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En effet, ce sophisme si puissant en matière de loi, est en opposition formelle avec un principe universellement admis dans tous les autres départements des connoissances humaines ; principe auquel nous devons tous nos progrès, tout ce qu'il y a de raisonnable dans la conduite des hommes.

L'expérience est la mère de la sagesse; c'est-là une de ces maximes que les siècles se sont transmises l'un à l'autre, et qui passeront de l'âge présent aux âges futurs.

mais

Non-dit le sophisme - la véritable mère de la sagesse n'est pas l'Expérience, l'Inexpérience.

Une absurdité si manifeste se réfute d'ellemême. Examinons à quelle cause on peut attribuer l'ascendant qu'elle conserve en législation.

1° Erreur de langage. Une idée fausse à produit une expression incorrecte, et l'expression devenue familière a perpétué l'erreur.

On a tout dit en faveur du sophisme, quand on a dit le vieux temps: et ce qu'on appelle le vieux temps, est en effet ce qu'on devroit appeler le jeune temps.

Entre individus contemporains placés dans la même situation, le plus âgé possède natu

rellement un plus grand fonds d'expérience. Mais entre deux générations, il en est autrement; celle qui précède ne peut pas avoir autant d'expérience que celle qui la suit.

Donner aux âges antérieurs le nom de vieux temps, c'est donner le nom de vieux homme à un enfant dans le berceau.

La sagesse de ce prétendu vieux temps n'est donc pas la sagesse des cheveux gris: c'est la sagesse de l'enfance (1).

2. Seconde cause de l'illusion. Préjugé en faveur des morts.

On sait que dans les temps de l'ignorance primitive, ce préjugé a contribué plus que toute autre chose à ce qu'on appelle l'idolátrie. Les morts sont devenus facilement des Dieux. La superstition les invoque, elle entre en correspondance avec eux, elle attache des vertus surnaturelles à leurs reliques, elle va

(1) L'on ne veut pas nier qu'il n'y ait eu parmi les anciens des hommes éminents par leur génie. C'est à eux qu'on a dû successivement tous les progrès de l'espèce humaine. Mais leur génie n'a pu s'appliquer qu'aux idées alors reçues, et se développer qu'à proportion des moyens existants. Il ne peut pas faire autorité pour un état de choses qui ne ressemble en rien à celui-là.

chercher dans les tombeaux des ossements pour les offrir au culte du peuple.

Si ces erreurs grossières ont cessé, le préjugé même qui leur donna naissance n'est pas détruit, De mortuis nil nisi bonum. La raison dit qu'attaquer un être vivant, c'est blesser un être sensible qu'attaquer un mort, c'est ne lui faire aucun mal. L'adage, tout absurde qu'il est, n'en est pas moins répété comme une maxime de sentiment et de morale.

Ce préjugé en faveur des morts est principalement fondé sur ce qu'un homme qui n'est plus, n'a plus de rivaux. A-t-il été distingué par son génie ? ceux qui n'ont jamais élevé la voix en sa faveur, et même ses adversaires, changeant tout-à-coup de langage, se donnent, en le louant, un air de justice et d'équité qui ne leur coûte rien au contraire, ils satisfont par-là cette passion maligne dont on a si bien dit :

Triste amante des morts, elle hait les vivants.

L'envie, en effet, n'exalte les uns que pour déprimer les autres. Elle ne veut que décourager les efforts généreux, en représentant une dégénération graduelle dans l'espèce humaine, en substituant, autant qu'elle le peut, des regrets qui humilient, à des espérances qui animent.

Les mêmes individus qui, sous le nom de sagesse des ancêtres, exaltent des générations ignorantes et inexpérimentées, ne parlent jamais de la génération présente, c'est-à-dire de la masse du peuple, qu'avec le plus profond mépris.

Aussi long-temps qu'ils se renferment dans ces déclamations générales, qu'ils placent dans deux groupes distincts, d'un côté nos sages ancêtres, de l'autre, le peuple de nos jours ignorant et stupide, il est possible d'en imposer jusqu'à un certain point.

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Mais qu'on assigne un temps positif pour cette époque de sagesse supérieure, qu'on la prenne où l'on voudra dans les règnes passés, et que l'on compare classe à classe, les hommes de ce temps et ceux du nôtre, la supériorité doit nécessairement appartenir à ceux qui ont eu le plus de moyens d'instruction. Si vous remontez à une époque qui ait précédé l'imprimerie, vous trouverez même que les classes inférieures de notre temps l'emportent sur les classes supérieures du temps passé.

Prenez, par exemple, les dix premières années du règne d'Henri VIII. La Chambre des Pairs étoit alors, sans contredit, la partie la plus éclairée de la nation. Il est de fait que plu

sieurs des Lords laïques ne savoient pas lire; mais accordons-leur à tous la connoissance de cet art, qu'en auroient-ils fait, relativement à la science politique ? quels étoient les livres où ils auroient pu en puiser les éléments? L'économie politique, la loi pénale, le droit ecclésiastique, le droit international, loin d'exister comme sciences, avoient à peine uu nom qui les désignât. Ce qu'on pouvoit prendre dans les ouvrages d'Aristote ou de Ciceron, n'étoit point applicable aux temps modernes ; et d'ailleurs ces sources de science ou de prétendue science, n'étoient accessibles qu'aux érudits. L'histoire d'Angleterre n'étoit composée que de maigres chroniques, d'une sèche nomenclature de traités, de siéges, de combats, de fondations de couvents et d'abbayes de cérémonies, de fêtes et d'exécutions, sans aucun détail sur les causes, sur les caractères, sur le véritable état du peuple.

Passez au règne de Jaques I., célèbre par son savoir et son éloquence. Ses livres sur les apparitions, sur les sorciers, sur les Diables, sur leurs opérations et leurs différents pouvoirs, prouvent que ces notions n'étoient pas moins le partage des hommes les plus élevés, que celui du peuple : le seul privilége de ce mo

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