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1. La liberté consiste dans le pouvoir de faire ce qui ne nuit pas aux droits des autres.

2.° L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. L'égalité n'admet ni distinction de naissance, ni succession héréditaire de pouvoir.

3.o La sûreté résulte du concours de tous à assurer les droits de chacun.

4. La propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.

Après avoir reconnu ces droits d'une manière abstraite et indéterminée, les nouveaux Légis lateurs cherchent à les faire rentrer dans certaines limites par des définitions; mais ces définitions, qui ont pour objet de donner à ces 'mots un sens qui n'est point leur sens ordinaire, qui est même contraire à leur acception com ́mune (au moins pour les deux premiers), sont un artifice puéril et sans effet. Les mots opèrent sur les hommes par leur signification constante et universelle. Une définition subtile et arbitraire n'a point de prise sur l'esprit, encore moins sur l'esprit du vulgaire ; elle est oubliée aussitôt qu'entendue.

La liberté consiste dans le pouvoir de faire

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ce qu'on veut, le mal comme le bien; et c'est pour cela même que les lois sont nécessaires pour la restreindre aux actions qui ne sont pas nuisibles.

L'égalité ne s'arrête point aux objets que lui assignent nos Législateurs. Elle s'étend à tout; elle demande l'aplanissement universel, le nivellement des propriétés et des conditions. Tant qu'on laisse subsister la distinction des fortunes, la plus choquante de toutes pour la multitude, il est absurde de parler d'égalité.,

Que l'Égalité n'admette point de succession héréditaire de pouvoir, cela est clair; mais comment l'Égalité peut-elle s'accommoder de l'existence d'un pouvoir quelconque? Quelle égalité y a-t-il entre celui qui a du pouvoir et celui qui n'en a point? Ainsi, à l'exception d'un pouvoir héréditaire, les hommes ne sont pas plus égaux en vertu de cet article qu'ils ne l'étoient auparavant, ou, pour mieux dire, l'égalité et l'inégalité sont une seule et même chose.

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Point de distinction de naissance. -Comment cela se fait-il? Tous les hommes naissentils, en France, du même père et de la même mère ? La toute puissance démocratique

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empêche-t-elle les Montmorencys de descendre

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d'une suite d'ancêtres connus et illustrés depuis l'origine de la Monarchie Françoise? On voit bien que les Législateurs ont voulu dire que la différence de naissance n'entraîneroit aucune différence de droit; mais comme une tournure brillante paroît presque aussi nécessaire aux François dans le style des lois que les lois mêmes, l'expression paradoxale a eu la préférence sur l'expression naturelle. Cette critique même leur paroîtra ridicule, tant ils sont accoutumés à préférer la vivacité de l'expression à sa justesse (1).

La sûreté résulte du concours de tous à assurer les droits de chacun.

Le concours de tous les droits de chacun! Pouvoit-on se refuser à une antithèse si ingénieuse et si saillante?

D'après cette définition, il n'y auroit point de sûreté si tous ne concouroient sans cesse à la défense de chacun. Il faut que tous les ci

(1) Montesquieu étoit le premier qui eût introduit ce style épigrammatique en matière de législation. Mirabeau, qui connoissoit si bien ses auditeurs, ne montoit jamais à la tribune sans avoir préparé ce qu'il appeloit le trait : c'est-à-dire une tournure piquante et singulière qui aiguisoit sa pensée et surprenoit un applaudissement.

toyens, sans distinction, que les femmes même et les enfants soient sans cesse occupés à protéger tous les individus de la société, à faire l'office des Magistrats, à devenir Magistrats eux-mêmes. Il faut que chacun puisse et veuille se mêler des affaires de chaque autre. Il faut au moins que si les droits d'un seul sont attaqués par un homme injuste et malfaisant, tous, sans exception, concourent immédiatement à sa défense. L'épigramme légale signifie tout cela, ou ne signifie absolument rien. Cette définition de la sûreté m'en rappelle une qui est dans le Malade imaginaire. L'opium, dit M. Purgon, a la propriété de faire dormir, parce qu'il a une vertu soporative. La sûreté résulte du concours de tous à procurer la sûreté.... Tel est le style des Oracles que prononcent les Législateurs du monde.

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La Propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, etc.

Autre définition du même genre, c'est-àdire aussi ridicule, mais un peu moins innocente. Jouir et disposer, voilà deux droits bien distincts; car il y a des propriétés dont on a la jouissance pour un temps limité ou pendant sa vie, et dont on ne peut pas disposer. Mais, d'après l'article, ces deux droits

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sont inséparables. Avoir l'un sans avoir l'autre, c'est n'avoir point de propriété. C'est sans doute d'après cette définition que les possessions du Clergé de France, qui n'avoit pas le droit de disposer ou d'aliéner, n'étoient pas considérées comme une propriété, et que la spoliation à leur égard n'étoit pas un vol.

Passons maintenant à la Déclaration des devoirs. Ce n'est pas le Décalogue qui a servi de modèle.

Les nouveaux faiseurs n'ont pas mieux compris que leurs dévanciers, que les droits et les obligations sont inséparables. Il est possible, sans doute, de créer des devoirs sans créer des droits, et c'est là le résultat de toutes les mauvaises lois, de toutes les lois qui gênent la liberté sans procurer des avantages plus qu'équivalents au sacrifice mais il est impossible de créer des droits sans créer des obligations correspondantes; car quand vous me donnez un droit sur une chose, n'imposez-vous pas tout autre individu l'obligation de ne point me gêner dans l'exercice de ce droit? Les Législateurs ont donc créé des devoirs quand ils établissoient des droits; mais ils étoient comme le Bourgeois Gentilhomme qui faisoit de la

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