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CONCLUSION.

COMMENT

OMMENT se peut-il que l'élite d'une nation éclairée, que l'Assemblée Nationale de France, ayant dans son sein un grand nombre de Jurisconsultes exercés, de Savants distingués, d'Écrivains célèbres, ait pu produire sur les principes fondamentaux du Gouvernement, une rapsodie si incohérente, si méprisable et en même temps. si dangereuse?

Les Savants de la même nation avoient produit, peu d'années auparavant, une révolution complète dans une des sciences les plus difficiles. La Chimie leur étoit redevable d'un système philosophique si bien lié, si bien démontré, que les préjugés avoient été vaincus, et que l'Europe l'avoit adopté avec admiration

et reconnoissance.

Si les François ont eu des succès si différents en Chimie et en Législation, c'est qu'ils ont procédé bien différemment dans l'une et dans l'autre.

La Chimie étoit le domaine exclusif d'un petit nombre de Savants qui consacroient leur vie à cet objet, et qui, après avoir fait une

expérience, la répétoient de mille manières pour s'assurer de ses résultats et ne pas se tromper sur les premières apparences.

Dans la Chimie, il n'y a pas d'appel aux passions. Point de préjugés violents, point de vengeance et de haine, point d'esprit de parti. On ne peut pas dire aux hommes croyez, il faut leur dire, voyez.

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La Chimie a des termes techniques qui arrêtent les ignorants et distinguent les initiés. La Législation n'en a point. Ces mots lois, droits, sûreté, liberté, propriété, puissance souveraine, on croit les comprendre; on s'en sert avec confiance, sans se douter qu'ils ont une foule d'acceptions différentes, et qu'employer ces termes sans en avoir des idées justes, c'est marcher nécessairement d'erreur en er

reur.

;

Chacun connoît son ignorance en Chimie on ne rougit pas de l'avouer mais tout le monde sait un peu de Morale et de Législation; et c'est ce peu qui trompe les hommes: ce peu qu'ils savent les engage à prononcer témérairement sur ce qu'ils ne savent point.

La première faute des Législateurs François fut de commencer par la fin, de statuer des propositions générales, sans faire attention aux lois particulières qui y étoient renfermées.

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Généralisation précipitée! -grand achoppement de la vanité humaine, écueil sur lequel plus d'un homme de génie a fait naufrage, obstacle funeste qui a si long-temps arrêté le progrès des Sciences.

Le Parlement d'Angleterre a toujours manifesté une répugnance extrême contre les propositions abstraites, contre ce qu'on appelle principes généraux. Cette défiance est bien raisonnable. C'est la crainte de voir introduire dans les questions des choses qui ne leur appartiennent pas; c'est l'appréhension de s'engager plus qu'on ne veut, et de se trouver ensuite enveloppé dans des contradictions inevitables.

On peut voir dans les journaux de cette époque comment fut accueilli l'un des Orateurs qui avoient le plus d'ascendant, pour avoir osé proposer le renvoi de cette exposition des droits jusqu'à ce que la Constitution fût achevée. Mirabeau, qui avoit été l'un des promoteurs' inconsidérés de ce travail, voulut y renoncer lorsqu'il en eût vu les difficultés; mais la majorité de l'Assemblée rugit de colère quand il leur prédit, de sa voix tonnante, que leur déclaration des droits ne seroit que « l'almanach d'une telle année (1). »

(1). Courrier de Provence, n.o XXVIII. XXIX.

M. Mallouet avoit déjà réclamé, par des raisons de prudence, contre cette déclaration anticipée et isolée. « Pourquoi, dit-il, trans>> porter les hommes sur le sommet d'une >> montagne et de là leur montrer tout le do» maine de leurs droits, puisque nous sommes >> obligés ensuite de les en faire redescendre, » d'assigner les limites, et de les rejeter dans >> le monde réel, où ils trouveront des bornes » à chaque pas? Lorsque nous aurons fait la » Constitution, nous pourrons y approprier >> avec plus de justesse la déclaration des droits, » et cette concordance rendra les lois plus >> chères au peuple (1). >>

Voilà les rayons de vérité qui furent présentés à l'Assemblée, mais qui ne dissipèrent pas le nuage des idées confuses. L'impulsion, d'ailleurs, étoit donnée par l'amour - propre, et ce travail avoit un air de grandeur qui flattoit l'orgueil national. Les applaudissements partoient de toutes parts lorsque M. Du Port, l'un des sombres enthousiastes de cette époque, s'écrioit : « Nous ne travaillons pas pour la >> France seulement, mais pour toutes les na>>tions. Tous les peuples nous écoutent. Nous

(1) Courrier de Provence, n.o XXIL

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>> sommes les vengeurs et les précepteurs du » genre humain. »

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L'Assemblée Nationale n'alla pas loin dans sa carrière législative sans se repentir doublement de cette Déclaration, soit par les entraves qu'elle s'étoit données en établissant de faux principes, soit par l'esprit d'insubordination qui en étoit le fruit.

La révolution qui avoit jeté le Gouvernement dans les mains des auteurs de cette Déclaration, ayant été le résultat d'une insurrection, leur premier objet, en la rédigeant, fut de justifier les insurrections en général. Mais les justifier, c'est les encourager. Justifier une insurrection passée, c'est encourager une insurrection future. Justifier la destruction illégale d'un Gouvernement c'est saper tout autre Gouvernement, sans en excepter celui même qu'on veut substituer au premier. Les Législateurs de la France imitoient, sans y songer, l'auteur de cette loi barbare qui conféroit au meurtrier d'un Prince le droit de lui succéder au trône. « Peuples! voilà vos droits : si l'un d'eux est violé, si vous jugez que l'un d'eux est violé, l'insurrection devient le plus saint des devoirs. » Tel est le langage de cette déclaration, et tel est son objet.

« EelmineJätka »