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mauvaises, du moins à leur commencement; car tout ce qui est ancien a été nouveau : tout ce qui est établissement a été innovation.

En adoptant ce prétendu argument, vous tombez mille fois par jour en contradiction avec vous-même. Vous croyez le Parlement nécessaire au maintien de la liberté ; mais sous Henri III, vous auriez condamné l'institution des Communes, Vous professez un grand zèle pour la réformation; mais, sous Elisabeth, vous l'auriez combattue de toutes vos forces. Vous croyez que l'Angleterre a dû son salut à la révolution qui mit Guillaume III sur le trône; mais vous auriez défendu avec zèle la détestable cause de Jaques II, etc., etc.

Il faut observer toutefois que ce sophisme n'est pas faux sous tous les rapports. Il y a dans la plupart des changements un mal certain qu'il est nécessaire de démêler.

Les choses établies vont, pour ainsi dire d'elles-mêmes. On ne les change point sans un certain travail. Une loi nouvelle ne peut qu'éprouver quelque résistance de la part de ceux qui ne se gouvernent que par l'habitude, et peut produire des animosités et des contentions. Il n'est point de changement qui ne coûte quelque peine à ceux auxquels il impose de nou

veaux devoirs, et qu'il appelle à sortir de leur routine ordinaire.

Il y a souvent un mal ultérieur et plus grave. La mesure, bonne dans sa totalité pour le public, peut nuire à quelque intérêt privé, actuel ou contingent, à des jouissances présentes ou à des espérances futures. C'est là particulièrement le cas de tout ce qui tend à réformer des abus.

Si la mesure n'est point accompagnée d'une compensation pour ceux qui en sont l'objet, ou si la compensation est incomplète, cela seul est une raison très-légitime, sinon pour la rejeter, du moins pour y ajouter une compensation suffisante. Un argument tiré de cette source n'a rien de commun avec le sophisme (1).

Mais quand la nature du cas est telle, que celui qui souffre de la réforme auroit honte de se plaindre, quand l'abus attaqué est si criant qu'il n'oseroit le défendre d'une manière ouverte, quel autre recours peut-il avoir que le cri vulgaire de l'innovation? C'est le mot de ralliement de tous ceux qui ont quelque intérêt clandestin à sauver, et des esprits foibles qui,

(1) Voyez Théorie des Peines et des Récompenses. Tom. II. ch. 12, p. 209.

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faute de réfléchir, sont déjà prévenus contre tout ce qui porte ce nom réprouvé.

Parmi les anecdotes du barreau, on connoît le trait d'un procureur qui, pour défendre son client d'une fausse obligation, lui conseilla de faire une fausse quittance.

C'est ainsi qu'au lieu de combattre le sophisme en question, on lui a quelquefois opposé un contre-sophisme. « Le temps lui-même est » un grand innovateur. Le changement pro» posé n'est point une innovation : au contraire, » il n'a d'autre objet que de prévenir le chan»gement ou de rétablir les choses comme elles >> étoient. En un mot, ce n'est pas innovation, >> c'est restitution de l'état ancien et primitif. » Ce contre - sophisme n'est pas si dangereux que le précédent, mais ce n'est pas moins un sophisme, 1.o parce qu'il ne fournit aucun àrgument spécifique sur le mérite ou le démérite de la mesure proposée, et qu'il est par conséquent étranger à la question; 2.° parce qu'il implique une sorte de concession qui ménage et protège le sophisme opposé, admettant que si la mesure étoit une innovation, elle mériteroit, à ce titre seul, d'être rejetée.

Récapitulons. Il n'y a point d'inconvénient spécifique allégué contre la mesure; car, s'il

y en avoit, l'objection ne seroit plus un sophisme.

;

Tout ce qu'on allègue, c'est qu'il en résultera un mal et pourquoi ? parce que la mesure est nouvelle. Or, si c'est là un' argumènt, il s'applique également à toutes les mesures passées, présentes et futures, à tout ce qui a été fait, à tout ce qui peut se faire dans tous les lieux et dans tous les pays. Ce propos, dans une bouche vulgaire, peut passer pour de l'ignorance; mais dans celle d'un politique, c'est de l'imbécillité ou de l'hypocrisie,

J'ai oublié le nom de ce magicien qui, par le simple attouchement de sa baguette, forçoit les possédés de confesser la vérité, et de déclarer le nom du Démon avec lequel ils avoient fait un pacle.

Que de curieuses découvertes produiroit cette baguette entre les mains d'un Membre d'une Assemblée politique!

(1) On ne peut pas douter qu'il n'entre beaucoup d'hypocrisie dans la terrenr de l'innovation, c'est le cri de l'intérêt personnel quand il se sent en opposition avec l'intérêt public. Mais après les malheurs innombrables d'une révolution qui avoit ouvert la plus belle carrière à l'espérance, on doit quelque indulgence à ceux qui se défient des promesses et qui ont associé les idées

CHAPITRE V.

SOPHISME DES LOIS IRREVOCABLES, OU SOPHISME DE CEUX QUI ENCHAINENT LA POSTÉRITÉ.

Sedet æternumque sedebit

Infelix Theseus. VIRG.

I. Observations générales.

CE sophisme, considéré dans son influence

sur le malheur des hommes, et dans le nombre de ceux dont il affecte le sort, s'élève infiniment dans l'échelle de l'importance, au-dessus de tous les autres. Il n'opère pas seul et par luimême; il en réunit plusieurs, et agit avec une force composée. Ce que nous avons dit du culte idolâtrique des ancêtres, s'applique à ce sujet. La doctrine de la perpétuité d'une lọi

d'innovation et de danger. Je ne puis que les renvoyer à un autre ouvrage de M. Bentham, où il a exposé tous les calculs à faire avant d'innover dans les lois, et tous les égards dûs aux institutions existantes. S'il combat la peur de l'innovation, ce n'est qu'après avoir combattu les méprises et les égarements des innovateurs. Voyez Traités de législation. Tom. III. p. 345, etc.

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