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Le langage de la simple raison, de la pure vérité, est difficile à apprendre : le langage des passions est par lui-même séduisant et facile. Le premier exige une attention sévère sur soimême, une résistance soutenue au courant de l'imitation qui entraîne. Le second ne demande de s'abandonner à cette pente, et de parler comme tout le monde.

que

Mais que le succès de cet antidote soit plus ou moins prompt, c'est toujours rendre un service au public que de fournir un signalement particulier auquel on peut reconnoître le langage de l'Anarchiste.

Qu'il soit enthousiaste ou fourbe, il parle de droits naturels et imprescriptibles; il reconnoît des droits qui ne sont pas reconnus du Gouvernement.

Il parle de droits antérieurs aux lois, indépendants des lois, supérieurs aux lois.

Au lieu de dire, la loi doit ou ne doit pas, il dit la loi peut ou ne peut pas.

Au lieu de dire, il convient par telles raisons d'établir tel ou tel droit, il affirme que tel droit existe, qu'il a toujours existé, et que tout ce qu'on a fait de contraire à ce droit, doit être regardé comme nul et non-avenu. II substitue toujours le langage de la fiction à celui des faits, et l'affirmation au raisonnement.

AUTRE DÉCLARATION DES DROITS ET DES DEVOIRS DE L'HOMME ET DU CITOYEN, FAITE PAR LA CONVENTION NATIONALE EN 1795.

«LA Déclaration des Droits de l'homme, avoit dit Mirabeau, ne sera que l'almanach d'une année. » Cette prophétie ne tarda ne tarda pas à se vérifier. Après que la Convention Nationale eût renversé le trône et déclaré la République une et indivisible, elle voulut faire une nouvelle déclaration des droits. On pourroit croire

que la première Assemblée, encore gênée par des idées monarchiques, avoit laissé dans sa déclaration des signes de foiblesse et de tïmidité qu'il appartenoit à leurs successeurs de faire disparoître; on se tromperoit. Cette seconde déclaration, faite dans une Assemblée démocratique, sans Roi, sans Noblesse, sans Clergé, n'eut, ce semble, pour objet que de pallier et de tempérer la première. On avoit senti le danger de ce Manifeste contre toute espèce de Gouvernement; mais on ne voulut pas avouer une erreur professée avec tant d'or

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on se flatta de tromper le peuple en

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conservant le même titre à un ouvrage qui n'étoit plus le même; on essaya d'ôter sans bruit, ou, pour employer le mot propre, d'escamoter les articles qui avoient servi de prétexte ou d'excuse à toutes les insurrections; et comme la première déclaration des droits avoit jeté la multitude dans un état d'ivresse et de folie, on crut la ramener à la raison en y ajoutant une déclaration parallèle des devoirs. S'il falloit administrer le poison, l'antidote pouvoit avoir son usage: mais il eût été plus sage de ne pas faire le mal, que , que de compter sur l'effet du remède.

Quoique cette nouvelle déclaration soit moins absurde et moins dangereuse que la première, elle est encore très-défectueuse dans la logique, très-obscure et informe dans l'expression. La partie politique ne contient que des définitions fausses, et la partie morale que des phrases de rhétorique. L'analyse détaillée d'un ouvrage obscur et oublié dès sa naissance ne seroit qu'un travail aride et ennuyeux; Dous nous bornerons à quelques observations détachées.

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Voici l'article premier : il est remarquable à plus d'un titre. Les droits de l'homme en

société sont la liberté, l'égalité, la sûreté et la propriété.

Il n'y a plus ici de droits naturels, imprescriptibles et sacrés, de ces droits tels, que toute loi qui les altère étoit nulle par le simple fait. On a écarté ces mots dangereux, ces fausses notions.qui rendent toute législation impossible. On annonce, il est vrai, qu'on va déclarer les droits de l'homme et du citoyen; mais dès le début, l'objet change on laisse là les droits, de l'homme; on n'en dit rien on procède uniquement à déclarer les droits de l'homme en société. La distinction si récemment et si solennellement reconnue entre l'homme et le citoyen s'évanouit, mais elle s'évanouit par un subterfuge, par un mot qui ne présente plus ni l'homme ni le citoyen, mais une espèce d'amphibie ou de neutre qu'ils appellent l'homme

en société.

En comparant le catalogue des droits, nous trouverons qu'entre l'an 1791 et l'an 1795, tout naturels et tout imprescriptibles qu'ils sont, ils n'ont pas laissé de subir des changements considérables. Dans le premier article de la Déclaration de 1791, il n'y en avoit que deux, la liberté et l'égalité : dans l'intervalle du premier article au second, trois nouveaux droits avoient

pris naissance, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression: mais ces trois nouveaux, ajoutés aux deux premiers, ne faisoient pas cinq; il n'y en avoit que quatre, parce ́que, dans le même intervalle, on ne sait quel accident étoit arrivé à l'égalité, mais elle avoit disparu. De 1791 à 1795, elle s'est retrouvée, et, en conséquence, elle occupe le poste le plus éminent après la liberté. Mais la résistance à l'oppression, qui figuroit si noblement dans la Chartre de 1791, a été exilée de celle de 1795; et, comme les images des deux illustres Romains dont parle Tacite, ce droit n'en étoit que plus remarquable pour avoir disparu. Ce phénomène, il est vrai, pourra s'expliquer aisément, si l'on se rappelle que depuis que la Résistance avoit reçu ses lettres de naturalisation, elle s'étoit étrangement signalée dans toute la France, attaquant tous les pouvoirs, toujours en guerre avec toutes les autorités, et se rendant si redoutable par sa turbulence, qu'il étoit bien temps de la bannir; bien entendu qu'on pourra toujours la mettre en réquisition à l'appel du patriotisme, quand il s'agira de renverser le Gouvernement ou d'envoyer les Députés du peuple libre à la Guyanne.

Les quatre articles suivants doivent être présentés de suite.

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