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2. Peut-elle servir à limiter l'autorité du Corps Législatif? Si elle pouvoit le faire, ce seroit un mal. Toute limite est inutile et dan

gereuse.

Dans un pays où l'on se propose de donner de l'influence au peuple, où on lui donne le droit d'élire ses Représentants, le droit de s'assembler, de présenter des pétitions, on a fait tout ce que la nature de la chose permet pour prévenir les abus de l'autorité législative. La voix publique chez un peuple libre qui élit librement ses Députés, est le véritable frein de l'Assemblée Nationale. Quand on l'a mise dans cet état de dépendance par rapport à la volonté générale, on n'a plus rien à craindre, plus d'autre précaution à chercher. Comme rien ne peut remplacer ce frein, rien aussi ne peut lui ajouter de la force. Il est surtout ridicule d'imaginer que vous puissiez vous lier vousmêmes par des phrases de votre invention.

Quand le peuple est mécontent d'une loi, c'est à raison de quelque inconvénient réel ou imaginaire qu'on lui attribue. Le public ne formera pas son jugement sur cette loi d'après la déclaration des droits de l'honime, mais d'après le mal qu'il sent ou qu'il craint.

Par rapport aux Droits eux-mêmes que vous

déclarez, vous les énoncerez avec des exceptions ou sans exception: vous vous réserverez de les modifier par des lois subséquentes, ou ils seront déclarés purement et simplement, sans modification. Dans le premier cas, la déclaration ne signifie rien, elle n'a point d'effet pour limiter le Pouvoir Législatif dans le second cas, la déclaration absolue ne pourra plus être observée; chaque loi de détail en sera une violation manifeste. Supposez qu'on ait énoncé dans la déclaration, que la liberté de chaque individu sera conservée entière et sans atteinte, toute loi subséquente sera en contradiction directe avec cette proposition extravagante. Supposez qu'on ait dit que chaque individu conservera sa liberté entière et sans atteinte, excepté dans les cas où la loi en ordonnera autrement, il est évident qu'on n'a rien dit, et que le Pouvoir Législatif est aussi illimité que s'il n'y avoit point de déclaration.

L'un ou l'autre de ces écueils est inévitable. La déclaration dira trop ou elle ne dira rien. Plus ses auteurs auront d'expérience, plus ils éviteront de lier les mains à la Puissance Législative. Moins ils seront éclairés, plus ils se jetteront vers des principes généraux qu'il sera impossible de réduire en pratique.

3. Cette déclaration des droits n'étoit pas plus propre à remplir son troisième objet, celui de servir d'instruction générale aux Législateurs pour la composition des lois de détail.

La méprise de ses auteurs a eu sa source dans la logique vulgaire, où l'on confond deux choses distinctes: la démonstration et l'invention, l'ordre dans lequel il faut placer les vérités pour les enseigner et l'ordre qui sert à les découvrir.

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Les Principes, dit-on, doivent précéder les conséquences: les premiers une fois posés, les autres en découlent d'eux-mêmes.-Qu'entendon ici par principes? des propositions de lat plus grande étendue. Qu'entend-on par conse= quences? des propositions particulières renfermées dans des propositions générales.

Que cette méthode soit favorable à l'argumentation et au débat, c'est ce qu'on ne sauroit nier; car si vous m'engagez à admettre une proposition générale, je ne saurois, sans me contredire moi-même, rejeter la proposition particulière qui s'y trouve renfermée.

Mais cette marche, si propre au débat, n'est pas celle de la conception, de l'investigation, de l'invention. En ceci, les propositions particulières précèdent les propositions générales.

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L'assentiment qu'on donne aux dernières n'est fondé que sur l'assentiment qu'on donne aux premières. Nous prouvons les conséquences par le principe, mais nous ne sommes arrivés au principe que par les conséquences.

Appliquons ceci aux lois. Dans le plan que je combats, l'objet étoit d'établir d'abord des principes et d'en déduire ensuite les lois de détail. Mais c'étoit une fausse marche. Il falloit avoir sous les yeux le système entier des lois, les avoir comparées ensemble, pour être en état d'en extraire avec sûreté des principes fondamentaux vraiment solides, et capables de soutenir l'examen d'une raison sévère. Une proposition générale est-elle vraie? c'est seulement parce que toutes les propositions particulières qu'elle renferme sont vraies. Mais comment s'assurer de la vérité d'une proposition générale? En examinant toutes les propositions particulières qu'elle contient. Quelle est donc la marche qu'il faut suivre pour remonter à un principe ? Il faut prendre un certain nombre de propositions particulières, trouver un point où elles s'accordent, et ce point d'union trouvé, s'élever à une proposition plus étendue qui les embrasse toutes.

C'est ainsi qu'on peut avancer lentement :

mais à pas sûrs, en se rendant raison de tout. Dans la route opposée, on marche au hasard, et l'on est sans cesse à côté d'un précipice.

Que s'ensuit-il ? que l'ordre convenable étoit d'abord de former les divers Codes de lois, et qu'alors on auroit pu, sans crainte de se contredire soi-même, en déduire par abstraction une suite de propositions générales ou de principes fondamentaux.

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Ceci, dira-t-on, tourne dans un cercle vicieux; car, pour former ces lois de détail, il falloit bien que les Législateurs eussent dans l'esprit un objet, un but, un principe qui les guidât dans leur travail. On ne peut rien faire sans cela ni en physique ni en morale. Il y a toujours quelque théorie qui précède tout ce qu'on fait avec intelligence et volonté.

Sans doute, - et je n'ai pas supposé des Législateurs sortant de l'état de nature, des hommes sans connoissance et sans experience. Il y a eu des lois antérieures ; ils en ont connu les effets; ils sont réunis pour les juger, pour les corriger, pour les rendre conformes à leurs notions de bien public. Mais je' 'dis que dans ce travail, ils doivent bien se garder d'imprimer le caractère de principe à des propositions générales avant de s'être assurés de leur vérité,

« EelmineJätka »