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Soldat et l'Officier. Le maniaque a le même droit d'enfermer ses gardiens que ses gardiens ont de l'enfermer. L'idiot a le même droit de gouverner sa famille que sa famille de le gouverner. Si tout cela n'est pas pleinement renfermé dans cet article de la déclaration, il ne signifie rien, absolument rien. Je sais bien que les auteurs de la déclaration n'étant ni fous ni idiots, ne songeoient pas à établir cette égalité absolue. Mais que vouloient-ils? L'ignorante multitude devoit-elle les entendre mieux qu'ils ne s'étoient entendus eux-mêmes? Quand on proclame l'indépendance, n'est-on pas trop sûr d'être écouté ?

Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

OBSERVATIONS.

C'est ici un pas rétrograde, une rétractation frauduleuse. Les Législateurs avoient senti confusément qu'ils venoient d'établir l'égalité dans toute sa plénitude. Que font-ils maintenant ? Ils viennent parler de distinctions sociales oubliant qu'ils ont aboli toutes les distinctions. Ainsi, dans le même paragraphe, ils donnent et ils reprennent, ils établissent et ils détruisent;

ils avancent le principe absurde d'égalité pour plaire aux fanatiques, et ils glissent insidieusement le principe des distinctions pour appaiser les hommes timides ou raisonnables qui se seroient révoltés contre la chimère de l'égalité présentée, sans masque.

Mais qu'entend-on par ces mots, ne peuvent pas? Veut-on dire que ces distinctions ne sont point établies - ou qu'elles ne doivent pas

l'être

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ou que

si elles existent sans être fondées sur l'utilité commune, il faut les regarder comme nulles et non-avenues? On peut choisir, car ces mots ont ces trois significations parfaitement distinctes. Si l'on veut dire que ces distinctions n'existent pas, c'est un appel aux faits et à l'observation : si l'on veut dire qu'elles ne doivent pas exister, c'est un appel au jugement des individus sur une matière de fait. Mais si l'on veut dire qu'elles ne peuvent pas exister parce qu'elles sont nulles en ellesmêmes, c'est un attentat contre la liberté d'opinion, c'est une invitation à se soulever contre les lois.

Dans le premier sens, la proposition n'est pas dangereuse, mais elle est évidemment fausse. Dans le second sens, elle est fondée en raison, mais il falloit l'exprimer clairement, et non

que

employer un terme passionné. Dans le troisième sens, elle contient une doctrine séditieuse. Dire que la loi ne peut pas, au lieu de dire la loi ne doit pas, c'est préparer l'insurrection et la justifier d'avance. Je ne saurois comparer ces expressions qu'à ces instruments qui ne présentent rien d'offensif aux yeux, mais dans lesquels on cache un poignard.

LE

E

ART. II.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

OBSERVATIONS.

La confusion des idées est si grande dans tout cet article, qu'il est difficile d'y trouver un sens. Mais voici, je crois, les propositions qu'on peut en tirer.

1.° Qu'il y a des droits antérieurs à l'établissement des Gouvernements: c'est la seule chose qu'on puisse entendre par droits naturels.

2.° Que ces droits ne peuvent pas être abrogés par le Gouvernement : c'est l'unique sens qu'on puisse donner au mot imprescriptible.

3. Que les Gouvernements existants dérivent leur origine d'une association primitive, d'une convention.

Examinons séparément ces trois propositions.

La première est absolument fausse. Le fait est qu'il n'y a point de droits naturels - point de droits antérieurs à l'institution des Gouvernements. L'expression droit naturel est purement figurative; et quand on veut lui donner un sens littéral, on tombe dans des erreurs qui ne sont pas simplement des erreurs spéculatives, mais des erreurs pernicieuses (1).

Nous savons ce que c'est que vivre sans

Gouvernement. Nous avons des relations de plusieurs tribus sauvages qui sont restées dans un état d'indépendance, qui n'ont point de chefs et point de lois. Mais nous savons aussi que là où il n'y a point de lois, il n'y a point de droits, point de sûreté, point de propriété. Le sauvage peut posséder quelque chose, mais ce n'est qu'une possession immédiate et incertaine, qui ne dure qu'autant qu'on ne la lui dispute pas ou qu'il peut la défendre. Mais un droit suppose une garantie, une jouissance future aussi bien que présente.

Un droit d'une part sans une obligation exi→ gible de l'autre, est une pure chimère: or, il n'y a point de droit dans l'état de nature, parce

(1) Voyez Traités de législation. Tom. 1. Ch. XII. Des fausses manières de raisonner en matière de Loi.

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