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Au reste si je blâme cet article comme trop foible, , trop insignifiant, je ne blâme pas les Législateurs François pour avoir reconnu que la liberté religieuse devoit être soumise à la loi. Plus on réfléchit sur la liberté des cultes, plus on sera convaincu qu'elle n'a rien de dangereux et qu'elle est accompagnée de grands avantages. Mais ce n'est point là une raison pour en faire une loi absolue et irrévocable. La ligne qui sépare le bien du mal, en fait de liberté d'opinions religieuses, ne sauroit être tracée avec certitude. La même opinion qu'on peut tolérer sans danger dans un temps, peut devenir pernicieuse dans un autre.

ART. XI.

L4 libre communication des pensées et des
opinions est un droit des plus précieux de
l'homme tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à ré-
pondre de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par
la loi.

OBSERVATIONS.

la

La logique de cette composition ne vaut mieux que pas la politique. Quand vous rencontrez un donc, vous pouvez présumer que proposition donnée comme une conséquence est en contradiction directe avec la proposition antécédente, ou qu'il n'y a rien de commun entre les deux.

La liberté de communiquer les opinions est une branche de la liberté, et la liberté est un des quatre droits naturels sur lesquels les lois n'ont point de pouvoir. Il y a deux manières d'ôter cette liberté, l'une avant qu'on en fasse usage par prohibition, l'autre après qu'on s'en est servi, sous forme de peine. Que fait cet

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article en faveur de la liberté. Il la garantit de toute gêne antérieure, mais il la laisse exposée à toute peine postérieure.

Ce n'est, dira-t-on que l'abus de la liberté qui sera punissable. Soit, mais y a-t-il moins de liberté dans l'abus que dans l'usage? Si Vous appelez liberté l'interdiction aussi bien que la punition, il s'ensuit que liberté et contrainte sont synonymes.

D'ailleurs qu'entendez-vous par abus de liberté? Voilà ce qu'il falloit définir. Jusquelà je ne sais ce que vous me donnez, vous ne le savez pas vous-mêmes. Tout exercice de liberté qui déplaît à ceux qui ont le pouvoir, passe à leurs yeux pour abus. Quelle est donc la sécurité que vous donnez aux individus. contre les Législateurs futurs ? Vous dites , voilà une barrière qu'ils ne pourront pas. franchir; mais vous déclarez en même temps qu'il leur appartient de mettre la barrière où il leur plaît.

Une notion commune et juste par rapport aux délits, c'est qu'il vaut mieux prévenir que punir. Dans l'article que nous examinons, on suit la maxime contraire. On rejette l'idée de prévenir, on se borne à punir. Je ne dis pas qu'en ceci on ait tort; car pour prévenir

les délits de la presse, il faut soumettre les écrivains à une censure préliminaire; moyen si plein d'inconvénients qu'il vaut mieux adopter la marche opposée.

Mais n'y a-t-il point de distinction à faire, soit dans le mode de la publication, soit dans la nature des choses qu'on publie ? Admettez l'article tel qu'il est, il s'ensuit non-seulement qu'un homme peut publier toutes sortes de libelles contre l'Etat, contre les individus, sans qu'on puisse l'en empêcher, mais encore qu'il peut choisir pour cela tous les moyens qu'il lui plaît, discours publics, affiches, placards, représentations théâtrales, estampes, caricatures, impression, etc. Tout cela, dis-je, il peut le faire sans qu'on puisse le prévenir, il n'est soumis qu'à des peines postérieures.

Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si les inconvénients de cette liberté ne seroient pas moins grands en effet que ceux d'une restriction préliminaire, ceux de la censure: tout ce que je veux dire, c'est qu'il y a une différence entre la liberté de publier des opinions sur des matières politiques et religieuses, et celle de publier des libelles diffamatoires sur des hommes publics ou privés. Il y a une différence encore plus sensible entre publier par

écrit et publier de vive voix ou sur un théâtre, haranguer le peuple dans les carrefours ou l'assembler par des placards. On conçoit trèsbien qu'un Législateur pourroit laisser une entière liberté à la presse, sauf à répondre des délits, et en même temps, interdire les moyens de communication qui s'adressent plus directement aux passions de la multitude, et qui peuvent l'enflammer avant qu'on ait eu le temps. d'y porter remède.

« EelmineJätka »