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La vérité de cette proposition dépend de la nature des lois qu'on élude. S'agit-il d'une de ces lois qui ne sont utiles à personne, l'évasion de cette loi ne peut être nuisible à personne. S'agit-il d'une loi qui tourne au profit d'une elasse d'individus exclusivement, éluder cette loi, c'est nuire à cette classe, mais ce n'est pas nuire à toute la Communauté. — Un mainmortable dont le bien doit tomber à des Moines, parvient à éluder la loi et à transmettre sa propriété à un héritier supposé il blesse les intérêts des Moines, mais peut-on dire qu'il blesse les intérêts de tous ses concitoyens ?

Il y a plus. Il peut y avoir de telles 'imperfections dans les lois, qu'on est trop heureux qu'il y ait des moyens de les éluder.

Si la loi angloise contre les libellés étoit strictemeut observée, il n'y auroit pas plus de liberté de la presse en Angleterre sur les objets politiques, qu'il n'y a de liberté en Espagne sur les objets religieux. Si cette loi étoit littéralement exécutée dans tous les cas où elle est enfreinte, il n'y a presque aucun individu, ni homme ni femme, qui n'eût été au pilori. Les lois d'Angleterre ne sont pas plus mauvaises que celles des autres nations; et je m'engagerois aisément, s'il en pouvoit resulter quelque bien,

à montrer qu'il y existe un grand nombre de lois qui suffiroient pour anéantir le commerce, la sûreté et la liberté, si elles étoient ponetuellement suivies ou exécutées.

Tant que les lois sont dans cet état d'imperfection, il faut nécessairement laisser à la conscience de chaque individu à juger des cas où il doit leur obéir avec empressement ou seulement par prudence, concourir lui-même à leur exécution, ou demeurer neutre entre la loi et ses infracteurs. En un mot, tant que les lois sont mêlées de bien et de mal, on ne sauroit insister sur une obéissance universelle et consciencieuse à toutes les lois. On leur doit toujours obéissance passive; mais cette obéissance active, ce concours volontaire de chaque individu à en remplir toutes les dispositions, sans même avoir la pensée de les éluder, ce. sera le fruit de la perfection des lois, si jamais il est possible d'y atteindre.

Je reviens ici à une observation que j'ai déjà insinuée dans l'article précédent.

Le grand objet, comme aussi la grande difficulté par rapport aux délits, c'est de les bien distinguer les uns des autres, de bien apprécier leurs divers degrés de malignité. Ces deux articles ne semblent avoir été faits que pour Les

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confondre. « Violer ouvertement les lois, c'est » se mettre en état de guerre avec la Société. » Éluder les lois, c'est blesser les intérêts de >> tous. »Toutes les distinctions disparoissent; toutes les nuances s'évanouissent; toutes les désobéissances deviennent également capitales. Les plus petites fraudes de la contrebande sont équivalentes à des trahisons. On a fait la grande découverte que les crimes sont tous les mêmes et qu'ils produisent tous les mêmes effets et comme il n'y a pas un jour où les lois ne soient ouvertement violées ou éludées par ruse, il s'ensuit qu'il devoit toujours exister en France une guerre civile, un état violent d'animosité entre les citoyens.

Dans les Gouvernements établis, l'objet constant est de calmer les passions hostiles, de désarmer la vengeance, de maintenir les hommes en paix. Dans la malheureuse époque où se trouvoit la France, l'objet perpétuel étoit d'enflammer les passions haineuses. C'est ce qu'on a fait dans la déclaration des droits. C'est ce qu'on fait encore dans celle des devoirs. On y exagère tous les délits; on les met tous au niveau. On veut que la haine et la fureur viennent présider aux tribunaux de la Justice. En voilà bien assez et peut-être même trop

sur cette insipide composition. On voit que ses auteurs ne connoissoient pas mieux les devoirs que les droits, qu'ils ne parloient pas mieux la langue morale que la langue politique. C'est toujours la même confusion et la même exagération; toujours la même passion pour des maximes générales, sans aucun égard aux propositions particulières qu'elles renferment : de fausses notions d'élégance et de pompe, le soin de diversifier les expressions quand elles doivent être les mêmes, un style épigrammatique et théâtral; enfio tous les défauts imaginables dans une composition légale qui exigeoit la justesse la plus sévère. On seroit tenté de croire qu'il y a dans l'esprit national en France, une vivacité impatiente qui ne se prête pas à la fatigue des détails. Leur imagination court au résultat et passe par-dessus toutes les preuves. On veut de l'esprit, de la rapidité, de l'agrément dans des sujets qui exigent l'analyse la plus rigoureuse et le style le plus exact. Ce reproche tombe en particulier sur les écrivains politiques. Pour nous arrêter à l'époque où nous sommes, il y eut un grand nombre de déclarations de droits présentées en projet à l'Assemblée Nationale. Il n'en est aucune où l'on ne trouve des défauts semblables à ceux que nous avons relevés dans

les deux déclarations constitutionnelles. Celle qui fit le plus de bruit, celle qui eut le plus de partisans hors de l'Assemblée, surpassoit toutes les autres en exagérations. Les erreurs qu'elle contient ne sont, il est vrai, que celles d'un individu; elles n'ont point reçu la sanction de l'Assemblée mais ce sont des opinions avancées par un homme d'un esprit distingué, par un homme qui eut beaucoup d'influence; et je ne crois pas inutile d'examiner ici trois ou quatre articles de cette composition, pour achever de donner une juste notion des principes anarchiques qui régnoient à cette époquesca

DERECHO

« EelmineJätka »