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CHAPITRE III.

SOPHISME DU VETO UNIVERSEL.

Il n'y a point d'antécédent.

L'ARGU 'ARGUMENT consiste à alléguer contre une mesure proposée qu'elle est nouvelle, et que sur le point en question, il n'y a pas d'antécédent ou d'exemple d'après lequel on puisse se conduire.

Une telle observation, loin d'être condamnable en elle-même, est au contraire d'une très-grande utilité : elle sert à fixer l'attention sur le sujet, et à rappeler à l'Assemblée toutes les précautions nécessaires quand on entre dans une route qui n'est pas encore frayée. « Con» sidérez mûrement ce qu'on vous propose : » il n'y a point d'antécédent qui vous serve » de règle; vous allez faire une expérience. >> Usez de votre jugement. >>

Quel est donc le sens dans lequel cette observation se range parmi les sophismes ? C'est lorsqu'on prétend l'employer comme une raison suffisante pour rejeter la mesure en question.

C'est une branche dn sophisme précédent. On disoit par l'un, « nous voulons maintenir » tout ce qui a été établi par nos ancêtres; » on dit par celui-ci : « nous refusons de faire » ce que nos ancêtres n'ont pas fait. »

Il est clair que cette objection, réduite à elle-même, n'a rien de commun avec le mérite ou le démérite de la mesure; et tend à la rejeter sans examien. Avec un tel argument, on auroit condamné tout ce qui a été fait jusqu'à présent; on condamneroit de même tout ce qui se fera dans la suite. Une maxime qui seroit fatale à tous les progrès de l'esprit humain dans tous les arts, dans toutes les sciences, peut-elle être bonne en politique, en législation?

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« Mais, » dira un raisonneur subtil « се >> qui nous porte à faire, condamner une mesure » qui n'a point d'antécédent, c'est qu'il est à » présumer que si elle eut été bonne, elle se >> seroit déjà présentée. Sa nouveauté est >> contre elle, parce qu'on n'a pas attendu jusqu'à présent à trouver ce qui est vraiment >> utile. >>>

Rien de plus foible et même de plus faux qu'une telle présomption. Combien n'y a-t-il pas d'obstacles, soit politiques, soit naturels, qui ont pu empêcher la mesure quoique très

convenable en elle-même, d'être présentée au législateur?

1. Si, toute bonne qu'elle est pour l'intérêt général, elle ne s'accorde pas avec les intérêts privés ou les préjugés de ceux qui gouvernent, loin de s'étonner qu'elle n'ait pas été proposée plus tôt, il y auroit lieu d'être surpris qu'elle osât enfin se produire. Est-il besoin de demander, par exemple, pourquoi la Traite des Nègres a été soufferte si long-temps? Ne doit-on pas admirer, au contraire, que malgré tant d'intérêts opposés, son abolition ait été sollicitée avec une persévérance infatigable et enfin victorieuse ?

2. Si la mesure proposée est du nombre de celles qui supposent un certain progrès dans les lumières publiques, ou un degré particulier de science, d'application et de talent cette circonstance suffit pour rendre compte. de ce qu'elle se présente si tard. La capacité de l'esprit humain s'étend par toutes ses déet plus il faut de connoissances ou de génie pour l'accomplissement d'un objet, moins il est probable qu'on ait pu l'atteindre dans une époque passée.

couvertes

Le développement du génie a trouvé plus d'entraves dans la législation que dans toutes

les autres sciences; ce seroit-là un beau sujet à traiter, mais il mèneroit trop loin. Il faudroit montrer qu'à chaque pas l'esprit humain a eu à lutter, avec des forces inégales, contre le despotisme d'une part et les préjugés religieux de l'autre. Il faudroit montrer surtout que les. hommes de loi ont été, en général, ses plus grands ennemis; leur intérêt particulier les portant sans cesse à s'opposer à l'établissement d'un système clair et précis, uniforme et certain, par la même raison que les ouvriers s'opposent à l'invention des machines qui abrègent le travail, et rendent la maind'œuvre moins chère.

LE

CHAPITRE IV.

LA PEUR DE L'INNOVATION.

E sophisme précédent tend à rejeter toute mesure nouvelle comme superflue. Celui-ci y ajoute l'idée de danger. Changement est un terme neutre, c'est-à-dire qui n'implique ni bien ni mal, et qui exprime simplement un fait. Innovation est un terme de blâme. Outre l'idée de changement, il présente à l'esprit jugement anticipé que le changement en question renferme un mal ou un danger. Plus on est accessible aux impressions qui résultent du langage vulgaire, plus on est prêt à recevoir ce sophisme. Innovation devient bouleversement d'anarchie. L'imagination évoque des spectres, et la raison ne peut plus agir.

synonyme

de

Exposer la nature de ce sophisme, c'est le réfuter.

Si la seule nouveauté d'une mesure est une raison pour la condamner, cette même raison. auroit dû faire condamner tout ce qui existe. Dire qu'une chose est mauvaise parce qu'elle est nouvelle, c'est dire que toutes les choses sont

« EelmineJätka »