mais, quoique ces grands hommes eussent à combattre des préjugés dominants, ils n'avoient pas à lutter contre des intérêts adverses de la part des gouvernements: la puissance politique resta neutre dans cette controverse.

Le grand Hervey qui s'est illustré par la découverte de la circulation du sang, a consigné dans ses écrits que pour avoir méprisé l'autorité des anciens, il fut regardé comme un téméraire, et beaucoup moins consulté qu'auparavant.

Tout a bien changé. Dans la physique, dans l'astronomie, dans la chimie, l'autorité a perdu son empire. Les grands noms ne tiennent point lieu de raison. La médecine a été la dernière science soumise à ce joug, mais elle en a senti l'ineptie, et les médecins de Molière ont à-peuprès disparu.

Ouvrez les vieux auteurs de jurisprudence, les commentateurs de Justinien. Que trouvezvous dans ces énormes recueils? très - peu

d'arguments et force citations. Ils suivent tous

le même plan. A

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propose quelques vagnes conjectures. B - ne manque pas de les transcrire avant d'y ajouter les siennes propres. Cne vous donne son opinion qu'après avoir rapporté tout ce qui a été dit par A et par B. Ceux qui suivent se chargent toujours de tout ce qui précède, et la masse de l'érudition va grossissant comme celle d'une avalanche (1).

Il nous reste encore à développer quelques considérations importantes sur ce sophisme de l'autorité; mais elles appartiennent plus particulièrement à l'autorité des ancêtres. Ce n'est qu'une espèce comprise sous le genre le sophisme sous cette forme a un si grand ascendant qu'il demande un examen séparé.

mais

(1) On peut leur appliquer ce que Voltaire, dans le Temple du Goût, met dans la bouche des Erudits de profession :

Pour nous, Messieurs, nous avons l'habitude
De rédiger au long de point en point

Ce qu'on pensa, mais nous ne pensons point.

CHAPITRE II.

CULTE DES ANCÊTRES

OU ARGUMENT

DANS LE MODE CHINOIS.

CET argument consiste à rejeter la mesure

proposée, comme étant contraire à l'opinion des hommes qui ont habité le même pays dans les temps passés : opinion que l'on recueille soit des termes formels de quelque écrivain distingué de ces temps-là, soit des lois et des institutions qui existoient alors.

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Nos sages ancêtres la sagesse de nos pères le bon sens du vieux temps la vénérable antiquité - voilà les termes dominants des propositions tendantes à rejeter une mesure proposée, par la seule raison qu'elle s'écarte des anciens usages. « Nous ne sommes >> pas venus au monde, disoit Balzac, pour >> faire des lois, mais pour obéir à celles que >> nous avons trouvées, et nous contenter de » la sagesse de nos pères, comme de leur terre » et de leur soleil. >>

Ce sophisme présente un exemple frappant de deux principes contradictoires, réunis dans ·les mêmes têtes, sous l'influence conciliante de la coutume, c'est-à-dire du préjugé.

« EelmineJätka »