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est, en effet, ce même sophisme porté au plus haut degré de force imaginable.

Il a pénétré, plus ou moins, dans toutes nos législations; mais c'est parmi les peuples de l'Orient qu'il a établi son empire le plus absolu. Il les tient dans un asservissement, dont on conçoit à peine comment ils pourront sortir.

Ce qui nous en reste en Europe n'est qu'une ombre, en comparaison; cependant, jusqu'à ce que cette ombre soit dissipée, elle servira de prétexte pour conserver des institutions nuisibles, et repousser des améliorations' nécessaires; elle embarrassera les esprits foibles, et fournira un moyen de plus à ceux qui veulent les tromper.

Quand on considère ce que la raison a fait dans nos diverses contrées et ce qui lui reste à faire, on en trouve une image dans ces êtres à deni-éclos qui n'ont pas achevé leurs métamorphoses. La tête se montre déjà hors de la Chrysalide, les ailes se dégagent du fourreau; mais on voit encore toute la charpente de la prison où ils ont été renfermés.

Il n'est pas naturel de penser que ceux qui ont enchaîné la postérité aient prévu les maux dont ils seroient les auteurs. On peut les justifier par une méprise d'intention. La même

excuse ne s'applique pas à ceux qui, après l'expérience, veulent prolonger cette servitude.

Division du sujet.

Ce chef présente deux sortes de sophismes : 1.° Sophisme des lois irrévocables.

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2. Sophisme des vœux.

Tous deux doivent être considérés conjointement; leur objet est le même, la différence n'est dans le moyen.

que

Les premiers fondent la perpétuité des lois sur l'idée d'un contract. Les seconds appellent à leur aide un pouvoir surnaturel, qu'ils font intervenir comme garant de l'engagement.

er

Exposé du 1. sophisme; et sa réfutation.

Une loi (n'importe quelle loi) étant proposée à l'Assemblée Législative, et ayant pour but de corriger une institution vicieuse ou un abus quelconque, le sophisme consiste à la rejeter sous cette forme d'argument: « Je >> rejette cette loi, non parce qu'elle est mau» vaise, car je ne me permets pas même de » l'examiner je la rejette parce qu'elle est >> contraire à une loi que nos prédécesseurs ont

» déclarée irrévocable. J'admets en principe que » le Législateur passé a eu le droit de lier les >> mains du Législateur futur ; que le Légis >>lateur actuel doit se considérer comme en»tièrement privé de son pouvoir, par rapport >> à cette branche de législation; et que s'il » osoit l'exercer, l'acte résultant ne seroit point » obligatoire pour les sujets qui doivent, dans » ce cas, adhérer à la volonté du Souverain » mort, en opposition à celle du Souverain » vivant.»

Pour peu qu'on y pense, on comprendra bientôt que ce profond respect pour les morts, pour ceux à qui nous ne pouvons plus faire ni bien ni mal, n'est qu'un vain prétexte quand on l'oppose au bien-être de la génération actuelle, et que ce prétexte couvre quelqu'autre dessein.

Envisageons d'abord la question sous le point de vue de l'utilité.

A chaque période donnée, le Souverain actuel a tous les moyens actuels pour se mettre au fait des circonstances et des besoins qui peuvent requérir tels ou tels actes de législation.

Relativement à l'avenir, il s'en faut bien qu'il ait les mêmes moyens d'information. Ce n'est que par conjecture, par une vague ana

logie, qu'il peut former un jugement sur ce que les circonstances pourront exiger dans dix ou vingt ans ; et qu'est-ce que ce jugement pour une époque plus reculée?

Or, pour tout cet avenir sur lequel la prévoyance a si peu de prise, voilà le Gouvernement transféré de ceux qui auront tous les moyens possibles de bien juger, à ceux qui ont été dans l'incapacité d'y rien connoître !

Nous, les hommes du dix-neuvième siècle, au lieu de consulter nos propres intérêts, nous nous laisserons guider aveuglément par les

hommes du dix-huitième.

Nous, qui avons la connoissance des faits et tous les moyens de former un jugement éclairé sur l'objet en question, nous nous soumettrons à la décision d'une classe d'hommes qui n'ont pu avoir aucune des connoissances relatives.

Nous, qui avons tout un siècle d'expérience de plus que nos devanciers, nous abdiquerons tout cet avantage, et nous nous rangerons gratuitement sous l'autorité de ces mêmes devanciers, qui, avec cette expérience de moins n'ont eu aucune supériorité d'un autre genre pour compenser ce défaut.

Accordons, si l'on veut, qu'ils ont été nos supérieurs en intelligence, en génie; s'ensuit

il pour cela qu'ils doivent être les arbitres de notre sort? Ont-ils possédé une autre qualité non moins nécessaire pour nous gouverner, quand ils ne sont plus ? Peut-on leur supposer un zèle égal pour nos intérêts? Ne se sont-ils pas occupés de leur bien-être plus que du nôtre? Ont-ils aimé la génération présente autant qu'elle s'aime elle-même ?

Voilà pourtant les absurdités qu'il faut dévorer dans ce système. Croyez à cette tendre anxiété de ces Prédécesseurs pour le bonheur des temps à venir. Croyez à leur intelligence supérieure, à leur prévoyance infinie. Croyez. qu'ils ont pu juger mieux que vous de vos intérêts, sans connoître les circonstances où vous seriez places.

-et cependant

Il ne semble pas possible de se refuser à l'évidence de ces réflexions, c'est la supériorité prétendue de nos ancêtres; c'est leur attention au bien-être de leur chère postérité, qui sert de base à l'argument de nos Sages, pour lier les mains de nos Législateurs, et pour faire de nous d'éternels pupilles qui doivent toujours se laisser guider par ces vénérables tuteurs, et ne jamais penser par euxmêmes.

Mais si les hommes du 18.° siècle ont pu

« EelmineJätka »