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Examen partiel d'une Déclaration des Droits, proposée par un Membre de de l'Assemblée Constituante.

Dis

Es le début, l'auteur se fonde sur des fictions et même sur des faussetés manifestes : il déclare qu'une chose est, parce qu'il veut qu'elle soit, et qu'il sait qu'elle n'est pas. Chaque Société, dit-il, ne peut être que l'ouvrage libre d'une convention entre tous les associés.

Qu'une Société politique puisse se former par une convention, c'est ce que je ne veux pas nier; mais qu'une Société ne puisse exister que par une convention, c'est un fait évidemment faux. Qu'est-ce donc que tous les Etats du monde qui se sont formés de différentes manières, sans aucune trace de convention? N'existent-ils pas? ou ne plaît-il pas à l'auteur de les appeler des Sociétés politiques? Déclare-t-il de son autorité privée tous ces Gouvernements nuls et illégitimes? Invite-t-il les peuples à se soulever contr'eux ? Proclame-t-il la sédition et l'anarchie? ce n'est pas son intention, mais c'est le sens de l'article.

Il est un signe certain auquel on peut reconnoître un homme qui est tombé dans cette espèce de manie qu'on peut appeler l'idolatrie de soi-même. Il prend quelques mots de la langue en faveur, il leur donne un sens particulier, il les emploie comme personne ne les

jamais employés, et il est déterminé à ne les prendre jamais dans leur sens vulgaire : ce sera liberté, propriété, souverain, loi , gouvernement, nature etc. Muni de ce mot comme d'une espèce de chiffre avec ses affides, il fait des propositions qui dérangent toutes les idées reçues; il donne une apparence de profondeur à des riens, il a toujours l'air d'un penseur capable que l'on n'entend pas, et il regarde en pitié ceux qui lui font des objections, parce qu'ils se servent des mots selon leur acception commune. Ce petit artifice est facile à démasquer, mais il réussit quelque temps. Le fait est que quand on vient à examiner ces propositions prétendues profondes, composées d'un terme pris dans un sens contraire à l'usage, on les trouve d'une telle nullité ou d'une telle fausseté , qu'on ose à peine soupçonner un homme d'esprit d'en être l'auteur. On lui cherche long-temps une idée fine pour ne pas lui attribuer une absurdité

toute nue.

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L'objet d'une Société politique ne peut être que le plus grand bien de tous.

Ne peut pour ne doit. Toujours cette puérile substitution d'un terme impropre et ambigu, à un terme propre, également familier et clair.. Il est vrai qu'on donne ainsi à une pensée triviale un air de mystère et de profondeur.

Chaque homme est le seul propriétaire de sa personne, et cette propriété est inalienable.

Quelle expression! comme si un homme et sa personne étoient deux choses distinctes, et qu'un homme pût tenir sa personne comme il tient sa montre, dans une de ses poches! Mais: laissons l'expression et passons au sens.

Etre seul propriétaire de sa personne, c'est apparemment avoir la disposition exclusive de soi-même, de ses facultés actives et passives,. spirituelles et corporelles: auçun homme n'est autorisé à se servir de ma personne, sans mon aveu, plus qu'il ne pourroit le faire de mes autres propriétés. Mais cette idée de propriété appliquée à la personne, est le renversement de toutes les lois. La loi ne peut donner aucun droit au mari sur la personne de sa femme, ni au père sur celle de ses enfants, ni à l'officier sur celle des soldats, ni au Juge sur celle des malfaiteurs. Tout exercice d'autorité sur leur

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Observez que cette propriété est déclarée inaliénable: ceci abolit tous les contrats dans lesquels on aliène ses services, particulièrement le contrat du mariage et les engagements militaires. Il ne peut donc plus y avoir entre les individus que des transactions du moment, nul ne pouvant s'engager pour l'avenir : c'està-dire qu'il n'y auroit plus de Société : car 1oute Société est fondée sur les droits réciproques d'un individu sur d'autres.

Aliéner, dira – t-on, c'est 'disposer pour la vie. Les engagements temps sont permis. Le texte ne défend que les engagements indissolubles.

Mais ce subterfuge ne mène pas loin car puisque la durée du bail personnel n'est pas limitée, il s'ensuit que chacun auroit le droit de s'engager pour le terme le plus long de la vie humaine.

D'ailleurs, pourquoi, au moment où l'on déclare qu'un homme est propriétaire de sa personne, lui ôte-t-on le caractère le plus essentiel de la propriété, le droit d'en disposer, celui de l'aliéner si cette aliénation lui convient! Supposez un citoyen, à la façon de ces

modernes Législateurs, fait prisonnier par des peuples qui lui offriroient de racheter sa vie au prix de sa liberté : le citoyen leur diroit qu'il est le seul propriétaire de sa personne, que cette propriété est inaliénable, qu'il ne peut pas faire en conscience ce qu'on lui demande, qu'il est au désespoir, mais qu'il a reçu de son maître le droit de sacrifier sa personne, et non celui de l'aliéner.

Cet article ainsi rédigé, étoit évidemment destiné contre l'esclavage des Nègres mais l'auteur n'avoit pas vu toutes les propositions particulières que renfermoit sa proposition générale. Il n'avoit pensé ni aux femmes, ni aux enfants, ni aux mineurs, ni aux fous, ni aux malfaiteurs, ni aux ouvriers, ni aux soldats. Il n'avoit pas la moindre intention d'abolir l'ordre social. Il avoit pensé seulement que cette proposition, avec son air d'innocence et de simplicité naïve, amèneroit de droit l'abolition de la servitude personnelle.

Mais en cela même il alloit trop loin car l'affranchissement subit des Noirs étoit en même temps une grande injustice et une grande imprudence; c'étoit enlever aux maîtres ce qu'ils avoient acquis avec la permission des lois : c'étoit donner aux esclaves ce qui devoit leur

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